- Dans un contexte de tension entre l’idéologie
libérale et la vision religieuse du monde, le projet que vous avez réalisé en
commun avec le réalisateur Pavel Lounguine – le film « le Chef
d’orchestre » – revêt une importance particulière. Comment est venu l’idée
de ce film, quels étaient vos objectifs ?
-
J’ai fait la connaissance de Pavel Lounguine il y a cinq ou six ans, peu après
la sortie de son film « L’Île », qui m’avait fait très bonne
impression, et peu après que j’ai écrit mon oratorio « La passion selon
saint Mathieu ». Je lui ai offert un disque avec un enregistrement vidéo
de la première, qui avait eu lieu en présence du Patriarche Alexis II, de
bienheureuse mémoire, et du Primat actuel de l’Église orthodoxe russe, le
Patriarche Cyrille (à l’époque Président du Département des relations
extérieures) ; Vladimir Fedosseev était à la direction. Lounguine a
apprécié cette musique et nous avons discuté d’un éventuel accompagnement vidéo
permettant d’en accentuer l’effet.
Mes idées étaient assez simples, je pensais
illustrer la musique de fresques antiques, disons byzantines, macédoniennes,
serbes, avec des représentations des scènes de l’histoire de la passion du
Christ dont parle l’Évangile et qui sont mises en musique dans l’oratorio.
Lounguine m’a tout de suite signifié que cela ne l’intéressait pas, qu’il ne
faisait pas de documentaires, mais seulement du cinéma de fiction et il m’a
proposé d’unir musique et jeu d’acteurs. Ensuite, il s’est mis à travailler au
scénario. Cela a pris un certain temps, puisqu’entre temps je suis devenu
président du Département des relations ecclésiastiques extérieures et
métropolite. Je sais qu’il a écrit plusieurs versions avant d’obtenir un
scénario satisfaisant.
Je n’ai pas participé au tournage. Je n’ai
assisté qu’au tournage d’un seul épisode, celui où le chef d’orchestre monte
sur scène, où l’orchestre se met à jouer ma musique.
Au final, nous sommes parvenus à mon avis à
un produit réussi d’alliance artistique. La musique n’est pas une simple
bande originale, elle est un des principaux personnages du film. Bien plus,
certains épisodes s’inscrivent entièrement dans des numéros de l’oratorio
« la passion selon saint Mathieu ».
- Que peut offrir à nos contemporains l’alliance
de la musique sacrée et de l’art cinématographique ? Peut-elle vraiment
les rapprocher de Dieu, les rendre meilleurs, plus droits, plus profonds ?
-
Je pense que ce genre de film est important : ils obligent le spectateur à
réfléchir au sens de la vie et à la responsabilité de ses actes, sans proclamer
directement des idées ou des valeurs religieuses.
Ce film ne contient aucune morale
religieuse à proprement parler. C’est-à-dire qu’il ne se termine pas, par
exemple, sur l’image du chef d’orchestre allant à confesse et recevant le
pardon de ses fautes ; on ne voit pas non plus les héros du film se précipiter
tous ensemble à l’église pour y communier.
Lounguine est un réalisateur qui, comme il
le dit lui-même, aime travailler en demi-teintes ; il n’aime pas mener les
sujets à leur fin logique. Et ici non plus, aucun sujet n’est terminé. Nous
devenons en quelque sorte les participants d’un drame qui se développe sur
plusieurs jours, mais nous ne savons pas ce qui l’a précédé, ni ce qui viendra
après.
Pourtant, ce film parle de thèmes très
importants, de thèmes éternels comme les rapports entre parents et enfants,
entre mari et femme. Et ce film nous montre que certains de nos actes sont
parfois irréparables. Par exemple, les relations de ce chef d’orchestre et de
son fils qu’il ne comprenait pas, qu’il ignorait. Et sa relation ne change que
lorsque l’irréparable est survenu, son fils est mort.
- Une parabole déçue du fils prodigue ?
-
Oui, c’est pourquoi je pense que ce film est important, dans le sens où
il montre la vie quotidienne de gens ordinaires, une vie dans laquelle le
malheur fait irruption, dans laquelle font irruption des problèmes, une vie
dans laquelle la musique fait irruption. Et cette musique donne à l’intrigue un
nouveau sens.
- Peut-on dire que les héros du film vivent des
moments forts, des passions, des douleurs, des peurs, des malheurs, des doutes
que l’on pourrait comparer avec les souffrances du Christ, et que cela doit
indiquer au spectateur qui réfléchit le chemin de l’église ?
-
Un des scénarios proposait de faire dépendre l’intrigue du sujet de la passion
du Christ, autrement dit, de développer dans le film deux sujets parallèles.
Finalement, la passion du Christ en tant que sujet n’est pas représentée dans
le film, dont toute la durée est occupée par le déroulement de l’intrigue.
Malgré tout, il me semble que l’histoire de
la passion du Christ se laisse deviner en filigrane, même si elle n’apparaît
pas directement. Elle transparaît dans la musique, dans les fragments du récit
évangélique qui y sont lus. Elle se laisse deviner dans le parallèle du drame
humain qui se déroule sous nos yeux dans le film avec Jérusalem où, il y a deux
mille ans, s’est déroulé un autre drame humain. Finalement, tous ces drames
ramènent au thème de la relation de l’homme avec Dieu.
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