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mercredi 27 juin 2012

Willermoz théologien


 J.-B. Willermoz


Mon ami A Valle Sancta a naguère publié sur le blog qui porte son nom une succession d’articles (29 octobre 2010, 31 octobre 2010, 4 novembre 2010, 11 décembre 2010) sur un sujet d’un vif intérêt : Rite écossais rectifié et Christianisme primitif. Certains seront peut-être perplexes à cette lecture : quel rapport entre les deux ? Le rapport ? c’est évidemment Martines de Pasqually, qui ressortit d’une manière flagrante, comme l’a montré Robert Amadou, du christianisme primitif, ou du judéo-christianisme – les deux s’étant confondus pendant un peu plus d’un siècle. Or le christianisme primitif est fort peu connu et même ignoré des milieux ésotérisants (à part une marge peu représentative). Pourtant, on ne peut étudier convenablement Martines sans se référer à ce courant, qui, dans l’histoire, a irrigué aussi bien les milieux orthodoxes que les milieux hétérodoxes. Ensuite de quoi, on pourra rapporter ces notions à celles du XVIIIe siècle chrétien (très précisément catholiques romaines et luthériennes) qui ont pris corps dans le Régime écossais rectifié. D’où la grande utilité du travail d’A Valle Sancta lorsqu’il sera achevé.

La quatrième de ces études http://blog.avallesancta.com/2010/12/rite-ecossais-rectifie-et-christianisme.html  avait donné lieu de ma part à un commentaire (14 décembre 2010) qu’il me paraît utile de remettre au jour. Le voici :

La mise en miroir de différents textes de Jean-Baptiste Willermoz consacrés à un même sujet se révèle une fois encore fructueuse et instructive, ce que j’avais constaté et appliqué pour mon compte sur un autre sujet il y a un certain nombre d’années. Avec le travail précis d’A Valle Sancta, nous est une fois de plus confirmé à quel point Willermoz était un esprit exceptionnel : il montre dans ses analyses une justesse et une précision qui ne sont pas sans étonner en un siècle où la théologie, non moins que la métaphysique, étaient décriées et moquées par l’ « esprit de l’Encyclopédie », la « philosophie des Lumières ».
Justesse, précision et finesse aussi, car il trouve le moyen de « rectifier » l’enseignement de Martines dans le double sens du terme : « corriger » et « enrichir ».
Jean-Marc Vivenza a écrit quelques lignes sur « Willermoz lecteur de saint Augustin ». La manière dont ce dernier « rectifie » l’opinion erronée, parlons clair : hérétique, de Martines sur la Trinité sort en effet en droite ligne de saint Augustin, revu par saint Thomas d’Aquin.
En bref : la théologie trinitaire latine est ascendante : elle part des catégories de l’âme humaine pour élaborer une compréhension de la réalité intime de la Trinité. Cette doctrine a été énoncée d’abord par saint Augustin (IVe-Ve siècles), perfectionnée par saint Anselme de Cantorbéry (XIe siècle) et parachevée par saint Thomas d’Aquin (XIIIe siècle). Elle met en relation les catégories de l’âme intellectuelle que sont la pensée, la volonté et l’action avec les trois Personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dans sa formulation technique, elle est indissociable de la théorie du Filioque en vertu de laquelle le Saint-Esprit procède du Père « et du Fils ».
Au contraire la théologie trinitaire orientale, dite « orthodoxe » est descendante. Elle part des réalités premières et principielles que sont les Hypostases divines – celle du Saint-Esprit procédant « du Père seul » (ek monou tou patros) pour expliquer par analogie la constitution de l’homme, et non pas seulement celle de son âme.
Pour résumer à grands traits, dans la théologie latine Dieu est expliqué par l’homme, dans la théologie orthodoxe l’homme est expliqué par Dieu (pour tout cela voir l’étude IV de l’essai de Vladimir Lossky « A l’image et à la ressemblance de Dieu », étude intitulée « La Procession du Saint-Esprit dans la doctrine trinitaire orthodoxe »).
Avec ces notions apportées par la théologie latine, Willermoz se trouvait en terrain solide pour aligner les propositions de Martines sur la foi catholique.
Très subtil est le commentaire que Willermoz donne du quatrième élément constitutif du « quaternaire divin », quaternaire qui, si l’on n’y prenait pas garde, pourrait se transmuer en une « quaternité ». En faisant de l’ « opération » le résultat de l’activité des trois « puissances » divines, Willermoz distingue formellement son plan de celui de ces trois autres. Cette présentation ingénieuse écarte le risque dont je parlais (même si, ailleurs, « opération » et « action » sont assimilées) ; je l’avais remarqué jadis à l’époque où j’étudiais les Conférences des Elus Coëns de Lyon dans édition procurée en 1974 par Antoine Faivre.
Assimiler à cette opération l’homme « appelé à participer à la triple essence qui devient ainsi quatriple » est une supputation qui mérite intérêt. J’avoue qu’elle ne me convainc pas absolument, et, selon moi, les « êtres spirituels qu’elle [l’essence divine une] contient en elle de toute éternité » sont, non seulement les humains, mais aussi les anges.
Au passage, je noterai un détail. L’expression « triple essence… du Père, du Fils et du Saint-Esprit », me choquait, je l’avoue, dans la Profession de foi des chevaliers. Or je dois reconnaître que le commentaire que Willermoz en donne : « C’est pourquoi nous parlons souvent d’une triple essence en Dieu, et ne disons jamais trois essences, parce qu’il n’y a pas trois Dieux. C’est par l’action et le concours simultané de ces trois puissances créatrices que l’unité se manifeste hors d’elle-même dans toutes ses productions divines… », ce commentaire me donne entière satisfaction. Il eût certes été encore meilleur de parler d’une « essence trine et unique », mais à l’impossible nul n’est tenu !
Lecteur de saint Augustin, Willermoz l’est aussi, assidûment, de saint Paul. Les citations explicites ou implicites de l’apôtre des nations sont légion dans ses écrits. Le membre de phrase : « Aussitôt la sagesse incréée, le Verbe de Dieu, qui est Dieu, le fils unique, l’image et la splendeur du père Tout-puissant… » est du saint Paul presque mot pour mot ; cet autre membre de phrase : « …puisque c’était l’homme qui par son crime avait fait entrer la mort dans le monde… » est une reprise de ce passage de l’épître aux Romains (5,12) qui a fait couler tant d’encre au sujet du « péché originel ».
Willermoz s’inscrit donc d’une manière parfaitement juste dans la « théologie de la rédemption » qui prédomine en Occident, en particulier depuis saint Anselme qui l’a théorisée, et qui, mettant l’accent sur le rachat, plante la croix au sommet de toute l’œuvre accomplie par le Christ. Au contraire, la théologie orthodoxe ne sépare pas la rédemption de l’homme par le Christ de sa déification par le Saint-Esprit. « La Passion ne peut être séparée de la Résurrection, et le corps glorieux du Christ assis à la droite du Père, de la vie des chrétiens ici-bas. » Et : « Le mystère de la Pentecôte est aussi important que celui de la Rédemption. L’œuvre rédemptrice du Christ est une condition indispensable de l’œuvre déificatrice du Saint-Esprit ». Ces quelques lignes sont extraites du chapitre V de l’ouvrage de Lossky déjà cité, intitulé « Rédemption et déification ». Pour cette théologie-là, la résurrection du Christ, prémices de la résurrection universelle, est l’accomplissement du salut des hommes, la restauration de la nature humaine, et la remise en marche de la race humaine vers ce qui est sa vocation : la déification de l’être créé par la grâce incréée.
On ne saurait faire grief à Willermoz de l’avoir ignorée. En revanche on ne saurait assez louer son œuvre de purification du martinésisme, sans quoi celui-ci serait resté un avatar tardif du judéo-christianisme