vendredi 3 août 2012

L’amour charnel de l’Homme-Dieu


L’amour charnel de l’Homme-Dieu


Saint Bernard de Clairvaux, sermon XX sur le Cantique des Cantiques
paragraphes  6 & 7

6. Remarquez que l’amour du cœur est en quelque façon charnel, il inspire en effet plus d'affection au cœur de l'homme pour la chair de Jésus-Christ, et pour les choses qu'il a faites durant qu'il en était revêtu. Celui qui est plein de cet amour est aisément touché et attendri à tous les discours qui concernent ce sujet. Il n'entend rien plus volontiers, il ne lit rien avec plus d'ardeur, il ne repasse rien plus souvent dans sa mémoire, il n'a point de méditation plus douce et plus agréable. Les sacrifices de ses prières en reçoivent une nouvelle perfection, et ressemblent à des victimes aussi grasses que belles. Toutes les fois qu'il fait oraison, l'image sacrée de l'Homme-Dieu se présente à ses yeux, naissant, suspendu aux mamelles de sa mère, enseignant, mourant, ressuscitant, et montant au ciel ; or toutes ces images ou autres semblables qui se présentent à l'esprit, animent nécessairement l'âme à l'amour des vertus, chassent les vices de la chair, en bannissent les attraits, et calment les désirs. Pour moi, je pense que la principale cause, pour laquelle Dieu, qui est invisible, a voulu se rendre visible par la chair qu'il a prise, et converser comme homme parmi les hommes, était d'attirer d'abord à l'amour salutaire de sa chair adorable les affections des hommes charnels qui ne savent aimer que charnellement, et de les conduire ainsi par degrés à un amour épuré et spirituel. Ceux qui disaient : « Vous voyez que nous avons quitté toutes choses pour vous suivre » (Matthieu 19, 27), n'en étaient-ils pas encore à ce premier degré de l'amour? Ils ne les avaient sans doute quittées que par le seul amour de la présence corporelle de Jésus-Christ, quoiqu'il leur parlât seulement de sa passion salutaire et de sa mort, et qu'ensuite la gloire de son ascension les touchât d'une tristesse très-vive. C'est aussi ce qu'il leur reprochait : « Parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse s'est saisie de votre cœur » (Jean 16, 6). » Ainsi d'abord il les retira de tout autre amour charnel, par la seule grâce de la présence de son corps.

7. Mais il leur montra ensuite un degré d'amour plus élevé, lorsqu'il leur dit : « C'est l'esprit qui donne la vie, la chair ne sert de rien du tout » (Jean VI, 6). Je crois que celui qui disait : « Quoique nous ayons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons pas pour cela » (2 Corinthiens 5, 16), était déjà parvenu à ce degré d'amour. Peut-être le Prophète y était-il aussi monté lorsqu'il disait : « Jésus-Christ notre Seigneur est un esprit présent à nos yeux » (Lamentations de Jérémie 4, 20). Car quant à ce qu'il ajoute : « Nous vivrons parmi les nations sous son ombre » (ibid.),  je crois qu'il parle au nom de ceux qui commencent, pour les exhorter à se reposer au moins à l'ombre, puisqu'ils ne se sentent pas assez forts pour porter l'ardeur du soleil ; et à se nourrir de la douceur de la chair, puisqu'ils ne sont pas encore capables de goûter les choses de l'esprit de Dieu ; car je crois que l'ombre de Jésus-Christ, c'est sa chair ; et c'est de cette ombre que Marie a été environnée, afin qu'elle lui servit comme d'un voile pour tempérer la chaleur et l'éclat de l'esprit. Que celui-là donc se console cependant dans la dévotion envers la chair de Jésus-Christ, qui n'a pas encore son esprit vivifiant, qui du moins ne l'a pas encore de la façon que le possèdent ceux qui disent : « Le Seigneur Jésus-Christ est un esprit présent devant nous ». Et, « encore que nous ayons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne l'avons pas connu véritablement » (2 Corinthiens 5,  16). » Ce n'est pas qu'on puisse aimer Jésus-Christ dans la chair sans le Saint-Esprit, mais on ne l'aime pas avec plénitude. Et toutefois, la mesure de cet amour, c'est que la douceur qui en naît occupe tout le cœur, le retire tout entier à soi de l'amour des créatures sensibles, et l'affranchit des charmes et des attraits de la volupté charnelle, car c'est là aimer de tout son cœur. Autrement, si à la chair de Jésus-Christ mon Seigneur,     je préfère quelqu'autre que ce soit, quelque proche qu'elle me puisse être, on quelque plaisir que j'en puisse recevoir, en sorte que j'en accomplisse moins les choses qu'il m'a enseignées par ses paroles et son exemple quand il demeurait en ce monde, n'est-il pas clair que je ne l'aime pas de tout mon cœur, puisque je l'ai divisé, et que j'en donne une partie à l'amour de sa chair sainte, et réserve l'autre pour la mienne propre ! car il dit lui-même : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n'est pas non plus digne de moi » (Matthieu 10, 37). Donc, pour le dire en deux mots, aimer Jésus-Christ de tout son cœur, c'est préférer l'amour de sa chair sacrée à tout ce qui nous peut flatter dans la nôtre propre, ou dans celle d'autrui. En quoi je comprends aussi la gloire du monde, parce que la gloire du monde est la gloire de la chair, et il est indubitable que ceux qui y mettent leur plaisir sont encore charnels.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire