Le soir de ce même jour, le premier de la
semaine, alors que, par peur des Juifs, les portes du lieu où se trouvaient les
disciples étaient fermées, Jésus vint et se tint au milieu d’eux, et il leur
dit : « Paix à vous ! » Et, ayant dit cela, il leur montra
et ses mains et son côté.
Les disciples furent donc remplis de
joie à la vue du Seigneur.
Il leur dit donc
de nouveau :
« Paix à vous !
Comme le Père m’a envoyé, moi aussi
je vous envoie. »
Et, ayant dit cela,
il souffla sur eux, et il leur dit :
« Recevez
l’Esprit-Saint ;
les péchés
seront remis à ceux à qui vous les remettrez,
ils seront retenus à ceux à qui
vous les retiendrez. (Jn 20, 19-23).
Cet épisode, seul Jean le relate
en détails, alors que Matthieu ne le mentionne pas et que Marc et Luc (celui-ci
dans son évangile et dans les Actes) le décrivent différemment.
Si Jean le Théologien nous
fournit ces détails, c’est à cause de leur valeur théologique. Cet épisode est en effet clairement ecclésial.
Le Christ apparaît à l’ensemble de ses disciples (il ne
résulte pas clairement du texte de saint Jean si seuls les apôtres – les Onze –
sont présents, ou si avec eux sont aussi présents tous les disciples, mais la
comparaison avec Luc, qui mentionne « les Onze et leurs compagnons »
([Lc 24, 33] montre que la seconde interprétation est la bonne).
Il apparaît donc à l’ensemble de
ses disciples – hormis Thomas, mais son tour viendra huit jours plus tard.
Il leur donne la paix une première fois, puis une seconde
fois, c’est-à-dire qu’il confirme son don.
Et sa présence les met en joie. Et l’on sait que la paix et la
joie sont, avec l’amour, les dons du Saint-Esprit.
Précisément, il leur donne le
Saint-Esprit, et cela, non pas symboliquement, mais effectivement,
concrètement, par le souffle de sa bouche.
A ce sujet, il est très important
de noter que le verbe « souffla » employé ici, en grec enephusèsen¸ est exactement le même que
celui que la Septante
a utilisé dans sa traduction du verset 7 du chapitre 2 de la Genèse :
« Le Seigneur Dieu façonna l’homme,
poussière tirée du sol, il insuffla
dans ses narines un souffle (ou :
une haleine) de vie, et l’homme devint une âme vivante ».
Verset auquel fait fidèlement
écho ce passage du Livre de la
Sagesse (15,11) :
« (L’idolâtre) a méconnu celui qui l’a
modelé, qui lui a insufflé (même
verbe) une âme agissante et inspiré un
souffle vital ».
Et enfin – ce qui est plus
important – on retrouve encore le même verbe dans un passage de la prophétie
d’Ezéchiel qui est proclamée le Vendredi saint :
« Esprit, vient des quatre vents, souffle sur ces morts, et qu'ils
revivent ! »
Il est donc clair que ce qui
s’opère ici, c’est une nouvelle création. Non pas seulement un renouvellement, un renouveau, mais une
création totalement nouvelle, par le Verbe et par l’Esprit.
(On peut évoquer le verset 30 du
psaume cosmique : « Tu envoies
ton souffle et ils sont créés, et tu renouvelles la face de la terre ».)
Auparavant, le Christ a dit à ses
disciples :
« Comme mon Père m’a envoyés, je vous envoie ». L’œuvre
dont il les charge ainsi, c’est la mission,
que la puissance du Saint-Esprit leur permettra d’accomplir, comme
l’illustreront d’une manière les Actes des Apôtres, qu’on a pu appeler
« l’évangile du Saint-Esprit ».
Enfin, l’autre œuvre qu’il leur
confie, c’est la rémission des péchés :
« Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils
seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez ». Il est important de
noter que ce membre de phrase suit immédiatement, au sein de la même phrase,
celui où Jésus dit : « Recevez l’Esprit-Saint ».
En effet, la rémission des péchés
n’est possible qu’à Dieu : c’est ce que les Juifs, scandalisés,
objectaient véhémentement à Jésus à chaque fois qu’il disait à quelqu’un :
« Va, tes péchés te sont
remis ». Et voici que ce pouvoir divin, exclusivement divin, le Christ
le donne à son Eglise.
Je dis bien : son Eglise. En
effet, les apôtres sont assemblés, et, la fois suivante, au complet.
C’est donc au collège apostolique que Jésus
- donne la paix,
- confie la mission,
- communique le Saint-Esprit,
- donne le pouvoir de la rémission des péchés.
Il leur donne tout cela « en
bloc », avant de leur envoyer personnellement le Saint-Esprit le jour de la Pentecôte , Saint-Esprit
qui, par sa puissance, leur donnera alors à chacun la capacité et la force
d’accomplir ce dont le Christ les a chargés. Ce que lui-même leur avait annoncé
auparavant en leur disant : « Vous,
c’est dans l’Esprit-Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours » (Actes
1, 5) et : « Lorsque le Saint-Esprit
descendra sur vous, vous serez revêtus de force, et vous serez mes témoins à
Jérusalem, et dans toute la
Judée et la
Samarie , et jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes
1, 8).
Ainsi donc, l’Eglise est fondée –
car cet épisode en est le fondement, la vie dynamique lui étant communiquée à la Pentecôte – sur quatre
piliers :
- la paix,
- la mission (ou l’évangélisation ou le témoignage
rendu à Jésus-Christ),
- la réception du Saint-Esprit,
- la rémission des péchés ou le pardon.
Si un seul de ces piliers manque,
l’Eglise s’effondre.
Le pardon, en l’occurrence, est
ce qu’on peut appeler le pardon sacramentel : le pardon donné
en Eglise et par l’Eglise, pardon donné
au nom du Christ et par la vertu puissante du Saint-Esprit.
De ces trois éléments étroitement
liés :
- la puissance du nom du Christ (« Il n’est pas d’autre nom sous le ciel
par lequel nous devions être sauvés », proclame Pierre devant le
Sanhédrin [Actes 4, 12]),
- la réception du Saint-Esprit,
- la rémission des péchés,
le troisième est la conséquence
des deux premiers, mais il dépend aussi d’une condition sine qua non : le repentir.
Ainsi que le déclare l’apôtre
dans son discours à la foule le matin de la Pentecôte (Actes 2,
14-40, en particulier 38) :
« Repentez-vous, et que chacun soit baptisé au nom de Jésus- Christ pour la rémission des péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit ».
Je reviendrai plus tard sur le repentir.
Je veux, à ce point de mon
exposé, mettre en relief un point important : dans l’Eglise, pour que
celle-ci soit conforme aux desseins du Seigneur, pour que nos célébrations
soient justes, pour que nous puissions dire sans hypocrisie : « En paix, prions le Seigneur »,
il faut à tout prix pratiquer le pardon
entre frères.
C’est une prescription du Christ
lui-même (Mt 5, 23-24) :
« Si tu présentes ton offrande sur
l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi,
laisse ton offrande là, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton
frère, et alors viens présenter ton offrande ».
Remarquons bien ce dont il est
question ici : non pas des griefs ou de la rancune que je peux éprouver
contre mon frère, mais bien de ceux que mon frère éprouve contre moi, même si
je n’en éprouve pas moi-même, et même si ces griefs et cette rancune ne sont
pas fondés ! C’est extraordinairement exigeant !
Mais il faut remarquer aussi que
cette prescription figure dans la liste des huit prescriptions que l’on trouve
dans le chapitre 5 de saint Matthieu à la suite des Béatitudes – huit
prescriptions, comme les huit Béatitudes – et cela dans un passage qui commence
par :
« Car je vous dis que si votre justice
n’abonde pas plus que celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas
dans le Royaume des cieux » (Mt 5, 20)
et s’achève par :
« Vous serez donc parfaits, vous, comme
votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 47).
Ces huit prescriptions – dont la
dernière n’est autre que celle d’aimer ses ennemis – sont, comme les huit
Béatitudes, un passeport pour le Royaume
des cieux. Elles sont hors de portée des hommes...mais « à Dieu rien n’est impossible ». En l’occurrence,
c’est l’action du Saint-Esprit sanctificateur – action qu’il serait sacrilège
de dissocier de celle des deux autres Personnes divines, mais qui pourtant lui
est propre –qui rend parfait.
Je passe maintenant à un autre
sujet, et c’est cette fois la parabole du fils prodigue qui me fournira mon
thème, lequel est le pardon personnel, j’entends par là le pardon
demandé et reçu pour soi-même.
Inutile de la relire, chacun l’a
en mémoire. Rappelons simplement que cette histoire est celle de l’homme en
général, et aussi l’histoire de chacun de nous – et souvent répétée, hélas...Histoire
qui n’est pas mythique car elle peut être, et est souvent expérimentée par tout
homme dans son existence : Adam, exclu du Paradis par sa faute, c’est-à-dire
privé de la familiarité et de l’intimité divines, plongé dans une existence de
misère, de malheur, d’hostilité ; mais qui, en fin de compte, se repentant,
fait retour à son Père.
Il faudrait davantage de temps
pour traiter à fond du repentir. Brièvement, on peut dire ceci : se
repentir, c’est faire retour. Se
détourner de soi-même et faire retour
à Dieu en esprit ; puis faire retour sur soi-même et se
considérer en vérité à la lumière divine : roi de l’univers devenu gardien
de cochons ; et enfin faire de
nouveau retour à Dieu, non plus seulement en esprit, mais en se
présentant devant lui tel que l’on est dans l’entièreté de notre être, et le
cœur empli de confiance dans son amour miséricordieux.
Faire retour à son Père qui est
Dieu : il faut se déshabituer de voir Dieu comme un Juge ! C’est
un Père, et un Père qui nous aime tendrement.
Faire retour à son Père qui est
Dieu, c’est aussi reconnaître ce qu’on avait précédemment nié ou renié :
un lien de dépendance, non pas servile (même si le fils prodigue dit qu’il
n’est plus digne d’être fils, mais mercenaire), mais dans l’amour réciproque.
Amour du Père pour son fils et du fils pour son Père. Or seul le Saint-Esprit,
qui communique l’amour, peut tisser ce que l’apôtre appelle « le lien de
la charité ».
Mais il y a plus. Ce Père, c’est
Dieu ; mais comment donc pouvons-nous dire de Dieu qu’il est notre Père ?
Certes, en écoutant le Christ, et
d’abord en priant sa propre prière que lui-même nous a enseignée :
« Notre Père qui es aux cieux... ». Combien de fois n’a-t-il pas
répété à ses disciples que son Père est aussi le nôtre ? La toute dernière
fois, c’est à Marie-Madeleine, lorsqu’il lui apparaît le matin même de
l’épisode que j’ai relu en commençant, et qu’il lui dit : « Ne me touche pas ! Va-t-en vers
mes frères (« frères », et non pas « disciples », ni
même « amis », comme à la
Cène ) et
dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et
votre Dieu » (Jn 20, 17).
Or comment être, et savoir que
l’on est, fils de Dieu ? L’apôtre Paul nous l’enseigne : « Tous ceux qui sont menés par l’Esprit
de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit
de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit
d’adoption filiale, par lequel nous crions : Abba !
Père ! » (Ro 8, 15).
De la même façon, « nul ne peut dire : Seigneur
Jésus, si ce n’est par l’Esprit-Saint » (1Co 12, 3), cet Esprit-Saint
que le Père nous a envoyé au nom du Christ « pour demeurer avec nous à
jamais » (Jn 14, 16). C’est l’Esprit-Saint qui, en demeurant en nous, en
faisant de chacun de nous son habitation et son temple (« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit-Saint
de Dieu habite en vous » [1 Co 3, 16]), c’est lui qui nous rend conformes au Christ.
C’est lui, par conséquent, qui
nous communique la capacité – qui, autrement, est tout à fait hors de notre
portée – d’aimer nos ennemis et de leur pardonner entièrement : « Père, pardonne-leur, car ils ne
savent pas ce qu’ils font » - parole rapportée par saint Luc,
c’est-à-dire, peut-on supposer, confiée à lui par Marie (puisque, selon la
tradition, il a recueilli les souvenirs de la Mère de Dieu. Exactement de la même façon,
Etienne, le proto-martyr, « rempli
de l’Esprit-Saint » (Actes 7, 55), s’écria, pendant qu’on le
lapidait : « Seigneur, ne leur
impute pas ce péché ! » (ibid. 60). Il était devenu totalement
conforme au Christ !
« Mais – nous avertit l’apôtre - l’homme psychique n’accepte pas les dons de
l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les
connaître, parce que c’est spirituellement qu’on en juge » (1Co 2,
14).
Le pardon, il faut bien
l’admettre, n’est pas du tout naturel à l’homme. Il est extrêmement difficile
de pardonner à autrui, et aussi – les Pères, dont Monseigneur Jean, insistent
beaucoup là-dessus – de se pardonner à soi-même, et même de pardonner à
Dieu ! L’âme se révolte contre cela.
D’où le précepte que Jésus fait
dire au docteur de la Loi
qui l’interroge – juste avant la parabole du Bon Samaritain : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et
ton prochain comme toi-même » (Lc 10, 27). Aimer (Dieu, autrui, soi-même)
exclut obligatoirement la rancœur et inclut obligatoirement le pardon, le
pardon demandé et donné. Le pardon est
don, une forme supérieure du don.
C’est le gage de l’entrée dans le
Royaume des cieux. Le Christ après la déclaration du docteur de la Loi , conclut : « Tu as correctement répondu ;
fais cela, et tu vivras » (ibid. 28). La vie dont il est question ici,
c’est évidemment la vie éternelle, que Dieu nous communique par son Esprit
en nous rendant conformes à lui.
En effet :
« Si l’Esprit de Celui qui a relevé Jésus
d’entre les morts habite en vous, Celui qui a relevé d’entre les morts le Christ
Jésus fera vivre aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous »,
enseigne saint Paul aux Romains (8, 11), après avoir déclaré : « La loi de l’Esprit de vie dans le Christ
Jésus m’a libéré de la loi du péché et de la mort » (ibid. 2).
Soyons bien conscients que,
réduits à nos propres forces, nous ne pouvons rien, ou pas grand-chose, en tout
cas nous ne pouvons rien mener à son achèvement. Nous ne savons ni aimer, ni
prier, ni pardonner autrement que médiocrement.
C’est pourquoi le Père qui nous
aime tendrement nous envoie son Esprit, qui est aussi l’Esprit de son Fils,
pour suppléer à notre faiblesse – mais non à notre paresse : il n’a pas
d’indulgence pour les indolents ! Ainsi que l’apôtre Paul l’enseigne aussi
aux Romains (Ro 8, 26-27) :
« De même aussi l’Esprit vient en aide
à notre faiblesse. Car nous ne savons pas prier comme il faut ; mais
l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables, et Celui qui
scrute les cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit, et que c’est selon Dieu qu’il
sollicite en faveur des saints ».
Je conclurai, avec le même apôtre
(en modifiant légèrement son texte pour passer du « vous » au
« nous ») :
« Je plie les genoux devant le Père, de
qui toute paternité aux cieux et sur la terre tire son nom : qu’il nous
donne, selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son
Esprit en vue de l’homme intérieur ; que le Christ habite en nos cœurs par
le moyen de la foi ; soyons enracinés dans la charité et fondés sur elle,
afin d’avoir la force de comprendre avec les saints quelle est la largeur, la
longueur, la hauteur et la profondeur, et de connaître l’amour du Christ qui
surpasse toute connaissance, pour que nous soyons remplis de toute la plénitude
de Dieu » (Eph 3, 14-19).
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