LA DORMITION DE LA
TOUTE SAINTE MÈRE DE DIEU
par Vladimir Lossky
par Vladimir Lossky
icône de la Dormition galerie Tretyakov Moscou
La fête de la Dormition de la Mère de Dieu, connue en
Occident sous le nom de l’Assomption, comprend deux moments distincts mais
inséparables pour la foi de l’Église : la mort et l’ensevelissement de la Mère
de Dieu ; et sa résurrection et son ascension. L’Orient orthodoxe a su
respecter le caractère mystérieux de cet événement qui, contrairement à la
résurrection du Christ, n’a pas fait l’objet de la prédication apostolique. En
effet, il s’agit d’un mystère qui n’est pas destiné aux oreilles de « ceux de
l’extérieur », mais se révèle à la conscience intérieure de l’Église. Pour ceux
qui sont affermis dans la foi en la résurrection et l’ascension du Seigneur, il
est évident que, si le Fils de Dieu avait assumé sa nature humaine dans le sein
de la Vierge, celle qui a servi à l’Incarnation devait à son tour être assumée
dans la gloire de son Fils ressuscité et montéE au ciel. « Ressuscite, Seigneur, en ton repos, toi et l’Arche de ta
sainteté » (Ps 131, 8, qui revient à maintes reprises dans l’office de
la Dormition). « Le cercueil et la mort » n’ont pas pu retenir « la Mère de la
vie » car son Fils l’a transférée dans la vie du siècle futur (kondakion).
La glorification de la Mère est une conséquence directe de
l’humiliation volontaire du Fils : le Fils de Dieu s’incarne de la Vierge Marie
et se fait « Fils de l’homme », capable de mourir, tandis que Marie, en
devenant Mère de Dieu, reçoit la « gloire qui convient à Dieu » (vêpres, ton 1)
et participe, la première parmi les êtres humains, à la déification finale de
la créature. « Dieu se fit homme, pour
que l’homme soit déifié » (S. Irénée, S. Athanase, S. Grégoire de Nazianze,
S. Grégoire de Nysse [PG 7, 1120 ; 25, 192 ; 37, 465 ; 45, 65] et d’autres
Pères de l’Église). La portée de l’incarnation du Verbe apparaît ainsi dans la
fin de la vie terrestre de Marie. « La
Sagesse est justifiée par ses enfants » (Lc 7, 35) : la gloire du siècle à
venir, la fin dernière de l’homme est déjà réalisée, non seulement dans une
hypostase divine incarnée, mais aussi dans une personne humaine déifiée. Ce
passage de la mort à la vie, du temps à l’éternité, de la condition terrestre à
la béatitude céleste, établit la Mère de Dieu au-delà de la résurrection
générale et du jugement dernier, au-delà de la parousie qui mettra fin à
l’histoire du monde. La fête du 15 août est une seconde Pâque mystérieuse,
puisque l’Église y célèbre, avant la fin des temps, les prémices secrètes de sa
consommation eschatologique. Ceci explique la sobriété des textes liturgiques
qui laissent entrevoir, dans l’office de la Dormition, la gloire ineffable de
l’Assomption de la Mère de Dieu (l’office de « l’Ensevelissement de la Mère de
Dieu », 17 août, d’origine très tardive, est au contraire trop explicite : il
est calqué sur les matines du Samedi saint («Ensevelissement du Christ»).
La fête de la Dormition est probablement d’origine
hiérosolymitaine. Cependant, à la fin du IVe siècle, Éthérie ne la
connaît pas encore. On peut supposer néanmoins que cette solennité n’a pas
tardé à apparaître, puisque au VIe siècle, elle est déjà répandue
partout : S. Grégoire de Tours est le premier témoin de la fête de l’Assomption
en Occident (De gloria martyrum, Miracula
I, 4 et 9 - PL 71, 708 et 713), où elle était célébrée primitivement en janvier
(le missel de Bobbio et le sacramentaire gallican indiquent la date du 18
janvier). Sous l’empereur Maurice (582-602) la date de la fête est
définitivement fixée au 15 août (Nicéphore Calliste, Hist. Eccles., 1. XVII, c.
28 - PG, 147, 292).
Parmi les premiers monuments iconographiques de
l’Assomption, il faut signaler le sarcophage de Santa Engracia à Saragosse
(début du IVe siècle) avec une scène qui est très probablement celle
de l’Assomption (Dom Cabrol, Dict. d’archéol. chrét., I, 2990-94) et un relief
du VIe siècle, dans la basilique de Bolnis-Kapanakéi, en Georgie,
qui représente l’Ascension de la Mère de Dieu et fait pendant au relief avec
l’Ascension du Christ (S. Amiranaschwili, Histoire de l’art géorgien (en russe,
Moscou, 1950), p. 128 ). Le récit apocryphe qui circulait sous le nom de S.
Méliton (IIe siècle), n’est pas antérieur au commencement du Ve
siècle (PG, 5, 1231-1240). Il abonde en détails légendaires sur la mort, la
résurrection et l’ascension de la Mère de Dieu, informations douteuses que
l’Église prendra soin d’écarter. Ainsi, S. Modeste de Jérusalem (+634), dans
son « Éloge à la Dormition » - (Encomium,
PG 86, 3277-3312), est très sobre dans les détails qu’il donne : il signale la
présence des Apôtres « amenés de loin,
par une inspiration d’en haut », l’apparition du Christ, venu pour recevoir
l’âme de sa Mère, enfin, le retour à la vie de la Mère de Dieu, « afin de participer corporellement à
l’incorruption éternelle de celui qui l’a fait sortir du tombeau et qui l’a
attirée à lui, de la manière que lui seul connaît ». (Patrologia
Orientalis, XIX, 375-438.) L’homélie de S. Jean de Thessalonique (+vers 630)
ainsi que d’autres homélies plus récentes – de S. André de Crète, de S. Germain
de Constantinople, de S. Jean Damascène (PG 97, 1045-1109 ; 98, 340-372 ; 96,
700-761) – sont plus riches en détails qui entreront aussi bien dans la
liturgie que dans l’iconographie de la Dormition de la Mère de Dieu.
Le type classique de la Dormition dans l’iconographie
orthodoxe se borne, habituellement, à représenter la Mère de Dieu couchée sur
son lit de mort, au milieu des Apôtres, et le Christ en gloire recevant dans
ses bras l’âme de sa Mère. Cependant, quelquefois, on a voulu signaler
également le moment de l’assomption corporelle : on y voit alors, en haut de
l’icône, au-dessus de la scène de Dormition, la Mère de Dieu assise sur un
trône dans la mandorle, que les anges portent vers les cieux.
Sur notre icône (Paris, XXe siècle), le Christ
glorieux entouré de mandorle regarde le corps de sa Mère étendu sur un lit de
parade. Il tient sur son bras gauche une figurine enfantine revêtue de blanc et
couronnée de nimbe : c’est « l’âme toute
lumineuse » (vêpres, stichère du ton 5) qu’il vient de recueillir. Les
douze Apôtres « se tenant autour du lit,
assistent avec effroi » (vêpres, stichère du ton 6) au trépas de la Mère de
Dieu. On reconnaît facilement, au premier plan, S. Pierre et S. Paul, des deux
côtés du lit. Sur quelques icônes, on représente en haut, dans le ciel, le
moment de l’arrivée miraculeuse des Apôtres, rassemblés « des confins de la terre sur les nues » (kondakion, ton 2). La
multitude d’anges présents à la Dormition forme parfois une bordure extérieure
autour de la mandorle du Christ. Sur notre icône, les vertus célestes qui
accompagnent le Christ sont signalées par un séraphin à six ailes. Trois
évêques nimbés se tiennent derrière les Apôtres. Ce sont S. Jacques, « le frère
du Seigneur », premier évêque de Jérusalem, et deux disciples des Apôtres :
Hiérothée et Denys l’Aréopagite, venus avec S. Paul (kondakion, ton 2 ; voir le
passage des Noms divins du
Pseudo-Denys sur la Dormition : III, 2 PG, 3, 681). Au dernier plan, deux
groupes de femmes représentent les fidèles de Jérusalem qui, avec les 633
évêques et les Apôtres, forment le cercle intérieur de l’Église où s’accomplit
le mystère de la Dormition de la Mère de Dieu.
L’épisode d’Athonius, un Juif fanatique qui eut les deux
mains coupées par le glaive angélique, pour avoir osé toucher à la couche
funèbre de la Mère de Dieu, figure sur la plupart des icônes de la Dormition.
La présence de ce détail apocryphe dans la liturgie (tropaire de l’ode 3) et
l’iconographie de la fête doit rappeler que la fin de la vie terrestre de la
Mère de Dieu est un mystère intime de l’Église qui ne doit pas être exposé à la
profanation : inaccessible aux regards de ceux de l’extérieur, la gloire de la
Dormition de Marie ne peut être contemplée que dans la lumière intérieure de la
Tradition.
Article paru dans Le Messager de l’Exarcat du Patriarcat
russe en Europe occidentale, n° 27, juillet-septembre 1957.
N.B.L'icône reproduite ci-dessus n'est pas exactement celle que décrit Vladimir Lossky mais en est très proche.
la sainte mére de dieu ,l incarnation de la sophia sur terre.paix et amour en christ.
RépondreSupprimerAh ! la Sophia ! Mon très cher père et frère Robert Amadou devait écrire, et avait commencé à écrire là-dessus un volume qui hélas est resté inachevé...
SupprimerLa Sophia est un grand mystère. Pour certains Pères de l'Eglise, c'est le Fils ; pour d'autres (saint Irénée) c'est le Saint-Esprit ; pour le père Boulgakov, c'était l'activité mystérieuse pré laquelle la création coopérait à sa propres création, car il y a une Sophia créée et une Sophia incréée; pour beaucoup de théologiens catholiques, c'est, comme tu le dit, Marie la toute sainte qui l'a incarnée sur terre (conception qui est assez analogue à celle de Boulgakov).
Bref, il faut la vénérer.
Mais il faut vénérer glorieusement la Toute Sainte car, sans son "fiat", l'Incarnation n'aurait pas été possible...
Merci et paix à toi, mon frère.
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