Nous fêtions hier saint Augustin, évêque d'Hippone. Un géant de la pensée, laquelle a prédominé dans l'Occident chrétien pendant mille ans, obnubilant celles, pourtant lumineuses de saint Hilaire de Poitiers et de saint Ambroise de Milan (pourtant son professeur). Comme l'écrivit le savantissime historien Henri-Irénée Marrou, "Augustin a été l'instituteur de tout le Moyen-Age". On me permettra d'ajouter : hélas !
Augustin ? L'homme ne peut que susciter l'amitié et l'attachement, ne serait-ce que par le fait qu'il ne cache rien des désordres de sa vie passée, qui le font si proche de nous...Il n'est pas comme ces saints que décrivent les hagiographes, qui le sont dès leur conception et qui, probablement, se tenaient déjà à genoux les mains jointes dans le sein de leur mère ! Il fut aussi un évêque modèle, remplissant avec acharnement toutes les missions attachées à sa charge, et d'autres en plus à cette époque où les invasions des Vandales faisaient s'écrouler l'administration impériale. Mais il fut aussi théologien, ce qui, pour un évêque, paraît naturel. Sauf que sa théologie causa des dégâts immenses et immensément durables. La raison ? C'est qu'Augustin avait été professeur de rhétorique et de philosophie, et que les philosophes font toujours de piètres théologiens. Pourquoi ? Parce qu'ils s'efforcent d'enfermer Dieu dans leurs concepts alors que Dieu est par nature inconcevable et insaisissable. Ils font, au mieux, de la philosophie religieuse. Or celle-ci raisonne et parle à propos de Dieu, qui devient donc objet - l'extrême caricatural de cela est la tentative de "prouver Dieu". Mais Dieu n'est pas objet, il est sujet. Dans la théologie vraie, Il parle de Lui, Il se révèle aux esprits aptes à recevoir cette révélation par l'ascèse et la prière. D'où l'axiome: celui qui prie vraiment est vraiment théologien.
Augustin avait sûrement cette aptitude, mais son armature intellectuelle fit obstacle à la réception de cette révélation. Chez lui, le Logos fit ombrage au Noûs.
D'où une série d'erreurs graves qui ont empoisonné pendant des siècles la pensée occidentale. L'inventeur du Filioque, c'est lui. C'est lui aussi qui a inventé que le Saint-Esprit était le lien d'amour entre le Père et le Fils, en établissant une distiction rhétorique parfaitement arbitraire entre l'Aimant (le Père), l'Aimé (le Fils) et l'Amour (le Saint-Esprit). Outre le fait que le Fils est aussi l'Aimant et le Père l'Aimé, si le Saint-Esprit n'est qu'un sentiment, même divin, Il n'est plus une Personne, une Hypostase. C'est à saint Augustin que l'on doit le presque total effacement du Saint-Esprit dans la théologie occidentale. Ce qui a eu de graves conséquences, en particulier de faire jouer à la Vierge Marie, en partie, le rôle incombant normalement au Saint-Esprit.
Autre fait. Saint Augustin ne s'est jamais vraiment consolé de sa vie de débauche dans sa jeunesse, et cette permanente culpabilité a encore été aggravée par le fait qu'avant d'être chrétien il avait été manichéen. D'où un discrédit confinant au rejet, à la fois conceptuel et pénitentiel de la chair et de ses oeuvres, qui ne pouvaient qu'être pécheresses. Cette condamnation a pesé pendant un millénaire et demi sur la conscience européenne, qu'on s'y soumette ou qu'on la combatte.
Enfin, dans sa lutte contre les pélagiens qui poussaient à l'extrême la capacité de l'homme à se sauver par ses propres moyens, il versa dans l'extrême opposé en niant totalement cette capacité. C'est en vertu de cette conception extrémiste que le grand saint Jean Cassien, qui établissait une synergie entre la volonté de Dieu et celle de l'homme, fut classé dans une catégorie spéciale d'hérétiques : les semi-pélagiens. On trouve ce qualificatif encore dans les années 50.
Conclusion : certains orthodoxes fanatiques, ne pouvant dénier toute sainteté à Augustin mais ne voulant pas la lui reconnaître entière, l'appellent "le bienheureux Augustin". C'est à la fois stupide et discourtois. Mais s'il y a un conseil à donner, lisons et relisons les Confessions. Comme le disait l'évêque Jean de Saint-Denis de bienheureuse mémoire, ce qui différencie saint Augustin et Rousseau, c'est que Rousseau se confesse devant les hommes et que saint Augustin se confesse devant Dieu.
Merci pour ce texte clair, bien écrit et remettant les choses en perspective. Je pense que Saint Augustin fut en quelque sorte victime de son succès. L'Eglise eut le tort, comme souvent, d'ériger ses écrits en vérités absolues alors que s'il avait d'indéniables qualités, il était faillible comme tout homme et avait également les travers que vous dénoncez... Trois choses majeures sont responsables de l'image désastreuse de la chrétienté, profondément enracinée dans l'inconscient collectif occidental :
RépondreSupprimer1) la culpabilisation par rapport à la chair, à la sexualité et au corps qui est responsable de 1500 ans de névroses diverses et de patriarcat machiste. On est loin d'en sortir quand on écoute certains propos de B XVI ou de Mgr Leonard...
2) l'obscurantisme superstitieux doublé d'un manque de connaissance des mondes spirituels et d'un manque de curiosité face à la Nature : c'est ce qui a engendré les bûchers, la condamnation de la science, a freiné l'évolution de la conscience humaine pendant des siècles et a conduit à rejeter tout caractère vivant et sacré de la Nature ce qui a mené indirectement à la catastrophe écologique que nous connaissons.
3) Le rejet du mouvement effectué par l'homme vers Dieu ce qui a conduit au rejet du ressentit mystique lumineux personnel et au rejet de l'ésotérisme en tant que recherche individuelle d'élargissement du champ de connaissance et de conscience. Ce qui a eut pour conséquence de faire du christianisme un ensemble de loi morales subjectives et sèches doté d'une spiritualité culpabilisante et doloriste pour ne pas dire névrotique. Quand on voit que certains saints catholiques n'ont eut comme "mérites" que d'être coprophages ou d'être dotés de "visions" sanglantes et morbides, on se demande quelle est la part de spiritualité dans l'hystérie fanatique...
Bref, c'est à cause de ces trois travers (découlant tous ou en partie de Saint Augustin?) que l'Eglise au lieu d'être le centre de Vie, d'Illumination, d'Amour et de Connaissance qu'elle avait vocation d'être, fut trop souvent un centre froid, mécanique, autocratique et coercitif uniquement soucieuse de propager son pouvoir temporel quitte à contribuer au malheur des hommes...
Bref, pardonnez cet emballement, mais in fine, je me dis qu'on a bien malmené le message de Jésus et l'impulsion de Lumière donnée par le Christ.
Votre réaction est enflammée mais parfaitement explicable : il y a eu une certaine domination durant des siècles de l'esprit pharisien - car c'est à cela que cela se résume : la préservation à tout prix de la pureté et de Dieu et des hommes. Ce qui a engendré des chrétiens terrorisés.
RépondreSupprimerMais, Dieu merci, l'Eglise du Christ ne se résume pas à cela. Pour ne prendre qu'un seul exemple emprunté à l'Eglise romaine, S. François de Sales est aux antipodes de cette attitudé. Il vit authentiquement de l'amour universel du Christ et manifeste cet amour dont il vit à toutes les créatures, en particulier les hommes, si déchus soient-ils. Et cet exemple n'est pas unique. Songeons par exemple, dans l'Orthodoxie, à un S. Séraphim de Sarov. L'amour divin renverse toutes les barrières du formalisme et du moralisme.