dimanche 20 février 2011

Les Confessions de foi orthodoxes

Ce qu'ont en commun toutes les Confessions de foi des XVI-XIXe siècles, c'est le fait d'avoir été composées par les patriarches d'Orient sans que l'Eglise Russe y participât. Néanmoins, ces textes ne soulevèrent pas de contestations dans l'Eglise russe et certains d'entre eux y acquirent, ainsi que dans la théologie russe, une importance toute particulière, de sorte qu'on finit par les appeler parfois « livres symboliques ». Ce sont avant tout « la Confession Orthodoxe de l'Eglise catholique et apostolique orientale » et « le Message des patriarches de l'Eglise catholique orientale sur la foi orthodoxe » (la Confession de Dosithée [Saint Dosithée (1641-1707), métropolite de Césarée de Palestine]). A ces deux documents on ajouta parfois un troisième « livre symbolique » : le Grand Catéchisme du métropolite Philarète [Sur saint Philarète, voir mon billet du 7 février 2011].

Tel était l'avis du métropolite Macaire (Boulgakov) [Macaire (1816-1882), métropolite de Moscou, 2e successeur de saint Philarète].

« On doit reconnaître, écrit-il, en qualité de guide permanent pour des exposés détaillés des dogmes dans la théologie dogmatique orthodoxe :

1) la Confession Orthodoxe de l'Eglise catholique et apostolique orientale ;

2) le Message des patriarches orientaux sur la foi orthodoxe et

3) le Grand Catéchisme chrétien ».

 
Ailleurs il écrit :

« La Confession Orthodoxe marque réellement une époque dans(... )l'histoire [de la théologie orthodoxe]. Auparavant les enfants de l'Eglise d'Orient n'avaient pas de livre symbolique à eux, où ils puissent trouver une direction très détaillée, venant de l'Eglise elle-même, un guide dans le domaine de la foi(...) La Confession Orthodoxe de Pierre Moghila [Pierre Moghila (1596-1647), métropolite de Kiev. Partisan d'une « orthodoxie occidentale » et accusé, à tort ou à raison, de crypto-romanisme. Sa Confession orthodoxe (1640) fut conçue comme une réplique aux déclarations protestantes ou protestantisantes comme la Confession de Loukaris.](...) a été  le premier livre symbolique de l'Eglise d'Orient. Là, pour la première fois, sont exposés tous ses dogmes, en son nom, avec toute l'exactitude possible (...) C'est donc là qu'est donnée la direction la plus détaillée et aussi la plus sûre dans le domaine de la foi, tant à tous les orthodoxes, qu'aux théologiens orthodoxes en particulier, dans leur explicitation détaillée des dogmes ».

Le professeur P. P. Ponomarev considère également ces trois textes comme ayant une place à part parmi les autres textes symboliques, tout en s'exprimant à leur sujet avec plus de circonspection que le métropolite Macaire. Il s'en réfère au Saint Synode qui les a, sans doute, approuvés en qualité de « direction », mais « ne les appelle pas ouvertement livres symboliques », et il écrit dans son article de l'Encyclopédie théologique : « s'en tenant exactement à l'opinion du Saint Synode, il convient de considérer ces documents précisément comme une direction pour l'acquisition de connaissances théologiques et, si l'on utilise l'expression des savants, les appeler livres symboliques, ceci toutefois seulement dans un sens relatif et non absolu de ces termes » et « à la condition expresse d'être exactement conformes à la doctrine antique universelle ».
 
Il est cependant difficile d'adhérer à une mise à part de ces textes, même aussi relative. Nous ne répéterons pas ce qui a déjà été dit sur le contenu, les qualités et les défauts de la Confession Orthodoxe et de la Confession de Dosithée. Elles ne supportent, de toute façon, aucune comparaison avec « la doctrine antique universelle » ni au point de vue exactitude, ni à celui du niveau de la pensée théologique. De nombreux textes symboliques de l'époque postérieure aux Conciles Œcuméniques leur sont aussi infiniment supérieurs. Et d'ailleurs leur acceptation par l'Eglise russe n'est que relative et plutôt tardive. La Confession Orthodoxe fut, il est vrai, éditée à Moscou en 1696 sous le pontificat du patriarche Adrien et le Règlement Spirituel de Pierre le Grand s'y réfère, tout comme à la Confession de Dosithée, en 1722. Il serait difficile, cependant, d'accorder de l'importance ecclésiastique au témoignage du Règlement Spirituel, car celui-ci aurait besoin, lui-même, d'un témoignage sur son orthodoxie et son caractère ecclésial.

Quoi qu'il en soit les deux Confessions n'exercèrent presque aucune influence sur la théologie russe avant les années 30-40 du XIXe siècle, c'est-à-dire avant l'époque où le comte Protassov devint Procureur suprême du Saint Synode. Elevé par les jésuites et ayant subi l'influence latine, Protassov souhaitait introduire dans l'Eglise russe des règles analogues à celles de l'Eglise romaine. C'est dans ce but qu'il commença à avancer l'idée de l'autorité des « livres symboliques » : la Confession orthodoxe de Pierre Moghila et la Confession de Dosithée, ceci d'autant plus que leur aspect latinisant était proche de son cœur. Quoi qu'il en soit, ainsi que le note avec raison Ponomarev, « l'attention toute particulière que l'Eglise russe témoigna envers la Confession Orthodoxe commença aux années 30-40 du XIXe siècle et c'est à partir de ce moment que les savants théologiens commencèrent à s'en occuper en Russie (quoique pas tous) », comme nous le verrons. En 1837, la Confession Orthodoxe fut traduite en langue russe [Elle avait été rédigée en latin], en vertu d'une décision du Synode. L'année suivante, 1838, en vertu de la même décision, fut faite la traduction de la Confession de Dosithée et c'est à partir de cette époque que commence leur vaste diffusion obligatoire dans les écoles théologiques et dans la théologie russe.
 
Pour ce qui est du Catéchisme du métropolite Philarète, nous ne pouvons, certes, pas faire ici une analyse théologique détaillée de cet ouvrage. Disons seulement que son niveau théologique est incontestablement supérieur à celui de la Confession Orthodoxe et de la Confession de Dosithée, auxquelles il se réfère dans sa dernière version sous l'influence de Protassov. Comme on le sait, le texte du Catéchisme publié en 1823-1824, fut soumis par la suite à des modifications à deux reprises. En 1827-1828, ces modifications se bornèrent à remplacer la langue russe dans les citations bibliques et patristiques par la langue slavonne.

En 1839, sur l'insistance du procureur suprême, Protassov, en collaboration avec le métropolite Séraphim (Glagolevsky) et d'autres membres du Saint Synode, des modifications plus sérieuses furent faites dans le texte même. Il convient de dire que la « correction » du Catéchisme dans le sens de sa latinisation et sa correspondance avec les Confessions de Moghila et de Dosithée, n'a pas toujours été heureuse. Ainsi cette édition ajoute aux mots « sont changés » (concernant les Saints Dons) les mots « ou transsubstantiés ». Ce terme est, il est vrai, expliqué avec référence à la Confession de Dosithée, dans un sens orthodoxe, celui d'un changement incompréhensible et réel. Néanmoins, on ne peut que regretter l'introduction dans le Catéchisme de ce terme scolastique étranger à la tradition orthodoxe. La doctrine de la rédemption est exposée d'une façon encore moins satisfaisante pour la conscience orthodoxe, à l'aide de notions « du prix et de la dignité infinis » du sacrifice sur la croix et « d'une entière satisfaction de la justice divine ». Cependant, le métropolite Philarète avait refusé de suivre en tout la Confession de Moghila et, malgré la pression faite sur lui, il n'introduisit pas dans son Catéchisme la doctrine latine sur les « commandements de l'Eglise » qui se rencontre, comme nous l'avons vu, dans la Confession Orthodoxe.
 
Dans l'ensemble et malgré tous ses défauts, le Catéchisme de Philarète représente un monument de la théologie russe, remarquable par la clarté de l'exposition ; cependant il serait faux de lui donner une place à part parmi les nombreux textes symboliques et de l'élever au rang d'un « livre symbolique ». En effet, nous avons vu qu'il n'est pas sans défauts et d'ailleurs le Saint Synode lui-même, en approuvant le Catéchisme, ne l'appelle pas « livre symbolique », mais se borne à le recommander en qualité de guide. D'autre part, l'autorité et l'importance du Catéchisme de Philarète se limitent à l'Eglise orthodoxe russe. Il est peu connu hors de ses limites, surtout parmi les Grecs.

C'est grand dommage, car c'est un ouvrage remarquable.

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