Saint Archevêque Jean
de Shanghai et de San Francisco
(4 juin 1896 - 2 juillet 1966)
Réjouis-toi, Saint
Hiérarque Jean,
toi qui allas vers
tous les méprisés,
et tous les ignorés,
toi qui t’es approché
des enfants
abandonnés et délaissés
pour les accueillir
et leur offrir ta
protection.
Parler du Père Jean semble facile pour autant que l’on
n’entre pas dans le détail des évènements de sa vie, car les actions
miraculeuses et les lignes forces de sa passion évangélique et christologique
étaient caractéristiques de sa vie unique et resplendissante. Mais combien
difficile est-il, par contre, de s’efforcer de s’approcher de la profondeur
exceptionnelle et de la ténacité inégalée qu’il déployait dans ses activités.
Pour la petite histoire il est toujours agréable de rappeler
l’irritation de la noblesse, qui n’hésitait pas à s’adresser à la hiérarchie
ecclésiale pour ordonner à ce « va-nu-pieds » d’évêque, de se chausser. Dans la
plus parfaite obéissance Vladika accepta les chaussures qu’on lui offrit pour
les emporter sous ses bras, déclenchant ainsi l’hilarité de certains mais
surtout l’irascibilité d’autres qui n’y comprenaient rien.
Tout aussi plaisante est l’histoire de l’invitation à dîner
qu’il avait reçue et où il avait été placé en tête de table, près de l’épouse
de l’hôte qui s’était ornée les lèvres du rouge le plus flamboyant, alors qu’il
était bien connu que Vladika avait une sainte horreur du rouge à lèvre. Il
feignit ne pas réagir à cet éblouissant spectacle coloré mais au moment où la
soupe fut servie, il la porta à sa bouche et la versa sur ses lèvres d’où elle
dégoulinait dans sa barbe, la décorant ainsi de vermicelles. Soudain, la dame
comprit la raison du comportement étrange de l’évêque et s’empressa, aussitôt,
d’essuyer son rouge à lèvre, sur quoi l’évêque poursuivit normalement son
repas.
Il n’avait nullement l’intention de se rendre intéressant,
ce qu’il faisait, en revanche, c’était de rendre l’assistance attentive à
l’importance de vivre sa vie en Christ ; il voulait être un véritable évêque,
un berger pour son troupeau, un père pour ses prêtres, un successeur et épigone
du Christ, le Bon Pasteur. Et nous savons tous que Vladika Jean fut cet évêque,
une icône en chair et en os de son Maître.
Après son sacre, dans sa première homélie comme évêque, il
témoigna en paroles de ce qu’il ferait, magistralement, en actes plus tard : il
aspirait à se donner à sa tâche corps et âme, afin de, pour reprendre ses
propres paroles, achever la mission du Christ : Le Christ est descendu sur la
terre pour rétablir en l’homme l’icône de Dieu qui avait été dénaturée ; pour
appeler les hommes afin de les ramener à l’unité. Il appartient au berger de
renouveler et d’éclairer les hommes. Que peut-il y avoir de plus grand que de
recréer la Création de Dieu ? Que peut-on offrir de mieux à son prochain que la
préparation à la vie éternelle ? C’est de cela, précisément, qu’il avait fait
sa mission : ouvrir à tous les portes du Royaume de Dieu, sans distinction de
race, de couleur ou de langue, en disant : Pénétré de l’universalité de
l’Eglise, le soin du berger ne saurait se limiter aux seules brebis qui lui ont
été confiées, mais il doit porter les yeux de son cœur sur la totalité de
l’Eglise du Christ.
Vladika Jean n’appréciait pas le luxe, ni la pompe ni
l’éclat. Jamais il ne s’y était associé en donnant pompeusement des ordres
depuis les hauteurs de son trône épiscopal. Jamais il ne cherchait à se faire
remarquer ou à impressionner, il s’opposait violemment à pareil comportement.
Il avait en horreur ceux qui jouent la comédie et il ne supportait pas les
ecclésiastiques paradant à l’autel. La vanité dont un éventuel évêque ou
archimandrite pouvait se rendre coupable déclenchait inévitablement une
réaction ferme de la part de Vladika Jean. Dans ce contexte, le récit cocasse
suivant est d’ailleurs bien connu : un évêque que je ne nommerai pas était
tellement fier de sa nouvelle mitre que Vladika se rua sur lui et la lui
enfonça de ses deux mains jusqu’au narines… la petite taille de Vladika et
l’imposante stature de ce grand évêque ne faisait qu’ajouter au tableau…
L’évêque était ainsi obligé de continuer à célébrer l’office à l’autel
littéralement à « l’aveuglette », aveuglé qu’il était de vanité. Pour Vladika
Jean, il n’y avait pas de place pour les honneurs humains ou l’orgueil à
l’autel où l’on servait Dieu. Il était toujours et partout un serviteur de Dieu
et le vivait humblement tous les instants de sa vie. C’est précisément cela
qu’il cherchait à enseigner à tous les chrétiens, et en premier aux prêtres,
car tous ceux qui se trouvaient, se trouvent ou se trouveront devant l’autel du
Christ s’y trouvent en Son Nom et non en leur nom.
Il abhorrait tout signe d’autorité et défendait l’orthodoxie
vraie telle qu’il l’avait pratiquée et vue pratiquée, et voulait transmettre ce
savoir à tous ceux qu’il rencontrait, où que ce soit, dans tous pays ou
régions, partout où il passait. Il définissait sa mission à Shanghai ainsi :
«C’est pour cela qu’on m’envoie en Orient, dans les contrées dites du soleil
levant, mais qui ont surtout besoin du rayonnement spirituel du Soleil de
Justice. » Annoncer le Christ en paroles, et humblement le prendre en exemple
dans ses propres agissements étaient son but, sa mission sur terre. Rien ni
personne ne pouvaient l’en détourner
Le Christianisme véritable ne se résume pas à des
considérations intellectuelles mais doit être le cœur de la vie. Le Christ
n’est pas descendu sur terre pour donner aux hommes des connaissances
nouvelles, mais pour les appeler à une vie nouvelle. Son ascèse et sa vie de
prière en étaient des exemples vivants et atteignaient une profondeur
inimaginable selon les normes modernes. Vladika ne dormait jamais plus de deux
heures par nuit, et jamais dans un lit, soit dans une chaise, soit à genoux
devant les icônes. Le reste du temps il priait, car son cœur était tellement
grand qu’il vivait la douleur ou la tristesse que les fidèles lui confiaient
dans ses propres entrailles. Il n’est donc pas surprenant que Dieu l’ait
glorifié par des signes extérieurs visibles. Pendant la proscomédie à laquelle
il consacrait toujours énormément de temps, il lui arrivait d’être tellement
pris par la prière qu’il s’élevait d’un demi mètre au dessus de la terre sans
même qu’il ne s’en rendît compte. En célébrant la Divine Liturgie il lui arrivait
souvent d’être illuminé de la lumière incréée à la plus grande stupéfaction de
nombreux fidèles bien sûr.
Tout aussi remarquables étaient son amour pour l’homme et sa
confiance en Dieu.
Dans une allocution il disait : «Dans son souci du salut des
âmes, un berger ne peut ignorer les inévitables besoins physiques de l’homme.
Il ne devrait pas être permis de prêcher l’Evangile sans effectivement
manifester de l’amour. »
Ce n’était pas parce qu’il était évêque qu’il aurait renoncé
à se rendre dans les quartiers les plus mal famés et les ruelles les plus
sombres de Shanghai pour aller à la recherche de bébés abandonnés dans les
immondices, ou d’enfants handicapés ou mutilés rejetés de la société. Il les
accueillait tous dans son cœur, et un grand nombre aussi dans son orphelinat.
On pourrait même dire qu’il est miraculeux qu’il n’ait pas été assassiné dans
ces endroits qui ne connaissaient pas le luxe de l’électricité ; en effet,
c’étaient des endroits obscurs, au propre et au figuré, où se passaient des choses
qui ne supportent de toute façon pas la lumière.
Peut-être pensait-on que ce petit homme courbé qui
déambulait dans les rues de Shanghai était un pauvre petit évêque dépravé à la
recherche de quelque bibelot qu’il vendrait pour avoir de l’argent avec lequel
s’acheter de l’alcool ou de l’opium. Les prêtres de l’époque auront sans doute
également trouvé ce comportement particulièrement choquant. Mais j’ai quand
même beaucoup de peine à comprendre qu’il puisse y avoir eu des prêtres qui
n’appréciaient pas leur évêque, pire même, qui voulaient sa mort. Mais comment
se peut-il donc, que des personnes qui prétendent annoncer et expliquer
l’Evangile à l’Eglise, se permettent, pendant la Nuit Pascale, d’ourdir des
complots afin d’empoisonner Vladika Jean en mélangeant du poison au vin qu’il
utiliserait pour nettoyer le calice, lui, qui était un Evangile vivant, mais en
tous points identique à celui que ses détracteurs proclamaient pompeusement ?
Mais il s’attendait à ce genre d’avatars lorsqu’il disait :
La tâche d’un berger n’est pas facile, car il doit lutter contre la nature de
l’homme contaminée par le péché; souvent il se heurte à l’incompréhension, ou à
l’opposition délibérée, voire à la haine de ceux qu’il aime et qu’il essaie de
secourir. Le sens du sacrifice de soi, l’amour qu’il porte à son troupeau
doivent être incommensurables.
Vivre réellement et foncièrement l’Evangile dans ces
proportions radicales là, ne plaît sans doute pas trop à l’homme parce que cela
le force à réfléchir et à méditer sur ses propres actes. Pareille introspection
interpelle la conscience et suscite des interrogations et des défis que l’on
préfère esquiver. Des déclarations grandiloquentes et ronflantes à propos du «
multiculturalisme » et de « l’inter religiosité » ne lui étaient pas réservées.
Seul comptait son amour chaleureux et cordial pour ceux qui étaient marqués par
la vie ou ployaient sous la tristesse et l’échec. C’est à eux que s’adressaient
toute son attention et ses soins, sans distinction de race, de couleur, de sexe,
d’origine, ou de confession. Entendons ses propres paroles : Le berger doit
sentir la douleur de ses brebis. Sa vie ne lui appartient pas, il doit être
capable de subir toute vexation ou persécution, voire la mort, pour les
guérir..
Quand Vladika Jean agissait, il le faisait dans la plus
grande simplicité, comme simple serviteur de Dieu. Lorsqu’un jour il alla, au
vu et au su de tout le monde, dans un grand hôpital de Shanghai, il s’y rendit
d’abord, à la consternation générale, dans une chambre où une mère juive
soignait son fils qui fut guéri par la prière de Vladika, sans qu’il ait tenu
compte de la confession de cette personne. Pour Vladika Jean, toute personne,
quelle qu’elle soit, était un enfant de Dieu et une icône du Christ. Là où
régnait la misère, il était le premier arrivé pour apporter réconfort et
consolation. L’Archevêque Jacques, de bienheureuse mémoire, racontait comment,
lors du retour de Vladika Jean aux Etats-Unis après une tournée en Europe, il
refusa obstinément de prendre la route de l’aéroport de Schiphol où l’avion
était prêt pour le départ, pour aller, à la stupéfaction générale, au chevet
d’un mourant inconnu dont il avait entendu intérieurement l’appel à l’aide. Le
Père Adrien lui dit : « Vladika, vous allez rater l’avion ! » D’un mouvement
brusque, il se retourna et répondit sèchement : « Est-ce que c’est vous qui
assumerez les conséquences s’il devait mourir …? » Vladika s’est donc rendu à
l’hôpital, a prié et entendu la confession du mourant. L’avion, toujours prêt
pour le départ, n’a décollé que lorsque Vladika Jean s’était enregistré et
était monté à bord.
Vladika Jean répondait aux besoins des hommes et ne
permettait jamais que la moindre préoccupation sociale empêchât un prêtre de
remplir ses fonctions ecclésiales. A son esprit étaient toujours présentes ces
paroles de l’Ecriture Sainte : « Il ne convient pas que nous délaissions la
parole de Dieu pour le service des tables. » ( Actes 6,2)
Très chers frères et sœurs, la vie de Vladika Jean est
truffée de scènes miraculeuses qui faisaient et font encore toujours le tour du
monde, même sur l’internet maintenant. Exemplaires et réputés étaient l’élan
foncièrement chrétien et la passion évangélique de son parcours de vie : une
vie d’humilité dans son amour énorme et à la fois noble pour Dieu, pour
l’homme, et pour la vérité de la Foi Orthodoxe. N’est-il pas regrettable que
ceux qui suivent son exemple soient si rares?
Archimandrite Thomas
( Publié avec la bénédiction de l'Archimandrite Thomas)
Source: http://orthodox.be/PRE0016F.html