dimanche 24 juillet 2011

Dialogue sur la chute de l'homme (suite)

Le dialogue que j'avais engagé au sujet de la chute de l'homme s'est poursuivi. Il m'a paru utile de continuer à le publier ici.

Q. - Vous me citez : "La chute n'est pas un événement temporel, car le temps tel que nous le concevons et tel qu'il nous conditionne date justement d'elle."
Pourtant, la Création n'est-elle pas antérieure à la Chute dans la Genèse ?

R. - Vos réflexions perspicaces m'obligent à affiner mes réflexions.

"Le temps tel que nous le concevons [...] date de la chute". Le membre de phrase souligné est celui qui importe. Nous ne pouvons pas concevoir un autre type de temps que celui dans lequel nous vivons car nos conditionnements sont ceux de la chute, y compris pour notre intellect. Même chose pour l'espace. L'un et l'autre sont apparus consécutivement à la chute, c'est-à-dire à l'exclusion du paradis, autrement dit encore à la perte de cet état (car le paradis n'est pas un lieu mais un état) qui était un état de jouissance sempiternelle de la familiarité divine.

Notre intellect cependant, si borné soit-il, est capable d'aperçus qui sortent de nos catégories "terrestres". J'en veux pour preuve la théorisation par ce que j'appellerai le raisonnement-imaginal de ces constructions déraisonnables mais rationnelles qui semblent rendre compte des réalités qu'elles contredisent : les géométries non euclidiennes, les espaces à n dimensions, les espaces courbes, le temps réversible, l'espace-temps (espace convertible en temps et réciproquement), la relativité généralisée, et j'en passe. Toutes choses qui donnent à penser qu'il a existé et qu'il existe encore par delà les réalités immédiatement constatables d'autres réalités qui n'obéissent pas aux mêmes lois. C'est ce qu'on peut appeler le temps des anges et le lieu des anges, ou encore le temps hyperchronique et l'espace hypertopique. C'est à cela que renvoie la formule "les siècles des siècles" (en latin saecula saeculorum, en grec aiôna tôn aiônôn...d'où les "éons") qui n'a pas du tout le même sens que "siècle" ou "siècles" tout court.


C'est, j'en suis convaincu, dans ce temps-là et cet espace-là que se situent pour les créatures (évidemment pas pour Dieu, qui n'est conditionné par rien) le paradis : à l'origine pour Adam, et toujours maintenant pour les anges. Car cette sempiternité n'est pas statique : tout ce qui est de Dieu et avec Dieu est toujours dynamique. Selon saint Irénée, qui est très clair là-dessus (comme sur le reste), l'homme premier était destiné à évoluer : il avait été créé enfant (ce pourquoi Satan parvint si aisément à l'influencer), il lui fallait devenir adulte, acquérir la stature d'homme fait. J'aime à dire qu'il avait été créé parfait, et qu'il lui fallait devenir plus que parfait. En d'autres termes, il portait l'image divine, c'est-à-dire la vie, il lui fallait acquérir, ou conquérir, la ressemblance divine, c'est-à-dire la vie divine, la divinité.

Cet hyper-temps et cet hyper-espace, nous pouvons en conjecturer presque sûrement l'existence, mais nous ne savons pas comment ils fonctionnent. On peut sans trop d'erreur penser qu'ils ne fonctionnent pas en mode successif comme "notre" temps et "notre" espace. Ils peuvent par exemple fonctionner en mode simultané : c'est saint Basile, je crois, qui considère que les 6 + 1 actes de la création sont des opérations certes distinctes du Créateur mais opérées concurremment, la distinction n'étant pas chronologique. Mais, notre esprit ne pouvant saisir les objets auxquels notre pensée s'attache que consécutivement, il fallait instituer pédagogiquement cette succession selon notre temps.

De tout cela, nous aurons une science certaine... à l'accomplissement des temps !

Q. - En relisant le texte, je me disais qu'il y avait un point qui mériterait sans doute encore un développement en ce qu'il ne doit pas être facile à saisir pour nos contemporains si loin des réflexions théologiques, c'est celui-ci : "Pour ce qui est de la nature humaine, la cause est entendue : le Christ l'a hissée à la droite du Père, dans l'intimité de la Divine Trinité. Non seulement il a "réparé" les dégâts, mais le résultat final est infiniment plus sublime que n'était l'état initial."

En effet, l'argument de base contre cette assertion pourrait être double : "Si l'humanité est sauvée, pourquoi reste-t-elle dans la souffrance, la mort, le péché ? Si la venue du Christ a rétabli le lien entre l'Homme et Dieu, comment se fait-il que nous travaillons si bien depuis 2000 ans à nous détruire et à détruire notre environnement ? " ... La deuxième objection serait sans doute d'ordre comparative : "A-t-on réellement fait un progrès manifeste depuis la venue du Christ, au point de pouvoir dire que le résultat final est plus sublime que l'initial ? Comment jauger de cette différence ontologique entre l'avant et après Christ ?"

R.- Il faudrait de longs développements pour surmonter des attitudes qui, sous l'apparence d'arguments rationnels, sont des réactions passionnelles et psychiques ; c’est à ce domaine-là que ressortissent les « objections » que vous formulez et qui sont celles de tout le monde, à qui vous faites écho.


En première analyse, voici deux vérités d'évidence à la fois philosophique et théologique :


1) il faut, sous peine d'erreur grave, distinguer d'une part la nature propre à toutes les individualités, et autre part les individualités elles-mêmes. C'est la nature humaine qui est sauvée, glorifiée, déifiée. En revanche, il incombe à chaque individualité de conquérir cet état glorieux pour son propre compte, de se délivrer de l'humanité déchue où elle demeure incluse pour une large part (mais cependant pas pour sa totalité, contrairement à des vues outrageusement pessimistes) afin d'accéder à cette humanité sauvée, glorifiée, déifiée, ce qui se dit : conquérir le royaume des cieux.


2) la "différence ontologique" n'est pas mesurable par les accidents historiques ou individuels. Si l'état global n'est pas conforme à celui que Notre Seigneur a voulu établir, et a établi, par son incarnation, sa passion, sa mort et sa résurrection, c'est parce que, si Lui a fait son travail, les individualités en cause n'ont pas toutes fait le leur. C'est pourquoi tant l'évêque Jean de Saint-Denis, de vénérée mémoire, que le père Alexandre Men, ont affirmé que le christianisme était une entreprise d'avenir et non pas du passé. L'évêque Jean disait même : nous sommes à 97% païens et à 3% chrétiens ; il nous faut inverser les proportions : vaste programme !

Q.- J'aime bien cette idée de conquête du royaume des cieux, image ô combien chevaleresque... Je crois aussi, que le monde ne fut jamais réellement chrétien même au moyen âge...

R . – C’est parfaitement vrai ; même chose pour l'empire byzantin. Que n'a-t-on pas écrit sur la "symphonie" des pouvoirs au temps de Justinien ! Et pourtant quand on y regarde de près !!!

Q. - A voir ce que signifierait une société réellement chrétienne, par quoi se définirait-elle ? Comment exprimerait-elle une vraie "christianité" au delà (et à l'opposé ?) des attitudes réactionnaires outrées... ? Vaste et profond sujet de réflexions...


R. - Oui, cela vaudrait la peine.


Il est sûr en tout cas qu'une société chrétienne ne peut être "réactionnaire" ; en effet, une réaction, c'est une action opposée à une autre action, toutes deux sur le même plan. Cela revient à opposer les armes du monde aux armes du monde : tout le contraire de ce qu'a enseigné le Christ ! Le chrétien doit agir, non réagir, et avec les armes spirituelles.

vendredi 22 juillet 2011

Chants liturgiques orthodoxes



Un nouveau disque de chants liturgiques orthodoxes aux éditions Jade: « Ecclesia - Monastère de Valaam - Hiérodiacre Herman Ryabtsev »


Les éditions musicales Jade (qui font beaucoup pour faire connaître le chant liturgique orthodoxe en Europe et aux États-Unis) ont récemment publié un nouveau disque intitulé « Ecclesia ». Il présente une anthologie de chants byzantins, russes, géorgiens, bulgares, russes interprétés par le hiérodiacre Herman Ryabtsev, du monastère de Valaam, selon le style traditionnel ancien znammeny (antérieur à la seconde moitié du XVIe siècle) : le chant est monophonique (ou monodique), un chantre unique chante a capella, soutenu par l’ison (bourdon continu et grave) des autres chantres.


Des traditions diverses, éloignées les unes des autres tant géographiquement qu’historiquement, sont ici rassemblées; mais reprises dans leurs formes proches de leur source byzantine commune, c’est leur profonde unité plus que leur différences que l’on entend ici. Le hiérodiacre Herman n’a pas tenté de faire résonner ces chants en reconstituant leurs formes anciennes, mais inspiré par son expérience spirituelle et musicale, a cherché à en donner une interprétation naturelle, imprégnée par la prière.


Le destin du hiérodiacre Herman est singulier : né en 1961 en Ukraine, il suivi dès l’âge de cinq ans une formation musicale au Conservatoire, apprit à jouer de divers instruments dont la guitare et devint membre de différents groupes de rock underground. En 1983, il fut invité à Moscou par Vladimir Kuzmin pour jouer dans son célèbre groupe « Dynamic » qui, en Union Soviétique, était l’équivalent des Stones; il y jouait de la guitare acoustique, de la flûte, du saxo, des percussions et assurait l’accompagnement vocal. Fin 1986, il écrivit son premier album solo « Data ». L’année suivante, il fut invité à rejoindre le groupe de Yuri Antonov, une des stars de la pop russe. En 1988, il commeça une carrière de chanteur en solo, et l’une de ses vidéos fut diffusée lors des programmes de fin d’année sur une chaîne nationale. Ses différentes tournées le conduisirent bientôt partout, en Russie et en Europe. Il publia un second album en solo « I’ve Always Been Here ». Mais à la suite d’une expérience spirituelle intérieure, il décida d’arrêter la scène la veille de Noël 1989 et se rendit en Angleterre pour goûter à la vie monastique au monastère Saint-Jean-Baptiste, à Maldon. Rretourné en Russie, il rejoignit la communauté des frères du monastère de Valaam. Dès ses premiers jours au monastère, il en devint le chef de chœur, charge qu’il exerce aujourd’hui encore. C’est à son travail que l’on doit le renouveau du chant religieux russe ancien znamenny dont le monastère de Valaam est un centre important. Avec le groupe de moines qu’il dirige, il a enregistré plus de trente disques.


Contenu du CD :


01. Psaumes du Polyeleos (chant byzantin)


02. Hymne"Joyeuse Lumière"(chant znamenny)


03. Stichère "Roi céleste" (chant bulgare)


04. Tropaire de sainte Nino de Géorgie


05. Après ta naissance (chant serbe)


06. Canon eucharistique (chant znamenny)


07. Verset du Chant d'Entrée – Isodikon (chant de la région de Kartl-Kakhétie)


08. Tropaires du dimanche, ton 1 (chant bulgare)


09. Dogmatique, ton 1 (chant znamenny)


10. Chant des chérubins (chant bulgare)


11. Hymne de la Mère de Dieu - Magnificat (chant serbe)


12. Office de minuit du dimanche : hymnes tryadiques (chant bulgare)


13. Tropaire de Pâques


a) chant znamenny en slavon


b) chant byzantin en grec


c) chant serbe en serbe


d) chant de la région de Kartl-Kakhétie en géorgien






Adam & Marie

Du même spirituel :

Le premier Adam est androgyne. L'Homme parfait renouvelé par le Chist redeviendra androgyne.

Eve séparée d'Adam par la main divine n'était pas une femelle d'auprès d'un mâle, c'était l'AUTREi, digne de l'amour Philè à qui on peut dire : "Toi". La différence sexuelle n'est apparue qu'avec le péché.

La nouvelle Eve, Marie, a permis la restauration du monde originel.

Lorsque les hommes et les femmes s'avancent vers la ressemblance (1), le royaume de Dieu est proche.

1 La ressemblance, non la parité ou le plagiat, qui en sont la parodie (N du transcripteur)

mercredi 20 juillet 2011

Science sacrée et science profane

Un titre à la Guénon ? Ce qui suit montrera que non !

Du même spirituel déjà cité (le 16 juillet) :

La science sacrée est ce qui vient chez l'homme lorsqu'il s'élève vers Dieu et que Dieu lui communique une part de ses idées.
La science profane est une icône instrumentale de notre paresse spirituelle.

samedi 16 juillet 2011

Les moines orthodoxes celtes furent-ils les premiers en Amérique?

Pendant des siècles, on a fermement cru et enseigné que l'Amérique du Nord a été découverte par Christophe Colomb. Plus récemment, il a été convenu que les Normands ou Vikings ont probablement été sur ce continent vers l'an 1000. "Mais", comme les rédacteurs du National Geographic Magazine le font remarquer, "c'était peut-être un groupe de vagues, et pourtant très réels, moines marins irlandais qui a même précédé les Vikings de plus de quatre siècles." [1] En effet,il y a des preuves pour que cela puisse être vrai.



Au XXe siècle un certain nombre de chercheurs ont commencé à soupçonner que la saga médiévale connue comme le "Voyage de l'higoumène saint Brendan" (Navigatio Sancti Brendani Abbatis) n'était pas du tout une "pieuse fable", mais la narration d'un voyage réel - un voyage par saint Brendan et un certain nombre de moines d'Irlande à la côte Est de l'Amérique du Nord, avec des récits de ce que nous pouvons maintenant identifier comme les éruptions volcaniques d'Islande, une rencontre avec une baleine, et les icebergs...

Lire cette passionnante étude sur http://orthodoxologie.blogspot.com/2011/07/pere-alexis-young-les-moines-orthodoxes.html

Colère de Dieu

Je vous livre une pensée très puissante d'un spirituel (orthodoxe) contemporain :

Le maximum de la colère de Dieu c'est la mort du Christ sur la croix.

A méditer !

vendredi 8 juillet 2011

mercredi 6 juillet 2011

La chute est-elle un état permanent ?

Je me suis laissé convaincre par un ami proche de reproduire ici la transcription d'un échange que j'ai récemment eu sur un forum. Peut-être, comme il le croit, mes lecteurs en tireront-ils quelque profit.


Q. - Comme nous le savons, l’Homme a été émancipé en dehors de l’immensité divine et depuis sa prévarication et sa chute il ne semble pas pouvoir y revenir avant la Réintégration générale, car rien d’impur ne peut, selon Martines, résider en Dieu. Par ailleurs, selon le même Martines, après la mort physique de l’homme, son esprit traverse et séjourne les différents cercles expiatoires. Ceci laisse peu de place aux différentes thèses relatives à la réincarnation.

Comment alors expliquer, en l’absence de nouvelles émancipations de mineurs quaternaires, le nombre croissant de ceux-ci sur terre ? Dieu ne continuerait-il pas à émanciper des êtres mineurs quaternaires (principe inconcevable pour Martines) expliquant ainsi le nombre croissant des hommes sur Terre ? Mais dans ce cas la chute ne serait-elle pas alors un état permanent ?

R. - En attendant les réponses qualifiées des spécialistes ès-sciences martinésistes, le modeste théologien que je suis énoncerait ceci :

La chute n'est pas un événement temporel, car le temps tel que nous le concevons et tel qu'il nous conditionne date justement d'elle. Ce qu'elle a produit c'est une mutation ontologique. L' "être de l'homme", qui conserve pourtant des éléments irréductibles, telle l'image immortelle de Dieu dont il demeure porteur, laquelle subsiste inaltérée, quoique déformée dans son apparence extérieure, et dont l'exactitude doit être reconquise par divers "secours providentiels", parmi lesquels l'initiation maçonnique, qui en est un, mais non le seul ; l'être de l'homme, disais-je, a été initialement blessé par la faute d'Adam. Car en effet Adam fut non seulement le premier homme mais le proto-homme, l'homme premier, qui comprenait en lui-même, non seulement la pluralité des genres (Adam-et Eve était un seul être) mais aussi de toute la création. (La distinction sexuelle n'advint qu'après la chute).

Adam, étant la récapitulation par avance de la totalité de l'humanité sortie de ses reins (comme dit l'Ecriture), l'a contaminée de son péché, qualifié d'originel par saint Augustin. Mais, ne nous y trompons pas, ce péché originel n'est pas le péché personnel de chacun des individus dont la totalité compose la race humaine. En bref, la race humaine a été blessée, contaminée par l'action maléfique de son chef, Adam. Mais chaque homme ou femme (ce qui fut le cas de la Vierge Marie) peut par sa libre volonté, Dieu aidant, se soustraire à cette destinée en apparence inéluctable.

Ce qui s'en est suivi ne relève donc pas d'une fatalité, qui réduirait à néant toute possibilité pour la liberté humaine. Dieu, ayant fait l'homme à son image et selon sa ressemblance, l'a par là-même fait totalement libre de sa propre destinée. (Si cela ne paraît pas suffisamment explicite, je suis disposé à le développer).

Pour en revenir à la question posée : oui, la chute est un état permanent (dans les siècles présents) car inhérente à la l'être même (ontologique) de l'homme en son état présent, mais cet état doit disparaître lors de la transfiguration universelle.

Q. - Je vous remercie pour cet éclairage fort intéressant.

En effet, la permanence de la chute explique, en partie, la permanence du pêché originel qui en est le principe et par lequel est frappé le genre humain. Il est donné à l’homme de « se soustraire à sa destinée », notamment par le secours de ce que nous appelons le réparateur.

Mais Adam n'est-il pas pour sa progéniture l'origine du mal comme l'a été pour lui-même le tentateur. Autrement dit la tâche de nous autres humains n'est-elle pas doublement plus lourde (cumul des peines) car non seulement nous devons lutter contre ce tentateur qui est toujours à l'œuvre mais aussi contre cette tare qui est en substance en nous ?

R. - Vous avez bien compris, et l'idée d'une "double peine", comme on dit en droit, est ingénieuse. Nous avons en nous cette tare, qui nous a été léguée héréditairement et dont nous ne sommes pas personnellement responsables -comme toutes les maladies héréditaires, la tuberculose, la syphilis, le Sida...Et de surcroît nous avons à faire face aux attaques que le malin dirige contre chacun de nous.

En apparence la lutte est perdue d'avance, tellement elle paraît inégale. En effet la chute a introduit dans notre nature un élément qui n'existait pas auparavant une inclination au mal. Dans son état primitif, Adam n'avait qu'une inclination au bien, c'est-à-dire une ouverture sans restriction à l'amour de Dieu et à sa volonté bienveillante : c'est cela qu'on nomme la justice. Dès lors qu'Eve - c'est-à-dire la partie imaginative et passionnelle de l'Homme, en un mot sa nature psychique - eut prêté son attention, non plus au Verbe de Dieu, mais au verbiage du démon (les Pères font cette distinction) et que l'esprit de l'Homme, son Noûs, eut abdiqué devant sa Psyché, alors cette attitude momentanée devint une inclination permanente.

Toutefois, prenons-y garde : cette inclination au mal ne se substitua en aucune façon à l'inclination au bien qui persista en l'homme, toutes deux se combattant sans relâche (ce que chacun de nous éprouve pour sa part). Des penseurs qui, de bonne foi, se voulaient chrétiens, ont outré certaines affirmations de saint Augustin et enseigné que la nature de l'homme était devenue entièrement pécheresse, tout entière courbée sous le joug du péché, et que seule une grâce particulière et extraordinaire pouvait l'extraire de cet état de déréliction. Telles sont les affirmations du calvinisme et du jansénisme. Ces enseignements sont, je n'hésite pas à le dire, à la limite du blasphème. Ils reviennent en effet ni plus ni moins à nier la puissance et l'universalité de la miséricorde divine.

Loin de moi l'idée de nier l'absolue nécessité de la grâce divine ; mais j'affirme, et toute une cohorte de Pères avant moi, que cette grâce, Dieu la prodigue libéralement sur tous, mais tous le la reçoivent pas : comme dit l'Ecriture, il fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants !

Alors, ce combat, semble-t-il perdu d'avance ? Il ne l'est pas, il ne peut pas l'être, car le Christ a revêtu cette nature qui est nôtre, contaminée par le péché, bien que Lui soit sans péché - il faut absolument distinguer, sous peine d'erreur grave, la nature et la personne - et c'est en tant que Fils de l'Homme (et non en tant que Fils de Dieu) qu'il a combattu et vaincu.

Pour ce qui est de la nature humaine, la cause est entendue : le Christ l'a hissée à la droite du Père, dans l'intimité de la Divine Trinité. Non seulement il a "réparé" les dégâts, mais le résultat final est infiniment plus sublime que n'était l'état initial.

Pour ce qui est des personnes humaines, le travail reste à accomplir par chacune d'elle, afin que chacune d'elle puisse reconquérir sa "vraie nature". Et la seule méthode est d'être imitator Christi.

Q. - Je n'aurais qu'une question complémentaire mais de poids : notre nature est lavée par l'œuvre du Christ et nous recevons me semble-t-il les bienfaits de cette œuvre purificatrice via le baptême et les sacrements.

Aussi, notre nature n'est-elle pas lavée du péché originel bien que nous n'ayons de cesse que de la souiller par notre propre faiblesse dans l'exercice de notre libre arbitre toujours soumis, lui, à l'arbitrage entre le bien et le mal.

R. – Merci pour cette question pertinente qui oblige à affiner la réflexion.

Il n'y a pas de doute que l'humanité est sauvée pour toujours par la mort et la résurrection du Christ dans cette même humanité, qu'elle est non seulement sauvée mais glorifiée, non seulement glorifiée mais déifiée ; c'est-à-dire qu'elle a recouvré un état supérieur à son état primitif.

L'humanité, c'est la nature humaine dans son ensemble, dans sa globalité. La nature de chaque être humain, c'est l'humanité participée et individualisée. Chaque être humain participe à la fois, en tant qu'humain, à l'humanité sauvée et déifiée, et en tant qu'individu, à cette part d'humanité qui demeure sous le joug du péché. Il est à la fois "juste et pécheur", simul justus et peccator, disait très justement Luther.

C'est ce qu'on appelle la "loi de l'antinomie" qui gouverne le comportement de Dieu, et de l'homme à son image. L'antinomie, c'est la coexistence harmonieuse et intellectuellement inconcevable de contraires absolument inconciliables et absolument vrais : l'antinomie la plus fameuse étant la Trinité, la Tri-Unité. Cette loi se repère à maintes reprises dans les Ecritures ; ainsi le Christ dit à la Samaritaine (et plusieurs autres fois aussi) : "le temps vient et il est déjà venu..."

Ainsi, nous sommes déjà sauvés collectivement - le péché d'Adam est effacé ; il nous reste à nous sauver personnellement. Notre nature "générale" est hors de toute souillure ; il nous reste à lui faire concorder notre nature "particulière".

L'essentiel du travail, d'ailleurs, est déjà accompli à l'occasion de notre baptême, puisque nous sommes baptisés dans la mort et la résurrection du Christ, et qu'alors notre nature particulière est redevenue sans souillure. Si nous savions conserver la grâce de notre baptême, les portes du royaume s'ouvriraient devant nous...

Q. - Merci pour cette explication qui donne beaucoup à réfléchir.

La double nature du Christ est à la fois divine et à la fois humaine. Le Christ a révélé pendant son séjour terrestre, comment l'une avec l'aide de l'autre pouvait permettre à l'homme de vaincre l'ennemi et le mener à Dieu. C'est dans ce sens, à mon avis, que le fils de l'homme est appelé fils de Dieu. Je comprends que ce chemin expiatoire est celui des pérégrinations de l'âme à travers les différents cercles. N'est-il pas cela le chemin de croix ? Qu'en est-il de ce chemin dans le Traité ? En est-il fait mention ?

R. - Repartons d'idées simples.

Le Verbe, Fils de Dieu, Dieu lui-même, s'est fait homme. Non de la façon présente dans plusieurs mythologies antiques ou orientales, où un être humain se trouve soudainement investi de la divinité. Mais d'une façon miraculeuse certes, mais néanmoins naturelle : il est "né de la femme", celle-ci est devenue enceinte, sa gestation a duré neuf mois, elle a accouché... C'est parce qu'il est né de la femme qu'il est devenu "fils de l'Homme", qu'il a acquis une hérédité humaine qui remonte à Adam. D'où la généalogie rétrograde exposée en saint Luc, chap. 3, qui remonte jusqu'à "Adam fils de Dieu" : notation capitale.

Pour l'homme, qu'en est-il ? Une indication sans équivoque est donnée par saint Paul au début de l'épître aux Ephésiens : "Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions dans les lieux célestes en Christ ! En Lui Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant Lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d'adoption par Jésus-Christ, selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de la gloire de sa grâce qu'Il nous a accordée en son Bien-Aimé." (Eph 1, 3-6).

Ainsi, nous avons été prédestinés avant toute création, avant même la naissance des temps, à être les enfants adoptifs de Dieu, donc "fils de Dieu", par et en Jésus-Christ. Telle est la seule prédestination conforme aux Ecritures. Dans la pensée originelle (si l'on peut dire, car Dieu n'est pas soumis au temps) de Dieu, disons mieux : dans sa pensée pré-éternelle, les hommes doivent être, donc sont déjà , ses fils adoptifs, c'est-à-dire identifiés à son Fils "naturel" (si l'on se risque à dire). Or, en bonne justice, les fils adoptifs ont les mêmes prérogatives que les fils naturels. En l'occurrence, la prérogative essentielle est la divinité. Les hommes sont donc de tout temps, et même avant tout temps, pré-destinés à "devenir participants de la nature divine", comme l'enseigne S. Pierre (2e épître, 1, 4), à devenir par grâce ce que Dieu est par nature. C'est ce qu'enseigne avec force la théologie orthodoxe, conformément aux Ecritures, alors que la théologie occidentale (Catholique romaine et protestante) l'a oublié - mais elle y revient.

Nous sommes donc sur un autre plan que la vie pénitentielle - même si celle-ci est indispensable : le baptême de Jean précède le baptême selon l'Esprit (cf. les Actes des apôtres). Nous sommes sur le plan de l'ontologie, je dirai de l'ontologie dynamique. C'est l'ontologie selon les philosophes qui est statique ; l'ontologie animée par la vie divine ne peut être que dynamique, qu'énergétique;

Cet être de l'homme, il est informé (modelé, construit) par le Verbe-Logos : "tout est de Lui (le Père), par Lui (le Fils) et en Lui (l'Esprit)", enseigne l'apôtre. Et plus précisément, à propos du Verbe : "En Lui nous avons la vie, le mouvement et l'être" (l'ordre des mots n'est pas par hasard : la vie est première). Donc notre chemin, c'est le Christ, qui est "le chemin, la vie, la vérité". Le "chemin de croix", Lui l'a accompli, pour nous. Contentons-nous de ce qui nous sera donné.

Le secret, il est à double face ; vivre en Christ, laisser le Christ vivre en nous ("ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi", déclare l'apôtre).

Vous m'avez entraîné à faire une véritable homélie ! Ce que j'y énonce est conforme aux Ecritures. Comment cela s'accorde-t-il, ou ne s'accorde-t-il pas avec la métaphysique martinésienne ? Je ne suis pas assez compétent pour me prononcer...

2e R.- (qui n’est pas de moi)

Je tiens en tout premier lieu à rappeler que Martinès nomme le Christ "Divin Réparateur" et nous dit dans les instructions et invocations que les opérations de réconciliation opérées par le Christ furent les dernières.

Ainsi, après le Christ, l'Humanité est bien réconciliée et rachetée. Et chaque homme dans son humanité doit alors travailler à recouvrer la place première qui était la sienne avant la chute, place qu'il occupait dans Adam (qui comme on l'a très justement fait remarquer regroupe en lui toute l'Humanité) et place qu'il devait tenir en tant que fruit d'une opération de génération spirituelle qu'Adam devait effectuer en co-opération avec son divin Créateur. Nous savons comment tourna cette opération sous l'influence de l'esprit démoniaque.

Ainsi c'est cette place que chaque homme doit maintenant gagner ou plutôt re-gagner. C'est là toute l'œuvre de la réintégration car avec cette place chaque homme est destiné à recouvrer les puissance et le vertus originelles qui étaient les siennes et qu'il doit maintenant reconquérir par grâce alors qu'ils les détenait légitimement par nature. On a d'ailleurs raison de dire que l'Homme est maintenant plus grand qu'il n'était à l'origine car sa destinée est d'être déifié, uni en Christ en vivant dans le Christ et en laissant le Christ vivre en lui. Nous sommes là au-delà de la place de l'homme émancipé de la sphère divine : l'homme est appelé à rejoindre par le Christ cette sphère divine, devenant participant de la vie divine.

La voie de la pénitence et de l'expiation est donc, me semble-t-il, un moyen mais qui me paraît infructueux sans le secours de la grâce, secours obtenu par le sublime sacrifice du Fils de Dieu. Comme il a été dit, le chemin de croix est déjà fait, nous sommes dans l'après. Et cette grâce nous l'avons reçue en tant qu'Humanité déchue par la Pentecôte et la descente de l'Esprit-Saint qui se renouvelle chaque jour - la notion de temps n'existe pas dans les desseins divins - but ultime de la réconciliation divine par le sacrifice du Fils de Dieu. Nous l'avons reçue en tant qu'homme - individu - par le baptême de l'Esprit en tant que chrétiens et nous continuons à la recevoir chaque jour si nous savons nous en montrer dignes pour en bénéficier pleinement. Et les Elus Coens n'étaient-ils pas tous chrétiens ?

L'expiation favorise les grâces car par l'expiation l'homme se rend plus conforme à l'image de Dieu - qui est le Fils - en suivant la voie du Christ et donc recouvre peu à peu la ressemblance. Cette expiation est kenose , renoncement et en particulier abandon de notre volonté d'individu pour embrasser la volonté divine. J'aime à penser que chaque fois que nous renonçons - à notre ego en particulier - nous accomplissons un acte juste et la grâce vient le couronner.

Alors, les cercles d'expiation - qui sont aussi les cercles planétaires - que nous franchissons deviennent des cercles de grâce. Ce n'est pas pour rien que les kabbalistes de la Renaissance - et certains Pères - associent à chaque planète un des dons de l'Esprit-Saint.

Pour ceux qui auront lu l'excellent ouvrage de notre ami Serge Caillet, ils se rappelleront alors l'évolution du récipiendaire lors de sa réception en Commandeur d'Orient à travers tous les cercles planétaires (à l'exception de l'ultime) ainsi que les 7 ordinations reçues en R+.

Alors oui, je me risque à le dire car je le pense : les cercles d'expiation sont pour nous aussi des cercles de dons de l'Esprit et de réconciliation.

J’espère avoir éclairé quelque ami cherchant.



samedi 2 juillet 2011

Noir, c'est noir...


Qu'est-ce que le noir ? Pour d'aucuns, c'est l'absence totale de couleurs. Pour d'autres, c'est la somme totale de toutes les couleurs. Et les uns comme les autres disent vrai. Paradoxe !

Le noir, ou encore les ténèbres, pour les uns, c'est l'absence totale de lumière, la suppression de toute lumière. Pour les autres, c'est l'abîme primordial d'où surgissent toutes lumières. Paradoxe !

Y a-t-il une noirceur ténébreuse, qui absorbe toute lumière ? Oui. En astrophysique on connaît les célèbres « trous noirs » où s'anéantit la matière, exprimée sous forme d'énergie lumineuse. Y a-t-il une noirceur potentiellement lumineuse ? Oui. C'est celle des ténèbres primordiales qui régnaient sur l'univers avant que le « jour » et la « nuit » fussent séparés l'un de l'autre.

Or tout ce qui existait en principe subsiste encore dans la réalité d'aujourd'hui d'une manière plus ou moins voilée.
Dieu, en faisant l'homme à sa similitude, l'a fait (entre autres) créateur, co-créateur. Cette capacité créatrice se manifeste exemplairement dans l'art. Ainsi les peintres rivalisent, peut-on oser dire, d'une manière inégale mais réelle avec le Créateur dans le modelage de la nature créée.

Et j'en viens là où je voulais arriver. A qui douterait de l'existence de noirs qui irradient la lumière je recommande vivement de visiter, que dis-je, de savourer l'exposition sur « Manet, inventeur du moderne » qui se tient au musée d'Orsay jusqu'au 17 juillet. Inventeur du moderne est d'ailleurs réducteur. Ces classifications : classicisme, romantisme, impressionnisme, modernité, laissent fuir de toutes parts les réalités qu'elles prétendent embrasser. Seul compte le génie propre de l'artiste, c'est-à-dire sa capacité à saisir et à faire saisir, non seulement les contours extérieurs de la réalité (comme dans l'hyperréalisme) mais surtout la vie qui l'anime en ses tréfonds.

Et là, je m'extasie devant cette capacité prométhéenne de l'homme, avec cette différence si grande qu'il n'a pas dû, comme Prométhée, aller ravir le feu aux dieux, mais que c'est Dieu lui-même qui le lui a donné libéralement.



Bref, courez voir Manet !



2 juillet 2011