Pussy Riot, une écrivaine suisse nous appelle à la réflexion
Laurent Brayard
27.08.2012, 16:52
Hélène Richard-Favre
est une écrivaine suisse, vivant à Genève, qui a des attaches anciennes avec la
Russie, celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Par le biais de son blog, qui a
été relayé par La tribune de Genève, elle a donné son opinion sur l’affaire des
Pussy Riot. Son avis est intéressant, car il s’agit de celui d’une connaisseuse
de la culture et du monde russe, une qualité peu courante en Occident. Elle
a
accepté de répondre aux questions de La Voix de la Russie.
Laurent Brayard, La
Voix de la Russie : Hélène Richard-Favre bonjour, je vous remercie tout
d'abord de répondre à nos questions, vous êtes donc écrivain et vous résidez en
Suisse si j'ai bien compris, vous êtes également russophile et vous avez donné
un avis tranché sur l'affaire « Pussy Riot », mais avant tout, dites-nous en un
peu plus à votre sujet :
Hélène Richard-Favre
: Oui, je suis écrivaine et vis à Genève. J'y ai étudié le russe et connu
l'ex-URSS comme étudiante. Depuis 2005, c'est comme écrivain que j'ai été
invitée à me rendre en Russie car tous mes recueils de nouvelles ont été
traduits en russe et publiés à Moscou. C'est ainsi que j'ai pu mesurer non
seulement les changements intervenus depuis l'époque soviétique mais aussi ceux
qui se poursuivent d'année en année au sein de la société russe. Cependant, on
ne peut se satisfaire d'évaluer la situation de ce pays avec les seuls critères
occidentaux. Ainsi doit-on nuancer les appréciations et éviter de tomber dans
le cliché ou l'image un peu trop facile et caricaturale. La Russie a une
histoire et une culture qui n'ont rien à envier à celles d'autres pays
occidentaux. Et cette richesse ne doit pas être occultée par une affaire de
punks que certains n'hésitent déjà pas à comparer à d'illustres personnalités
du monde artistique ou intellectuel russe. C'est aller un peu vite en besogne
et méconnaître soit les unes soit les autres.
La Voix de la Russie :
Hélène, venons-en tout de suite au vif du sujet, vous vivez dans un pays
partiellement francophone, qui possède une des rares vraies démocraties
européennes, vous avez pris une position contre les Pussy Riot, expliquez-nous
pourquoi ?
Hélène Richard-Favre
: Je tiens à préciser avant tout que ma réaction à l'affaire Pussy Riot a
surtout consisté à indiquer dans ses grandes lignes le parcours de ce groupe et
son lien à celui qui a été fondé en 2007 et qui s'appelle Voïna (guerre). Il
m'a aussi paru nécessaire de situer cette affaire dans un contexte plus large
que celui de la prestation des Pussy Riot dans la Cathédrale du Christ Sauveur
de Moscou. Dès lors, je me permettrai de nuancer votre propos. Je n'ai pas pris
position contre les Pussy Riot. J'ai retracé les grandes lignes de leur
parcours et invité à réfléchir sur l'accueil que l'on réserverait à ce genre
d'actions en Occident. Car les raccourcis empruntés par certains medias plus
prompts à stigmatiser la Russie actuelle que de s'interroger sur la portée des
prestations de ce groupe m’ont laissée songeuse.
J'ai avant tout réagi à certains propos simplificateurs et
réducteurs qui ont accompagné le traitement médiatique de ce dossier en
Occident. Dans le déferlement d'articles qui a suivi le procès et son verdict,
je n'ai trouvé que bien peu d'appréciations nuancées. Or un tel dossier ne peut
s'envisager de manière manichéenne. Il pose de graves questions qui ont trait à
l'identité profonde de chacun, croyant ou non, et ne se résume pas à l'attaque
en règle d'un pays dont n'on a vu remonter à la surface que ses aspects les
plus sombres.
La Voix de la Russie :
Les Pussy Riot comme vous le faites remarquer dans votre blog ont fait de la
provocation un système, elles se définissent comme punks mais moi-même étant
fan de cette musique, je leur conteste ce « titre », qu'en pensez-vous
vous-mêmes, qu'est-ce qui peut bien motiver ces jeunes filles ?
Hélène Richard-Favre
: Il m'est difficile de me prononcer sur leur statut de punk. Par contre,
les liens entre le groupe Voïna et Bansky, l'une des figures les plus
représentatives du Street art, sont établis. Pour le reste, je connais mal la
musique dont vous vous dites vous-même fan, je ne m'estime dès lors pas en
mesure d'évaluer la qualité de celle des Pussy Riot. Ce qui frappe, par contre,
est la violence de leurs prestations. Elles ont certes déclaré vouloir la
guerre, elles l'ont menée et elles en paient désormais le prix. Mon dernier
sujet de blog évoque cet aspect de leur action et ses conséquences. http://voix.blog.tdg.ch/archive/2012/08/23/la-guerre.html
La Voix de la Russie :
Le fait que vous soyez une femme, et peut-être une mère, est intéressant,
j'aimerais avoir à ce sujet un avis plus intime, celui de votre genre bien que
vous ne puissiez y être réduite bien entendu, mais qu'est-ce qui vous choque à
ce propos, dans votre essence au sujet des Pussy Riot ?
Hélène Richard-Favre
: Ma réaction a été dictée davantage par la quête du sens des actions de ce
groupe de femmes que par un regard de femme porté sur d'autres. Ainsi, les
scènes sexuelles filmées dans un musée ou dans un supermarché ne m'ont pas paru
relever de l'art. S'exhiber dans des lieux tels qu'un musée ou un supermarché
face à une caméra qui filme des scènes de type orgiaque alors que l'une des
femmes était enceinte[1],
ne m'a pas semblé dénoter une esthétique à relever. C'est plutôt insulter l'art
que l'honorer.
La Voix de la Russie
: En Europe l'affaire des Pussy Riot est instrumentalisée comme un outil de
combat pour « casser du curé » comme nous pourrions le dire vulgairement
en France, les FEMEN qui nous avaient habitué à autre chose ont réalisé un acte
encore plus incroyablement provocateur en sciant un Christ en Ukraine planté là
en l'honneur des victimes de Staline, que pensez-vous de cela et de leur appel
à la population à s'attaquer aux « églises russes » ?
Hélène Richard-Favre
: L'image de cette femme filmée seins nus en train de scier une croix est
un acte outrancier et outrageant. Je ne le conçois pas comme artistique.
La Voix de la Russie
: Peut-être ne le savez-vous pas, mais le groupe Anonymous dans la foulée
des professionnels de la provocation ont attaqué et bloqué le site du tribunal
de Moscou pendant un certain temps, pour « défendre les Pussy Riot », tandis
que Madonna lors de son dernier concert à Moscou a piétiné une croix orthodoxe
au talon durant son spectacle en portant une cagoule Pussy Riot, les
provocations ne manquent pas, je voudrais savoir comment vous expliquez cette
orgie soudaine qui de mon avis propre ne fait que commencer ?
Hélène Richard-Favre
: Vous ne croyez pas si bien dire ! Cet après-midi, un groupe punk a
investi la Cathédrale Saint-Pierre de Genève pour manifester son soutien aux
Pussy Riot et réclamer leur libération. Il n'y a pas eu de dégâts matériels
mais un lieu de culte a été violé. Et à Genève, c'est une première que la
Cathédrale le soit. Aucune plainte n'a été déposée. Pour ma part, j'ai réagi
par la publication immédiate d'un nouvel article. Le cinquième depuis vendredi,
jour du jugement des Pussy Riot. http://voix.blog.tdg.ch/archive/2012/08/24/geneve-punk-a-la-cathedrale.html
La Voix de la Russie
: Dans un de mes propres articles je disais que les Pussy Riot réalisaient
là surtout une opération financière de grande envergure pour leur « carrière
future », pensez-vous effectivement que leur fortune est faite, via les
contrats qui pleuvront sur elles à leur sortie de prison ?
Hélène Richard-Favre
: Je n'ai pas réfléchi à cet aspect. Je me suis plutôt demandé quels
étaient les appuis dont bénéficiaient les Pussy Riot pour mener leur guerre au
pouvoir en place. Car ce besoin de détruire par la violence physique et
symbolique a peut-être rencontré d'autres intérêts que ceux affichés par les
Pussy Riot. C'est une question qui se pose et qui mériterait qu'on s'en
préoccupe. Ne serait-ce que pour y apporter l'infirmation ou la confirmation du
bien-fondé.
La Voix de la Russie
: Vous avez parlé des buts des Pussy Riot, notamment celui d'ébranler
l'image de la Russie, dans une guerre de l'information, j'aimerais que vous
nous expliquiez pourquoi et qui pourrait y avoir intérêt ?
Hélène Richard-Favre
: La couverture médiatique du procès des Pussy Riot et surtout celle du
verdict a relevé de l'inflation. Par ailleurs, lire quelques grands titres de
la presse française évoquer le Goulag ou convoquer les ombres de personnalités
du passé politique ou culturel russe plutôt que de se borner à rendre compte
d'une peine infligée en 2012 à des jeunes provocatrices russes m'a semblé
inadapté. C'est ce traitement démesuré d'une information qui méritait un simple
relai qui m'a paru n'avoir de raison que celle de refléter le but avoué des
Pussy Riot d'attaquer le pouvoir de leur pays.
Laurent Brayard, La
Voix de la Russie : Je vous remercie sincèrement d'avoir donné votre avis
et de nous avoir fait partager vos analyses pertinentes et je vous dis merci
aussi de nous faire l'honneur de nous suivre sur le site de La Voix de la
Russie. Merci à vous Hélène Richard-Favre et à bientôt !
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