Le texte ci-dessous avait déjà attiré mon attention par son côté en apparence paradoxal et en réalité porteur de vérités, et je l'avais publié sur ma page FaceBook.
Un de mes amis, Galahad, l'a publié sur son blog http://www.relianceuniverselle.com/ ce qui m'a donné l'idée de suivre son exemple, car ce qui y est formulé mérite d'être diffusé aussi largement que possible.
Voici comment Galahad le présente :
Voici un texte qui circule sur le Net depuis quelques
mois et auquel j'adhère totalement. Il est écrit par un orthodoxe québécois
qui apporte sa réflexion dans un débat qui avait agité le monde intellectuel et
politique du Québec : faut-il enlever le crucifix de l'Assemblée nationale ?
Suite à ce débat, l'auteur explique ici pourquoi et
comment le Christ fut véritablement à l'origine de la laïcité et comment sans
cette dernière un vrai christianisme est impossible, c'est brillant. ! Mais
attention qu'on parle bien ici de vraie laïcité, à savoir la séparation des
sphères spirituelles et temporelles, non d'un fondamentalisme athée déguisé ou
d'un militantisme anti-chrétien comme c'est souvent le cas en Belgique et en
France .
Le Crucifix à
l’Assemblée nationale, ou comment la laïcité est inscrite dans le
christianisme,
par Hélios d'Alexandrie
Le débat sur la laïcité et le Crucifix à l’Assemblée
nationale du Québec s’est rallumé à la faveur de la campagne électorale, suite
aux déclarations de Djemila Benhabib quant à sa position personnelle sur le
sujet.
Pour elle la laïcité institutionnalisée ne peut
logiquement admettre un symbole religieux au salon bleu, là où les
représentants du peuple québécois débattent de différents sujets politiques.
Madame Benhabib, qui se présente aux élections sous la bannière du Parti
Québécois, se rallie toutefois à la position officielle du parti, à savoir que
le Crucifix à l’Assemblée Nationale constitue un symbole et un héritage
culturel du peuple québécois, comme tel sa présence au salon bleu n’a pas de
signification religieuse.
On le voit, le débat se situe, non sur la place de la
religion dans le champ politique (aucune place ne lui est reconnue), mais sur
la signification d’une représentation à caractère religieux au sein de
l’institution politique. Les uns n’admettent que son caractère religieux, les
autres ne lui reconnaissent qu’une valeur culturelle. Le débat en ce qui
concerne la laïcité ne se situe donc pas sur le plan pratique, maintenir ou
enlever le Crucifix du salon bleu de l’Assemblée Nationale ne changera rien aux
mesures que le futur gouvernement appliquera pour assurer la laïcité de
l’espace public.
Il est réconfortant de constater qu’on discute
passionnément de part et d’autre d’un symbole. Si le salon bleu était orné de
représentations de Jupiter, d’Hercule, de Mars ou de Vénus, nul ne s’en
offusquerait ; il s’agit pourtant de dieux de l’antiquité, donc de
représentations religieuses. Si l’on ne s’en fait pas du tout quand il s’agit
de divinités grecques ou romaines c’est parce qu’elles n’ont plus pour nous de
signification religieuse. Nous les regardons comme des entités mythologiques et
nous nous arrêtons sur l’aspect artistique et esthétique de leur
représentation. Si le Crucifix suscite autant de passion c’est que,
contrairement aux personnages mythologiques, il recèle un sens profond pour la
majorité des gens, partisans comme opposants à sa présence au salon bleu.
Les opposants autant que les partisans donnent
l’impression d’être sous l’emprise de leurs sentiments et de leurs émotions. Si
le sujet n’est pas à proprement parler explosif, il est du moins passablement
brûlant. C’est pourquoi il devient important d’en discuter objectivement afin
d’y voir plus clair : la question qui se pose est de savoir si
religion chrétienne et laïcité sont antinomiques au point de devoir occulter
toute référence au christianisme dans l’espace public.
Retour aux sources
Le christianisme est issu du Nouveau Testament et plus
particulièrement des quatre Évangiles qui relatent les gestes et transmettent
l’enseignement de Jésus-Christ. La laïcité n’existait pas alors, et ne voulait
donc rien dire durant les siècles qui ont précédé et suivi la naissance du
christianisme. Politique et religion se mélangeaient, l’idéologie politique
avait besoin de la religion pour se légitimer et s’affirmer : on
sacrifiait au génie de l’empereur romain et celui-ci après sa mort était déifié
par le sénat. Les charges civiques et religieuses étaient tour à tour assurées
par les mêmes notables. Loyalisme politique et loyalisme religieux étaient une
et même chose, ce qui explique pourquoi les premiers chrétiens ont été
poursuivis et persécutés en tant qu’ennemis de l’État romain.
Le peuple juif dont Jésus est issu vivait sous l’emprise
de la religion. Vie quotidienne et pratique religieuse ne faisaient qu’un, et
l’observance religieuse était contraignante au-delà de l’imaginable. Une
attention particulière était attachée au pur et à l’impur, au licite et à
l’interdit. L’occupation romaine et la présence d’une importante diaspora juive
dans les différentes régions de l’empire a contraint les juifs à côtoyer les
païens impies et impurs, d’où le besoin de dresser des barrières morales
assurant la distinction voire l’isolement des communautés juives.
Le messianisme en terre d’Israël est apparu avec
l’incorporation du territoire dans l’empire romain. Il s’agissait d’une
idéologie politico-religieuse portée par les nationalistes juifs qui
s’opposaient à l’occupant romain, libération nationale et souveraineté divine
étaient alors intimement liées.
C’est dans ce contexte (historique, politique, social et
religieux) qu’il convient d’appréhender l’enseignement de Jésus. Son message
éminemment spirituel se devait d’être reçu comme tel, débarrassé de tous les
malentendus d’ordre politique, légal et social. En lisant les évangiles on
constate qu’à maintes occasions, Jésus s’est employé à expliquer, voire à
clarifier sa mission et son message; c’est ainsi qu’il a délibérément et en
toute connaissance de cause, créé ce qu’il est convenu d’appeler la
laïcité vingt siècles plus tard.
Laïcité dans l’espace public
C’est par nécessité et non par choix idéologique que
Jésus a conçu la laïcité. La relation avec Dieu, l’amour du prochain et
l’élévation sur le plan spirituel procèdent d’une démarche intime et non d’un
choix de la collectivité. Il s’ensuit que les manifestations publiques de
piété, de charité et d’observance religieuse (vestimentaires et culinaires)
relèvent davantage de l’ostentation que de la quête de Dieu. Pour illustrer mon
propos je cite les passages suivants de l’Évangile selon Saint Matthieu :
"Gardez-vous de faire les bonnes œuvres devant les hommes,
pour vous faire remarquer d’eux; sinon, vous n’aurez pas de récompense auprès
de votre Père qui est dans les cieux. Quand donc tu fais l’aumône, ne va pas le
claironner devant toi; ainsi font les hypocrites dans les synagogues et les
rues, afin d’être loués par les hommes; en vérité je vous le dis, ils tiennent
déjà leur récompense. Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche
ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète; et
ton Père, qui voit dans le secret, te le
rendra." (Matthieu 6 2–4)
"Et quand vous priez, ne soyez pas comme les
hypocrites : ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les
synagogues et les carrefours, afin qu’on les voie. En vérité je vous le dis,
ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi quand tu pries, retire-toi
dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le
secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le
rendra." (Matthieu 65–6)
"Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme
font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour que les hommes
voient bien qu’ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur
récompense. Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que
ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le
secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le
rendra."(Matthieu 6 16–18)
De ces extraits tirés du « Sermon sur la
montagne », on comprend que pour Jésus, la spiritualité authentique se vit
dans l’intimité et non à la vue de tout le monde; il en découle que pour les
croyants sincères l’espace public est nécessairement exempt de religion. Seule
une laïcité pleine et entière est en mesure de mettre un frein à l'exhibitionnisme
religieux.
Religion et exercice du pouvoir
Mais Jésus a également dénoncé, non sans un brin
d’humour, les détenteurs du pouvoir spirituel : prêtres, scribes et
pharisiens. Tyrannie morale et ostentation vont de pair.
"Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les
pharisiens… Ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font
pas. Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais
eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. En tout ils agissent pour se faire
remarquer des hommes. C’est ainsi qu’ils font bien larges leurs
phylactères (petites boîtes renfermant les paroles essentielles de la
Torah qu’on s’attachait aux bras et au front) et bien longues leurs
franges. Ils aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers
sièges dans les synagogues, à recevoir les salutations sur les places publiques
et à s’entendre appeler « Rabbi » par les gens." (Matthieu 23 1-7)
Le propre des tyrans est de restreindre arbitrairement la
liberté des gens en leur imposant des charges et des contraintes dont ils
s’exemptent eux-mêmes. Ils se révèlent par ailleurs avides et insatiables au
chapitre des honneurs et de l’adulation. Le pouvoir et les avantages qu’ils se
donnent suscitent des émules lesquels s’évertuent à perpétuer la tyrannie. À
travers cette dénonciation du pouvoir religieux, Jésus met en garde contre les
dangers de la théocratie et, par la même occasion, invite son auditoire à
exercer son esprit critique.
Mais il ne se contente pas de dénoncer les scribes et les
pharisiens, plus d’une fois il met en garde ses propres disciples contre la
tentation du pouvoir :
"Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles
en maîtres et que les grands font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être
ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi
vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous,
sera votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être
servi, mais pour servir et donner sa vie en rédemption pour la
multitude. (Matthieu 20 25-28)
Pour vous, ne vous faites pas appeler
« Rabbi » : car vous n’avez qu’un Maître et tous vous êtes
des frères...Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Quiconque s’élèvera
sera abaissé et quiconque s’abaissera sera élevé."(Matthieu 23 8
et 11-12)
L’esprit d’humilité, indissociable de l’amour, est
l’antidote par excellence contre l’esprit de domination. Pour celui qui
« s’élève » au-dessus des autres, la jouissance qu’accorde l’exercice
du pouvoir s’accompagne invariablement d’un abaissement sur le plan spirituel.
C’est ainsi que Jésus a dissocié et par la même occasion affranchi la religion
du pouvoir temporel ; ce faisant il a également affranchi le pouvoir temporel
de la religion.
Les pharisiens pour qui le pouvoir temporel et la
domination revenaient à Dieu, c'est-à-dire à ses représentants sur terre,
n’étaient pas du même avis que Jésus. Ils croyaient lui tendre un piège et
l’obliger à se discréditer ou à se contredire en lui posant une question au
sujet de la taxe imposée par l’autorité romaine : « Devons-nous
payer, oui ou non? » S’il répondait par l’affirmative il serait jugé comme
un collaborateur impie. S’il disait non, il reconnaîtrait implicitement que
religion et politique sont indissociables. On connaît la réponse de
Jésus :
« Pourquoi me tendez-vous un piège? Apportez-moi un
denier, que je le voie.» Ils en apportèrent un et il leur dit :
« De qui est l’effigie que voici? Et l’inscription? » Ils lui
dirent : «De César. » Alors Jésus leur dit : « Rendez à
César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu. »(Marc 12 15-17)
D’aucuns ont jugé la réponse de Jésus comme une
« pirouette » ou une non-réponse, il n’en est rien et d’ailleurs
l’évangéliste rapporte que les pharisiens : « … étaient fort surpris
à son sujet. » En montrant à Jésus un denier à l’effigie de l’empereur
romain, les pharisiens reconnaissaient implicitement leur participation à la
vie économique de l’empire, les avantages qu’ils en retiraient s’accompagnaient
naturellement d’obligations dont le paiement d’impôt. C’est le sens du :
« Rendez à César ce qui est à César ». Et pour bien indiquer qu’il
faut séparer la religion de l’économie et de la politique Jésus a aussitôt
ajouté : « Et à Dieu ce qui est à Dieu », traçant ainsi une
ligne de démarcation nette entre les devoirs du citoyen et ses obligations
religieuses.
Le dialogue de Jésus avec Pilate est, à bien des égards,
éclairant sur la nature du christianisme. Pilate croit au départ devoir juger
une affaire politique, il interroge Jésus et lui demande s’il est le roi des
juifs. La réponse est claire :
«Mon royaume n’est pas de ce monde, s’il l’était mes
serviteurs auraient combattu pour m’empêcher de tomber aux mains des juifs… Je
suis roi, je ne suis né et je ne suis venu dans le monde que pour rendre
témoignage à la vérité, toute personne qui appartient à la vérité écoute ce que
je dis.» (Jean 18 36-37)
La distinction entre pouvoir politique et mission
spirituelle est ici clairement établie, la royauté de Jésus est d’ordre moral
et spirituel, elle définit sa mission : parler de la vérité aux personnes
disposées à l’écouter.
Jésus et les lois religieuses
En plaçant l’être humain et la conscience humaine
au-dessus de la loi religieuse, Jésus a établi les fondements de la laïcité ;
aux pharisiens qui lui reprochaient de transgresser la loi religieuse et de
guérir un malade le jour du Sabbat, il a dit:
« Est-il permis, le jour du Sabbat, de faire du bien
plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer? » (Marc 3 4)
Plus tôt il s’était adressé aux mêmes pharisiens en ces
termes :
«Le Sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le
Sabbat. » (Marc 2 27)
L’épisode de la femme adultère est aussi explicite. Elle
est amenée devant Jésus par les scribes et les pharisiens qui l’établissent
juge de l’affaire afin de le mettre à l’épreuve et avoir matière à
l’accuser :
« Maître cette femme a été surprise en flagrant
délit d’adultère. Or, dans la loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces
femmes-là. Toi donc, que dis-tu? »… Comme ils persistaient à l’interroger,
il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans
péché lui jette le premier une pierre! »… Eux entendant cela, s’en
allèrent un à un, à commencer par les plus vieux; et il fut laissé seul, avec
la femme toujours là au milieu. Alors, se redressant, Jésus lui dit :
« Femme, où sont-ils? Personne ne t’a condamnée? » Elle dit :
« Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus,
je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche
plus. » (Jean 8 4-11)
Ce passage est intéressant en ce sens que Jésus n’a pas
édicté de nouvelle règle ni abrogé une loi religieuse, il s’est contenté de
placer les gens devant leur conscience. Du coup la loi religieuse perd son
caractère divin, elle est désormais assujettie à la conscience humaine. Partout
où elle s’invitait dans les affaires des hommes, Jésus a pris le parti de
l’être humain en le libérant de l’observance aveugle ou obsessionnelle de la
loi.
En plus d'affirmer la laïcité dans le champ légal, Jésus
a établi les fondements de l'humanisme.
Le crucifix à l’Assemblée Nationale
Il s’agit de toute évidence d’une image religieuse,
plusieurs le tiennent pour un héritage culturel. Mais il est bien plus que
cela, car le crucifix représente Jésus-Christ, celui qui, par sa parole, cette
parole adressée à des gens simples, a changé la face du monde et le cours de
l’histoire. Une lecture attentive des Évangiles nous amène à conclure que la
modernité tire son origine de l’enseignement de Jésus.
La laïcité représente une facette importante de la
modernité, elle est au cœur de l’enseignement de Jésus-Christ; sans laïcité le
christianisme authentique est impossible.
Jésus a été condamné à mourir sur la croix à cause de ce
qu’il a dit et enseigné. Son message était à ce point en avance sur son époque
qu’il a profondément insécurisé les autorités religieuses et politiques de son
temps. Mais on ne tue pas les idées ni les paroles, pas celles qui sont
porteuses d’amour, de don de soi, de pardon, de paix, de respect,
d'authenticité, de liberté, d’égalité, de non-violence ; et pas celles qui
dissipent toute confusion entre le sacré et le politique, entre la
religion et la loi, entre la foi et son exhibition.
Le crucifix à l’Assemblée Nationale nous rappelle
simplement la place centrale qu’occupe Jésus-Christ dans notre
civilisation. Cela nous ne devons jamais l’oublier.
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