dimanche 24 juillet 2011

Dialogue sur la chute de l'homme (suite)

Le dialogue que j'avais engagé au sujet de la chute de l'homme s'est poursuivi. Il m'a paru utile de continuer à le publier ici.

Q. - Vous me citez : "La chute n'est pas un événement temporel, car le temps tel que nous le concevons et tel qu'il nous conditionne date justement d'elle."
Pourtant, la Création n'est-elle pas antérieure à la Chute dans la Genèse ?

R. - Vos réflexions perspicaces m'obligent à affiner mes réflexions.

"Le temps tel que nous le concevons [...] date de la chute". Le membre de phrase souligné est celui qui importe. Nous ne pouvons pas concevoir un autre type de temps que celui dans lequel nous vivons car nos conditionnements sont ceux de la chute, y compris pour notre intellect. Même chose pour l'espace. L'un et l'autre sont apparus consécutivement à la chute, c'est-à-dire à l'exclusion du paradis, autrement dit encore à la perte de cet état (car le paradis n'est pas un lieu mais un état) qui était un état de jouissance sempiternelle de la familiarité divine.

Notre intellect cependant, si borné soit-il, est capable d'aperçus qui sortent de nos catégories "terrestres". J'en veux pour preuve la théorisation par ce que j'appellerai le raisonnement-imaginal de ces constructions déraisonnables mais rationnelles qui semblent rendre compte des réalités qu'elles contredisent : les géométries non euclidiennes, les espaces à n dimensions, les espaces courbes, le temps réversible, l'espace-temps (espace convertible en temps et réciproquement), la relativité généralisée, et j'en passe. Toutes choses qui donnent à penser qu'il a existé et qu'il existe encore par delà les réalités immédiatement constatables d'autres réalités qui n'obéissent pas aux mêmes lois. C'est ce qu'on peut appeler le temps des anges et le lieu des anges, ou encore le temps hyperchronique et l'espace hypertopique. C'est à cela que renvoie la formule "les siècles des siècles" (en latin saecula saeculorum, en grec aiôna tôn aiônôn...d'où les "éons") qui n'a pas du tout le même sens que "siècle" ou "siècles" tout court.


C'est, j'en suis convaincu, dans ce temps-là et cet espace-là que se situent pour les créatures (évidemment pas pour Dieu, qui n'est conditionné par rien) le paradis : à l'origine pour Adam, et toujours maintenant pour les anges. Car cette sempiternité n'est pas statique : tout ce qui est de Dieu et avec Dieu est toujours dynamique. Selon saint Irénée, qui est très clair là-dessus (comme sur le reste), l'homme premier était destiné à évoluer : il avait été créé enfant (ce pourquoi Satan parvint si aisément à l'influencer), il lui fallait devenir adulte, acquérir la stature d'homme fait. J'aime à dire qu'il avait été créé parfait, et qu'il lui fallait devenir plus que parfait. En d'autres termes, il portait l'image divine, c'est-à-dire la vie, il lui fallait acquérir, ou conquérir, la ressemblance divine, c'est-à-dire la vie divine, la divinité.

Cet hyper-temps et cet hyper-espace, nous pouvons en conjecturer presque sûrement l'existence, mais nous ne savons pas comment ils fonctionnent. On peut sans trop d'erreur penser qu'ils ne fonctionnent pas en mode successif comme "notre" temps et "notre" espace. Ils peuvent par exemple fonctionner en mode simultané : c'est saint Basile, je crois, qui considère que les 6 + 1 actes de la création sont des opérations certes distinctes du Créateur mais opérées concurremment, la distinction n'étant pas chronologique. Mais, notre esprit ne pouvant saisir les objets auxquels notre pensée s'attache que consécutivement, il fallait instituer pédagogiquement cette succession selon notre temps.

De tout cela, nous aurons une science certaine... à l'accomplissement des temps !

Q. - En relisant le texte, je me disais qu'il y avait un point qui mériterait sans doute encore un développement en ce qu'il ne doit pas être facile à saisir pour nos contemporains si loin des réflexions théologiques, c'est celui-ci : "Pour ce qui est de la nature humaine, la cause est entendue : le Christ l'a hissée à la droite du Père, dans l'intimité de la Divine Trinité. Non seulement il a "réparé" les dégâts, mais le résultat final est infiniment plus sublime que n'était l'état initial."

En effet, l'argument de base contre cette assertion pourrait être double : "Si l'humanité est sauvée, pourquoi reste-t-elle dans la souffrance, la mort, le péché ? Si la venue du Christ a rétabli le lien entre l'Homme et Dieu, comment se fait-il que nous travaillons si bien depuis 2000 ans à nous détruire et à détruire notre environnement ? " ... La deuxième objection serait sans doute d'ordre comparative : "A-t-on réellement fait un progrès manifeste depuis la venue du Christ, au point de pouvoir dire que le résultat final est plus sublime que l'initial ? Comment jauger de cette différence ontologique entre l'avant et après Christ ?"

R.- Il faudrait de longs développements pour surmonter des attitudes qui, sous l'apparence d'arguments rationnels, sont des réactions passionnelles et psychiques ; c’est à ce domaine-là que ressortissent les « objections » que vous formulez et qui sont celles de tout le monde, à qui vous faites écho.


En première analyse, voici deux vérités d'évidence à la fois philosophique et théologique :


1) il faut, sous peine d'erreur grave, distinguer d'une part la nature propre à toutes les individualités, et autre part les individualités elles-mêmes. C'est la nature humaine qui est sauvée, glorifiée, déifiée. En revanche, il incombe à chaque individualité de conquérir cet état glorieux pour son propre compte, de se délivrer de l'humanité déchue où elle demeure incluse pour une large part (mais cependant pas pour sa totalité, contrairement à des vues outrageusement pessimistes) afin d'accéder à cette humanité sauvée, glorifiée, déifiée, ce qui se dit : conquérir le royaume des cieux.


2) la "différence ontologique" n'est pas mesurable par les accidents historiques ou individuels. Si l'état global n'est pas conforme à celui que Notre Seigneur a voulu établir, et a établi, par son incarnation, sa passion, sa mort et sa résurrection, c'est parce que, si Lui a fait son travail, les individualités en cause n'ont pas toutes fait le leur. C'est pourquoi tant l'évêque Jean de Saint-Denis, de vénérée mémoire, que le père Alexandre Men, ont affirmé que le christianisme était une entreprise d'avenir et non pas du passé. L'évêque Jean disait même : nous sommes à 97% païens et à 3% chrétiens ; il nous faut inverser les proportions : vaste programme !

Q.- J'aime bien cette idée de conquête du royaume des cieux, image ô combien chevaleresque... Je crois aussi, que le monde ne fut jamais réellement chrétien même au moyen âge...

R . – C’est parfaitement vrai ; même chose pour l'empire byzantin. Que n'a-t-on pas écrit sur la "symphonie" des pouvoirs au temps de Justinien ! Et pourtant quand on y regarde de près !!!

Q. - A voir ce que signifierait une société réellement chrétienne, par quoi se définirait-elle ? Comment exprimerait-elle une vraie "christianité" au delà (et à l'opposé ?) des attitudes réactionnaires outrées... ? Vaste et profond sujet de réflexions...


R. - Oui, cela vaudrait la peine.


Il est sûr en tout cas qu'une société chrétienne ne peut être "réactionnaire" ; en effet, une réaction, c'est une action opposée à une autre action, toutes deux sur le même plan. Cela revient à opposer les armes du monde aux armes du monde : tout le contraire de ce qu'a enseigné le Christ ! Le chrétien doit agir, non réagir, et avec les armes spirituelles.

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