DEVENIR ET RESTER UN chrétien orthodoxe
Exposé donné lors d'un
pèlerinage orthodoxe à Felixstowe en août 2001
INTRODUCTION
Nous entendons parfois des gens raconter comment ils en
sont venus à rejoindre l'Eglise orthodoxe. Bien que chaque histoire soit intéressante,
et parfois même extraordinaire, je pense que les histoires racontant comment des
gens sont restés de fidèles chrétiens orthodoxes malgré les tentations seront
de plus grande utilité. Comme il est écrit dans l’évangile: "C'est à votre constance que vous
devrez votre salut" (Luc 21,19).
De plus, je n'ai pas intitulé cet entretien "Comment
entrer dans l'Eglise orthodoxe" mais "Comment devenir et rester un chrétien orthodoxe." Car
rejoindre l'Eglise orthodoxe ou devenir un membre de l'Eglise orthodoxe, cela
concerne des changements externes, et ce n'est pas la même chose que
"devenir un chrétien orthodoxe," qui concerne des changements
intérieurs. Et rester un chrétien orthodoxe est encore plus important, c'est
pourquoi j'ai consacré 3 fois plus de temps à cette partie-là qu'à comment
devenir chrétien orthodoxe.
DEVENIR orthodoxe
– CONVERSION ET INTÉGRATION
Définissons d'abord nos termes en parlant d'un nombre de
mots qui sont utilisés dans ce contexte. Tout d'abord, il y a la phrase nulle
"orthodoxe de naissance." Cela n'existe pas. Personne n'est "né
orthodoxe", nous sommes tous nés païens. C'est pour cela que nous
exorcisons d'abord puis baptisons. Plus acceptables sont les termes, "né
dans une famille orthodoxe" et "orthodoxe depuis le berceau". Il
est intéressant de noter que les gens qui utilisent avec condescendance des
termes comme "orthodoxe de naissance" appellent les enfants des
"convertis"… des "convertis".
Ensuite il y a le mot "converti." Lorsque des
gens disent qu'ils sont convertis, je leur demande d'abord : "Convertis à
quoi?" Au folklore grec? A l'alimentation russe? Au pharisaïsme? A la
nostalgie d'un anglicanisme ou d'un catholicisme-romain démodés? A un
passe-temps intellectuel de syncrétisme?
Il est vrai, en un sens, que nous sommes tous, toujours,
des convertis, parce que nous avons tous à constamment nous convertir au Christ.
C'est le sens du Psaume 51. Le roi-prophète David aussi fut un converti, un
"né de nouveau", après son grand péché. Hélas, le mot
"converti" n'est en général pas utilisé dans ce sens spirituel mais
dans un sens séculier. J'espère que quand les gens s'appellent eux-mêmes
"convertis", ils veulent dire qu'ils sont convertis au christianisme
(qui est le mot correct pour orthodoxie). J'espère aussi que quand ils disent
qu'ils sont "convertis", cela signifie qu'ils ont été très récemment
reçus dans l'Eglise. Hélas, je dois admettre que ce n'est pas toujours le cas.
Les années passant, j'ai rencontré des gens qui étaient entrés dans l'Eglise
orthodoxe dix, vingt, trente ans auparavant voire plus, et qui étaient encore des
"convertis" et même qui s'appelaient eux-mêmes "convertis".
Et ceci même dans le cas de certains clercs, prématurément ordonnés.
Cela me dépasse, car cela signifie que même après des
années comme membres "de nom" de l'Eglise orthodoxe, ils ne sont pas
encore devenus chrétiens orthodoxes, ils n'ont pas encore intégré l'Eglise, ils
n'ont pas encore grandit naturellement dans l'orthodoxie, et il ne mènent
toujours pas un genre de vie orthodoxe, ils n'ont pas encore acquis cet
instinct d'orthodoxie, qui signifie que l'orthodoxie est leur unique demeure
spirituelle, qu'elle est leur os et leur sang, qu'ils respirent l'orthodoxie
parce que leurs âmes sont orthodoxes. Ils souffrent de l'affliction spirituelle
du "convertitisme". Ils sont restés néophytes. Ils n'ont accompli que
ce que le diable voulait qu'ils accomplissent – être incomplets. C'est pourquoi
les Russes, faisant un jeu de mot sur le mot russe "konvert", qui
signifie une enveloppe, disent plutôt vrai en parlant de certains convertis :
"le problème avec le 'konvert', c'est qu'il est soit souvent vide, ou
souvent décollé."…
Il peut y avoir bien des raisons à cet état de convertitisme.
Ce peuvent être des gens qui sont rentrés dans l'Eglise orthodoxe et n'ont pas
trouvé de paroisse où aller, au moins avec des offices dans une langue qu'ils
pourraient comprendre. Par exemple, j'ai rencontré des gens qui avaient été
orthodoxes depuis quarante ans mais n'avaient jamais participé à une vigile pascale
dans leur propre langue! J'ai rencontré des gens qui étaient orthodoxes depuis
cinq ans et n'avaient jamais assisté à la moindre vigile pascale, parce que leur
communauté orthodoxe locale n'a que dix liturgies par an et uniquement des
samedis matin ! J'ai rencontré des gens qui étaient orthodoxes depuis soixante ans et
n'avaient jamais été à des vêpres ou un office de vigile! En d'autres mots, de
telles personnes n'ont jamais eu l'opportunité d'apprendre et de s'intégrer.
Cependant, il y a malheureusement aussi d'autres raisons pour lesquelles des
gens ne s'intègrent pas dans la vie de l'Eglise.
En principe, le clergé ne devrait recevoir quelqu'un au
sein de l'Eglise orthodoxe que pour des raisons positives. Le fait est qu'il y
a des gens qui souhaitent rejoindre l'Eglise orthodoxe pour des raisons
négatives, par exemple par dégoût pour une Eglise ou un membre de son clergé.
C'est de la psychologie, pas de la théologie, et en plus, pas très saine, ni
très chrétienne, comme psychologie.
Je me souviens comment dans les années 1970, celui qui est
à présent l'évêque Kallistos [Ware] me raconta comment un groupe de convertis
lui avaient demandé d'écrire un livre dénonçant toutes les hérésies de l'anglicanisme.
Les convertis en question, et ils étaient en effet convertis, étaient bien
entendu tous des ex-anglicans! Ils n'avaient pas compris que leur motivation, à
tous, provenait de leurs problèmes psychologiques personnels, de leur réaction,
qu'ils étaient occupés à masquer derrière leur zèle passionné. C'est fort
justement que l'évêque Kallistos refusa d'écrire quelque chose de négatif. En
tout cas, aucun orthodoxe n'aurait acheté le bouquin, parce qu'il n'aurait pu
être de quelqu'utilité que ce soit pour des néophytes ex-anglicans. Ce fut un livre
en moins à réduire en pâte !
Habituellement, un prêtre sait découvrir si les
motivations de ceux qui souhaitent rejoindre l'Eglise orthodoxe sont négatives
rien qu'en attendant de voir si ces gens viennent aux offices religieux.
Habituellement, ces gens super-zélés qui aiment lire à propos de la foi ou parler
de la foi dans des forums ou ailleurs, sont ces mêmes personnes qui font de
l'absentéisme à l'église. Leur zèle se passe tout dans la tête ou dans leurs
émotions, pas dans leur cœur et âme, et dès lors pas dans leur vie et leur
pratique.
Ensuite, il y a ceux qui ont été attirés à l'Eglise par une découverte durant
un voyage. J'appelle ces gens des "orthodoxes de vacances." Leur
attirance n'est souvent pas vers le Christ, mais vers une culture étrangère et
exotique – et plus exotique c’est, mieux c'est ! Menant une vie très
monotone, l'Eglise orthodoxe leur donne quelque chose pour rêver,
habituellement leurs prochaines vacances en Crête ou quelque part du genre. A
nouveau, un prêtre sait facilement découvrir si leur intérêt est sérieux en
regardant s'ils viennent à l'église. En général, ils ne viennent pas, parce
qu'ils ne sont pas en vacances! Hélas, certains d'entre eux ont été reçus dans
l'Eglise par des prêtres manquant de discernement, dans leur lieu de
villégiature, que ce soit en Roumanie, Russie, Grèce, Chypre, au Mont Athos ou
ailleurs. Ne connaissant rien de la foi orthodoxe, ils se présentent sur le pas
de votre porte et vous avez à leur expliquer que bien qu'ils soient membres de
l'Eglise orthodoxe, ils ne sont en réalité pas encore devenus orthodoxes.
Souvent, de toute manière, de telles personnes peuvent bien vous téléphoner,
mais en général ne viendront jamais à un office à l'église, parce qu'ils auront
cessé de pratiquer avant de s'être préparés à venir à l'église.
Ensuite il y a ces gens qui viennent avec leur propre
agenda, souvent des "je-sait-tout", qui ont lu tous les livres
existant sous le soleil, mais n'ont pas encore la moindre idée de la lettre A
de l'ABC chrétien. Et ils arrivent avec leurs desiderata qu'ils souhaiteraient
imposer! "Oui, je veux rejoindre l'Eglise orthodoxe, mais à condition
qu'elle ait d'abord été 'réformée' et 'modernisée'!" - "Oui, c'est
bon ainsi, mais je voudrais qu'on rajoute quelques hymnes occidentaux avant le
Canon!", ou "Je ne rejoindrai l'Eglise orthodoxe que lorsqu'elle
célébrera Pâques en même temps que ma tante Suzanne qui est protestante!",
ou "Tout est parfait sauf que vous utilisez beaucoup trop de cierges.
Retirez ces cierges et je rejoindrai l'Eglise orthodoxe." - "Je ne
deviendrai orthodoxe que si vous avez une icône de S. François d'Assise!" - "Je ne rejoindrai l'Eglise orthodoxe qu'à condition que tout le monde y
vote pour le parti politique XYZ et aille en vacances en Toscane!". Ce
sont peut-être des exemples extrêmes, mais ce sont des exemples authentiques.
Ce sont tous des exemples de manque d'humilité. Aucun prêtre ne devrait
recevoir des gens pareils au sein de l'Eglise pour la simple raison qu'ils
n'aiment pas et n'acceptent pas l'Eglise et son Maître le Christ. Il n'y a
qu'un seul critère pour entrer dans l'Eglise orthodoxe, c'est parce que vous
êtes convaincus que c'est pour votre salut personnel, pour votre survie
spirituelle, parce que c'est la sainte volonté de Dieu pour vous, parce que
vous savez que c'est votre demeure spirituelle, et que quelqu'en soit le prix,
vous ne pourrez jamais être rien d'autre.
Récemment, un prêtre qui avait reçu des gens dans
l'Eglise au cours des vingt dernières années me raconta que la liste de gens
qu'il avait reçus et qui avaient fait défection était plus longue que celle de
ceux qu'il avait reçus et qui avaient persévéré. Ce prêtre est relativement
prudent quand il s'agit de recevoir les gens, mais je connais deux autres
paroisses où la liste des défections est au moins vint fois plus longue que
celle des persévérants. Dans les deux cas, je dois admettre que c'est la
politique de la paroisse qui est à remettre en cause. Présentez-vous y et
demandez, et vous serez automatiquement reçus dans l'Eglise endéans les deux
semaines, sans la moindre instruction.
Mais pourquoi alors est-ce que des gens abandonnent la
pratique de la foi à laquelle ils ont choisit d'appartenir de leur plein gré?
Si nous examinons cette question, peut-être pourrons-nous apprendre quelques
leçons qui sont utiles pour nous et qui pourrons nous aider à rester un fidèle
orthodoxe.
Tout d'abord, nous devons nous examiner nous-mêmes. A
quoi sommes-nous en fait attachés dans l'Eglise? Il y en a qui disent :
"C'était si merveilleux à l'église aujourd'hui! Le chant était si beau,
l'encens sentait si bon!" Des paroles pareilles me font penser qu'il est
peu probable que cette personne revienne. De telles personnes semblent avoir un
feu intérieur qui éclate dans un jaillissement d'enthousiasme et d'émotion.
Mais comme tous les feux vifs, ils brûlent vite et ne laissent que des cendres
froides. Cet attachement aux apparences et à l'exotisme est dangereux, parce
que nous passons à côté de l'essentiel.
L'attachement aux apparences peut s'étendre aux vêtements, langues, nourriture
et folklore étrangers. Je me souviens d'une paroisse russe en Belgique, on
savait directement qui y étaient les convertis : les hommes portaient des
barbes de paysans russes du XIXe siècle,
et les femmes portaient des longues jupes sans élégance et semblaient porter
une nappe de table sur la tête. Vous saviez qui étaient les Russes parce qu'ils
étaient habillés normalement. Dans une paroisse grecque ici, il y avait deux
prêtres, un Grec et un converti. Vous reconnaissiez directement qui était le
converti parce qu'il portait d'énormes robes à large manches et un énorme
chapeau-cheminée sur sa tête ; le Grec ne portait qu'une tunique. Dans une
autre paroisse russe, les Russes parlaient toujours de chanter, de Noël et de
Pâques, mais les "convertis" (et c'est bien ce qu'ils étaient) parlaient
de "psalmodier" et "la Nativité" et "Pascha." Un
vrai Russe, né en Union Soviétique, me raconta un peu cruellement pourquoi il
aimait le converti de sa paroisse "parce qu'il me fait marrer avec tout
son folklore." Le zèle non-éclairé est toujours ridicule.
Le zèle doit être canalisé afin d'atteindre quelque chose
de positif. J'ai un ami Chypriote grec, né et élevé à Londres, qui me raconta
que son plat préféré était le steak et la tourte aux rognons, et que c'était la
première chose qu'il mangeait à Pâques lorsque le jeûne était finit. Je lui ai
demandé s'il mangeait parfois dans un restaurant grec. Il répondit : "Oh
non, ça c'est juste bon pour les Anglais." Il me raconta aussi comment à
Londres, dans les mariages entre Chypriotes, les invités avaient l'habitude
d'attacher des billets de banque aux vêtements du nouveau couple, une sorte de
cadeau de mariage. Lorsque pour la première fois il vit un mariage à Chypre,
alors qu'il avait 25 ans, les gens là-bas ne firent pas cela. Pourquoi? Parce
qu'ils avaient cessé de le faire dans les années 1960, considérant cela comme
une sorte de coutume paysanne primitive. En d'autres termes, ils avaient cessé
de le faire après que la plupart de leurs compatriotes Chypriotes grecs avaient
émigré à Londres, mais ceux à Londres avaient conservé la vieille coutume des
années 1950. Et voilà que les convertis veulent imiter cette coutume morte !
A cet égard, j'ai rencontré récemment un autre
"converti" qui venait de rentrer de vacances en Grèce, et en parlait
avec beaucoup d'enthousiasme comme étant une "terre sainte" pleine de
"saintes personnes," parce que "les orthodoxes sont
saints". Hé bien, je ne peux que supposer qu'il a dû passer tout son
séjour dans d'excellents monastères – en passant, tous les monastères ne sont
pas excellents. Je recommanderais à de telles personnes d'aller visiter les
prisons grecques. Elles sont pleines d'orthodoxes – des voleurs, des assassins,
des violeurs, des proxénètes, des escrocs orthodoxes. Vous pouvez le dire, ils
sont tous orthodoxes! Voyez-vous, la nature humaine est la même dans le monde
entier.
Ce que je veux dire c'est que si nous nous attachons aux
apparences, alors nous devrions d'abord nous demander à nous-mêmes : à quelles
apparences sommes-nous donc attachés? Si nous ne faisons pas preuve de
discernement, nous pourrons en effet avoir l'air fort bête. Toutes les
apparences ne sont naturelles que si elles reflètent ce qui est en nous. Si le christianisme
orthodoxe est en nous, alors nos apparences seront celles de tout chrétien
orthodoxe. Nous gagnerions certainement à prendre l'habitude de visiter
d'autres paroisses orthodoxes, des pays où il y a beaucoup d'églises orthodoxes,
observant et analysant notre aspiration à l'authenticité. La pire des choses ce
sont ces petites communautés de "convertis", refermées sur
elles-mêmes, et qui ne voient jamais rien d'autre. Elles peuvent finir par
avoir des pratiques qui n'existent nulle part ailleurs sur terre, et cependant
penser être "plus orthodoxes" que qui que ce soit d'autre! A nouveau,
l'humilité est la solution pour guérir cette maladie, et l'humilité commence
avec le réalisme, pas avec la fantaisie. Aucune spiritualité n'a jamais été
fondée sur de la fantaisie. Sans une sobre humilité, il y a toujours
l'illusion, qui est suivie par le découragement et la dépression. C'est la loi
spirituelle.
Voir la réalité d'églises orthodoxes est un excellent
remède contre la maladie des fantaisies. Se rappeler que certaines Eglises
orthodoxes sont des Eglises d'Etat, et que bien d'autres ont des mentalités
d'Eglise d'Etat. Une expérience qui donne à réfléchir, c'est la rencontre avec
un certain nombre de ces diacres, prêtres et évêques qui se vantent de combien
"ils gagnent" comme salaire, qui sont "hors service" à
partir de 17h et les lundis et jeudis, et qui ne peuvent dès lors pas y
célébrer de funérailles, qui disent qu'être dans le clergé c'est un bien
meilleur boulot que ce qu'ils auraient autrement dû faire parce qu'ils
n'étaient pas trop brillants à l'école et que l'alternative c'était être larbin
dans une usine. .. Mais c'est la réalité. Le contact avec cette réalité
peut être de grand secours pour mettre un terme au zèle non-éclairé, aux
ghettos de convertis, à tout ce que j'appelle "l'effet de serre".
Cela ramène les gens les pieds sur terre, et cela leur rappelle que c'est là où
il devrait se trouver, car notre religion est la religion de l'Incarnation. Ce
que les autres pensent et font, ce ne sont pas nos affaires, notre tâche c'est
le salut de notre propre âme.
A cet égard, une des principales raisons pour laquelle
certains convertis ne cessent pas d'être des convertis et ne deviennent pas
orthodoxes, c'est parce qu'ils n'ont pas de travail. Le besoin de gagner votre
pain quotidien, d'être avec d'autres personnes, est un excellent moyen pour que
les gens commencent à vivre leur foi (au lieu de juste y réfléchir). Ceci peut
éviter ce qu'on appelle les tentations de la gauche et de la droite. Les
tentations de gauche sont le laxisme, la faiblesse, le compromis,
l'indifférence. Les tentations de droite sont : juger sévèrement les autres, le
zèle méprisant du Pharisien, "le zèle non-éclairé." Ces tentations
sont d'un danger équivalent et doivent être autant combattues les unes que les
autres. Toutes amènent à un gaspillage d'une quantité énorme de temps et
d'énergie dans des distractions telles que la discussion sur des problèmes sans
intérêt genre l'œcuménisme, plutôt que de prier. Vivre dans la société est le
moyen qui nous permet d'apprendre à nous connaître nous-mêmes, voir nos défauts
et éviter de nous fourvoyer dans des problèmes théoriques.
Certains sont vraiment imbus d'eux-mêmes! Certains sont
vraiment pleins de suffisance et se gonflent. D'abord – si vous le leur
permettez – ils vont vous détailler l'histoire de leur vie, et ensuite ils vont
vous raconter les derniers ragots à propos du prêtre X, de l'évêque Y, et
ensuite de la juridiction Z. Et cela quand bien même ils ne connaîtraient pas
l'ABC de la foi d'un enfant. Cependant, le fait est que le christianisme, et
c'est ce dont nous parlons, ce n'est rien de tout cela. Si vous n'avez pas de
contact avec la réalité, alors vous n'apprendrez jamais les choses réelles. La
vie de l'Eglise n'a rien à voir avec toute cette absurdité. Il n'y a rien de
plus ennuyeux que de discuter de la personnalité et des activités d'autrui,
clergé ou laïc, sauf bien sûr du péché les concernant, car le péché est
toujours ennuyeux, c'est toujours la même chose. Posez la question à quelqu'un
qui écoute des confessions !
La vie d'Eglise, c'est : qui va faire le café? Qui va
faire la vaisselle? Qui va s'occuper des fleurs? Qui va tondre la pelouse? Qui
va préparer et cuire les prosphores? Qui va nettoyer les toilettes? Saint
Nectaire accomplissait cette dernière tâche alors qu'il enseignait à Athènes,
quand bien même il portait l'imposant titre de "métropolite de la Pentapole".
Alors comment pourrions-nous nous en plaindre? Après tout, c'est une des
premières tâches confiées aux novices dans les monastères !
Bien entendu, ce ne sont pas les principales tâches dans
la vie de l'Eglise. Continuons :
La vie d'Eglise, c'est : Qui va apprendre à chanter? Qui
va venir à tous les offices à l'église? Qui va respecter tous les jeûnes de
l'Eglise? Qui va lire chaque jour ses prières matinales et vespérales? Qui va
se préparer consciencieusement pour la confession et la communion? Qui va lire
tous les jours les lectures prévues de l'évangile et de l'épître? Et en fait,
si vous voulez la réalité brute, qui choquera certains "convertis": la
vie d'Eglise c'est aussi: qui paiera les factures? Oui, la vie d'Eglise, cela
concerne l'engagement, la chose qui manque le plus dans notre culture actuelle,
tiédasse et médiocre. Etre un chrétien, et je vous le rappelle, c'est tout ce
que le mot "orthodoxe" signifie, c'est très difficile. Depuis le
Christ, personne n'a jamais dit autre chose. Sans un engagement ferme, nous ne
resterons jamais orthodoxes. Etre chrétien, c'est aimer Dieu et aimer son
prochain. Si nous ne sommes pas préparés ne fût-ce qu'à l'essayer et le mettre
en pratique, alors ça n'ira jamais. Malheureusement, certains pensent qu'être
un chrétien orthodoxe – je sais, c'est un raisonnement vide, un cercle vicieux
– ça ne concerne pas l'amour de Dieu et de son prochain. Ils pensent qu'il
s'agit de lire des bouquins, d'avoir des opinions, de condamner autrui, de
manger de la nourriture étrange, d'être intolérant, ou de porter des vêtements
bizarres. Notre Seigneur n'a jamais rien dit de tout cela. Il a dit : "Je vous donne un commandement nouveau:
Aimez-vous les uns les autres" (Jean 13,34). Le fait est que tous les
chrétiens étaient autrefois chrétiens orthodoxes, mais la plupart n'ont pas
compris et ont chuté.
Le christianisme orthodoxe, ce n'est pas être reçu dans
l'Eglise orthodoxe et puis dire : "Ça y est, j'y suis arrivé." C'est
entrer dans l'arène, c'est se trouver sur la croix. J'ai souvent entendu des
anglicans dire: "Je sais que l'orthodoxie, c'est l'authentique, mais je
n'y parviendrais jamais." Je suppose que cela a au moins le mérite de
l'honnêteté. Je pense toujours à ces paroles de ce saint prêtre, Clément d'Alexandrie,
au IIIe siècle: "Si l'homme n'est
pas couronné par le martyre, veillez à ce qu'il ne soit pas loin de ceux qui le
sont." La solution, c'est de lire l'évangile selon saint Jean, d'avoir
une règle de prière quotidienne. "Le
Royaume des cieux est pris par la force", dit l'évangile.
La nostalgie se définit par un attachement au passé. Ce
n'est pas chrétien, quand bien même nous trouverions naturel et humain d'avoir
de l'indulgence envers nous-mêmes de temps à autre. Le problème est que cela
nous détourne de vivre dans la réalité du temps présent, ce que nous sommes
supposés faire. Certains par exemple vous diront qu'ils ne peuvent pas rester
orthodoxes parce que cela signifie qu'ils ne pourraient plus faire ce qu'ils
avaient l'habitude de faire – aller au bistrot les samedis soirs, ne plus
manger de viande les dimanches durant les jeûnes. D'autres vous diront qu'ils
trouvent non-hygiénique le fait d'embrasser des icônes, des reliques, la main
du prêtre (et même prendre la communion) – ils n'ont jamais eu l'habitude de le
faire. On se demande pourquoi de telles personnes se sont donné la peine de
venir ici !
Oui, je comprends les problèmes des mariages mixtes, les
problèmes de régime alimentaire, le problème de rendre visite à des parents qui
ne sont pas orthodoxes, le problème des calendriers. Alors, voici deux choses.
La première, l'Eglise n'est pas un bâton qui est là pour nous décourager. Mais
souvent, les gens se fabriquent leur propre bâton pour se battre eux-mêmes. Si
nous rendons visite à un parent durant une période de jeûne et qu'il nous offre
de la nourriture non-carémique, l'Eglise ne nous dit pas d'être des bigots
auto-satisfaits et de refuser. Elle nous dit d'être humbles. Certains disent :
"Je ne peux pas manger cela car je suis saint." Oh oui, nous avons
tous entendu cela, sinon dans ces termes-là, au moins dans cet esprit. Si
l'oncle Alfred de votre épouse est terriblement malade, cloué sur son lit
d'hôpital et désespérément seul et que la seule solution pour lui rendre
visite, c'est le dimanche matin, alors l'Eglise nous dit d'aller lui rendre
visite. C'est mieux que de refuser d'emmener votre épouse parce que vous avez
besoin de la voiture pour aller "à mon église" et puis avoir une querelle
familiale. Le bon sens commun et le discernement dans nos choix sont
essentiels.
En ce qui concerne les mariages mixtes, le discernement
est vital. J'ai vu des "convertis" orthodoxes harceler et harceler
leur conjoint pour devenir membre de l'Eglise orthodoxe. Le résultat est
toujours négatif. D'un autre côté, j'ai vu des gens attendre patiemment, 10, 20
ou 30 ans durant, sans ne fût-ce que mentionner la possibilité d'entrer dans
l'Eglise orthodoxe, et pour finir, l'autre conjoint demandait spontanément à y
entrer. C'est l'exemple de patience chrétienne du conjoint qui avait converti.
Dans les petites paroisses anglaises de l'Eglise orthodoxe, certains des
problèmes d'isolement rencontrés par beaucoup qui se joignent à l'Eglise
orthodoxe ont été résolus, au moins en partie. Si vous allez dans ce que
j'appelle des "paroisses d'Eglise d'Etat", vous ne trouverez pas souvent
du café ou du thé après l'office, ou quelqu'un avec qui parler. Inversement, la
plupart des paroisses anglaises ont une salle paroissiale. Là, après la
liturgie ou un office de semaine, les orthodoxes isolés, de quelqu'origine que
ce soit, peuvent se rencontrer. Une personne venue chez nous, provenant
d'Europe orientale, voyant cela, dit : "Ici, c'est comme dans l'Eglise ancienne".
Bien sûr, elle ne voulait pas dire que nous étions "saints" ou
quelque chose du genre, mais elle voulait dire que dans notre communauté, nous
étions proches, nous nous connaissions les uns les autres.
Et ceci ne veut en rien dire qu'ici c'est "mieux" qu'en Europe orientale;
c'est simplement que nous avons à former une communauté, avec une salle
paroissiale, avec café et thé, parce que sinon nous ne pouvons pas survivre en
tant que petit groupe minoritaire confessant des valeurs spirituelles dans le
grand désert spirituel de la Grande-Bretagne moderne [- ou quelqu'autre pays
d'Occident; note du traducteur]. C'est notre survie, c'est notre famille et
communauté de substitution dans la société actuelle, fragmentée,
individualiste, consumériste et sans vie relationnelle. Ce n'est pas nécessaire
dans certaines parties de l'Europe orientale, parce que tout le monde y est
orthodoxe, donc la communauté orthodoxe est tout autour de vous. Mais ici ce
n'est plus le cas.
A présent, j'aborderai un problème très particulier qui
concerne spécialement l'Anglais contemporain, et en particulier, le caractère
anglican. La culture protestante ambiante en Grande-Bretagne pour au moins les six
dernières générations a rendu les gens très "coincés" et réservés, ce
qui est en réalité une forme d'orgueil. Pour nombreux Anglais, il est très difficile
d'aborder la confession, un important sacrement dans l'Eglise orthodoxe. C'est
pourquoi dans des cultures protestantes un peu moins coincées, comme dans ces
Etats-Unis imprégnés de culture de l'introspection, bien que les gens n'aillent
pas se confesser, ils vont chez leur psychothérapeute. Là, ils peuvent tout
dire, et puisqu'ils paient, ils peuvent s'y entendre dire qu'ils sont des gens
bien comme il faut. La confession est différente de cela. C'est une question
délicate, et je pense qu'il est bon de parler de vos réserves avec un prêtre en
dehors de la confession avant même d'aller en confession. Apprenez d'abord à
vous connaître mutuellement.
Voici un certain nombre de choses à comprendre:
Premièrement, aucune confession n'est faite à un prêtre. C'est à Dieu, en
présence d'un prêtre, qui est supposé essayer de donner quelques conseils
judicieux. La plupart des prêtres n'auront aucune objection à ce que vous vous
confessiez auprès d'un autre prêtre, hors de votre propre paroisse. Certains se
réjouiront même que vous le fassiez ! Trouvez le bon confesseur, qui vous
convienne. S'il vit fort loin, donnez-lui votre confession par téléphone,
courrier électronique ou lettre. Il vous répondra et ensuite vous irez chercher
l'absolution auprès de votre prêtre local qui est au courant de cet
arrangement. C'est la solution utilisée par les épouses et enfants des prêtres.
Elle pourrait l'être par vous.
Pour finir, comme je l'ai déjà dit, il n'y a rien de plus
ennuyeux que le péché. Je suis toujours surpris lorsque des gens viennent en
confession et s'attendent à ce que je me souvienne de leur dernière confession.
J'oublie toujours les choses ennuyeuses. Un des meilleurs pères confesseurs que
j'aie jamais rencontré était presque totalement sourd. Après avoir dit ma
partie, dont il n'avait quasiment rien entendu, il me donnait quelques-uns des
meilleurs conseils que j’aie jamais reçus.
Il est inévitable que vous ne vous entendrez pas toujours
avec tout le monde dans votre paroisse. Ainsi en est-il de la nature humaine.
Mais ce n'est pas une raison pour vous en aller, claquant la porte, et ne
restant pas orthodoxe. Peut-être passez-vous trop de temps à l'église en dehors
des offices? Oui, nous prenons une tasse de café ou de thé après l'office, mais
vous n'êtes pas obligé de rester. Certains des meilleurs orthodoxes ne restent
pas ! Peut-être vos relations sont-elles trop proches avec les autres
paroissiens ? Est-ce que ces personnes-là ne sont pas dans la même situation ?
Si vous n'avez pas de centres d'intérêt communs, autres qu'avoir une foi
commune, pourquoi passer tant de temps avec eux ? Passer trop de temps avec des
gens avec qui vous avez si peu en commun en termes de caractère et de goûts est
une bonne recette pour les conflits. Après tout, vous n'êtes pas marié avec
eux !
Et il en est de même concernant votre relation avec le
prêtre. Vous pouvez avoir quelque chose en commun en matière de personnalité.
Mais peut-être pas. Peut-être ne le trouverez vous "pas assez monastique"
ou peut-être le trouverez-vous trop "libéral" [laxiste, moderniste,
ndt], ou peut-être tout simplement profondément ennuyeux. Bon, d'accord, mais
aller à l'église n'a rien à voir avec une étroite amitié avec le prêtre et
acheter les mêmes céréales pour petit-déjeuner que lui. Franchement, si vous
savez ce qu'il mange au petit-déjeuner, alors vous le connaissez un peu trop
bien.
Un autre domaine de conflits dans la vie paroissiale ce
sont les assemblées et conseils paroissiaux. Dans la plupart des paroisses
orthodoxes, ils ont lieu une fois par an, après la liturgie dominicale, durant
le Grand Carême. Et cependant, j'ai entendu de certains groupes de convertis
qu'ils se réunissent sans cesse, une fois par mois voire plus, discutant
toujours des mêmes vieux trucs. C'est quelque chose qui vient de l'anglicanisme,
pas d'une pratique orthodoxe. Franchement, cette sorte de vie est
"presqu'incestueuse", beaucoup trop de proximité pour être à l'aise.
La discussion de détails pointilleux n'est pas seulement ennuyeuse, mais c'est
aussi une perte de temps. Pire encore, certains s'y impliquent de manière
passionnée et s'attachent aux détails. Je me souviendrai toujours d'une
personne, professeur d'Université, dans une réunion paroissiale il y a quelque
25 ans d'ici, qui déclara que si on repeignait le plafond de l'église en bleu,
il n'y remettrait plus jamais les pieds. En fait, il ne l'a pas fait. Il est
mort peu après…
Que retiendrez-vous de cet exposé? J'espère les points
suivants :
Nous rentrons dans l'Eglise et nous restons dans l'Eglise
afin de sauver nos âmes, et rien d'autre. L'Eglise n'est pas un loisir, un jeu,
un intérêt privé, un prétexte, ou même une communauté. C'est le salut de nos
âmes. Nous y réussissons en étant d'abord nous-mêmes et ensuite en étant le
meilleur de nous-mêmes. S'il y a quoique ce soit d'autre, tout cela est
secondaire. Nous ne devons jamais perdre cela de vue. Si nous le faisons, alors
nous nous trompons et nous sommes sur la voie pour quitter l'Eglise.
Afin de sauver nos âmes, nous devons d'abord nous
connaître nous-mêmes, recherchant et découvrant nos propres fautes, péchés et
défauts. Ensuite, nous devons les prendre à bras le corps et les combattre,
mais progressivement et en douceur, et commencer à les dompter, et ne jamais laisser
tomber ce combat. Nous saurons que nous ne sommes pas occupés à cela à chaque
fois que nous commencerons à nous occuper des fautes des autres. Si notre
fierté personnelle est blessée au cours de la vie ecclésiale, Dieu merci. C'est
pour ça que nous y sommes, pour devenir humble.
Ce texte est long, peut-être trop long pour beaucoup de mes visiteurs ; mais je me suis régalé en le lisant, et je pense que certains d'entre eux se régaleront aussi. Merci à mon ami Pierre B. de me l'avoir fait découvrir !
Il est empreint de ce réalisme teinté d'humour qui est un des traits les plus attachants du caractère anglais.
Et s'ils concernent au premier chef les orthodoxes, bien des faits gentiment moqués peuvent aussi se rencontrer dans les autres "dénominations", comme on dit en anglais, c'est-à-dire les autres confessions. Nulle n'est à l'abri !
Et s'ils concernent au premier chef les orthodoxes, bien des faits gentiment moqués peuvent aussi se rencontrer dans les autres "dénominations", comme on dit en anglais, c'est-à-dire les autres confessions. Nulle n'est à l'abri !
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