Le combat avec les pensées blasphématoires
et le désespoir
Le saint nouveau
hiéromartyr Kronid (dans le monde Constantin Petrovich Lioubimov) est né en
1859 dans le village de Levkievo, dans la région de Volokolamsk, dans la
province de Moscou. En 1915, l'archimandrite Kronid a été nommé supérieur de la
Laure de la Trinité-Saint-Serge, et resta à ce poste jusques en 1920, quand
elle fut fermée par les bolcheviks.
L'archimandrite Kronid
a alors vécu pendant dix-sept ans à Zagorsk (connue avant et après la période
communiste sous le nom de Serguiev Possad, ville qui entoure la Laure), au
cours de laquelle il a continué à servir de facto de supérieur de la fraternité
monastique. L'archimandrite Kronid a été arrêté en Novembre 1937, à ce moment,
il était devenu aveugle, et il fut incarcéré à la prison Taganka à Moscou. Il a
été jugé avec une quinzaine de personnes, dont dix étaient des moines de la
Laure. Accusés d'activités contre-révolutionnaires, onze ont été abattus et
quatre ont été condamnés à dix ans de travaux forcés. A la question de savoir
comment il considérait la puissance soviétique, il a répondu: "Je suis par
conviction monarchiste, adepte de la Véritable Eglise orthodoxe, et je
reconnais le pouvoir soviétique existant en tant que croyant: il a été envoyé
aux gens comme un épreuve de la foi dans la Providence de Dieu." Père
Kronid a été condamné en tant que "chef de file d'un groupe
contre-révolutionnaire monarchique de moines et du clergé." Il a été
fusillé à Butovo et enterré dans une fosse commune.
L'archimandrite Kronid
a été glorifié comme saint parmi les Nouveaux Martyrs et Confesseurs de Russie
par le Patriarcat de Moscou en août 2000.
Ce qui suit est une
remarquable et courageuse source d'inspiration de première main par saint
Kronid au sujet de ses combats avec des pensées blasphématoires et le désespoir
qui les accompagnent:
Un soir, alors que je me tenais dans l'église des Saints
Zosime et Sabbace au cours des Vigiles, des pensées terribles, horribles
d'incrédulité, de doute et de blasphème apparurent de façon soudaine et
inattendue dans ma tête comme un éclair. Ceci arriva si vite et tout à coup
que, comme la foudre, ces pensées me brûlèrent avec le feu de l'enfer. Puis ces
pensées se déversèrent comme une rivière à travers ma conscience. Je restai
muet de peur et d'horreur. Quelque chose d'indescriptible et d'impénétrable,
d'horrible et d'étrange, eut lieu dans mon âme. Ces pensées ne me quittaient
pas, après que je sois allé de l'église dans ma cellule. Ces souffrances
n'étaient en effet en rien de cette terre, mais [elles venaient]de l'enfer. Je
fus privé de nourriture et de sommeil. Puis quelques jours, semaines, mois se
sont écoulés; un an, deux, trois, quatre passèrent, mais ces pensées infernales
continuèrent à s'écouler involontairement, en continuant à me hanter. Je ne
pouvais trouver un lieu de soulagement de l'angoisse et de la tristesse, moi,
le pécheur, dans mon désespoir, j'ai même demandé la mort au Seigneur.
Cette guerre mentale était indescriptiblement difficile.
Imaginez l'état de quelqu'un dans la bataille, quand deux mondes sont en vous:
un monde est lumineux, de foi et d'espérance en Dieu et de désir ardent pour le
salut, et l'autre, un monde de ténèbres, qui n'inculque que des pensées
destructrices et blasphématoires et l'incrédulité. Cette guerre insupportable
me visitait en particulier lors de la célébration de la Divine Liturgie. A
l'autel de Dieu devant le Saint des Saints et prononçant la prière pour
l'action de l'Esprit Saint à la consécration des Saints Dons, je continuais à
ce moment même à être vaincu mentalement par des pensées impures d'incrédulité
et de doute. Par conséquent, mes larmes de repentir ne connaissaient pas de
limites. Même le hiérodiacre Jonathan, qui concélébrait avec moi, voyait
comment je pleurais amèrement, il me considérait comme ayant l'esprit dérangé.
Lui, bien sûr, pensait cela par ignorance. Il ne savait pas ce qui se passait
dans la profondeur de mon âme.
Ma seule consolation et joie était, dans mes minutes de
liberté, d'ouvrir le livre des Vies des Saints pour lire sur Niphont, le
thaumaturge de Chypre, qui avait subi les mêmes pensées pendant quatre ans. Les
pensées destructrices m'attaquaient avec une force particulière les douze jours
de grandes fêtes. Mes nerfs s'épuisaient par tout cela, et les pensées de
désespoir et la dépression me poursuivaient partout. Perdant le contrôle de
moi-même, je fus obligé d'éloigner de moi-même les couteaux, les fourchettes,
les cordes, et toutes sortes d'autres objets et d'armes qui pourraient être utilisés
pour me suicider. Les mots me manquent pour tout décrire, et les larmes
d'horreur et la souffrance que j'ai endurées. Il y avait des moments dans la
nuit où j'étais incapable de prendre le contrôle de moi-même et je me
précipitais hors de ma cellule, j'allais à la cathédrale, et je courais autour
d'elle, en sanglotant, incapable d'attendre l'heure où la cathédrale serait
ouverte et où je pourrais pleurer sur ma douleur et mes difficultés
insupportables devant les reliques de saint Serge.
Je me souviens maintenant des paroles d'un ascète:
"Cherchez par vous-même un staretz et un père spirituel non pas tant empli
de sainteté, mais ayant de l'expérience dans la vie spirituelle." J'ai pu
éprouver ce conseil sur moi-même d'abord. Lorsque dans mes grandes souffrances
je me suis tourné vers une personne spirituellement respectée et lui ai parlé
de ma douleur mentale, il m'a écouté et a dit: "Qu'est-ce qui ne va pas
chez toi? Seigneur soit avec vous, comment pouvez-vous céder la place à de
telles pensées? "J'ai quitté mal compris par lui, ni vivant ni mort de
chagrin désespéré. Je n'ai pas dormi toute la nuit. Dans la matinée, dès que je
m'étais mis sur mes pieds, je suis allé, en fonction de mes responsabilités, à la
classe de peinture, et sur la façon dont je suis tombé sur le chef de l'atelier
de peinture, hiéromoine Micah. En me voyant bouleversé, il s'écria avec
étonnement:
"Père Kronid! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi? Tu es
méconnaissable! Ton visage a un air particulier de souffrance, plein de
douleurs, exprimant sans le vouloir ta souffrance spirituelle. Parle, quel est
ton problème? "
Alors je lui ai dit de tous mes chagrins et mes pensées
intérieurs. Il a écouté les larmes aux yeux, avec un sentiment spécial de
compassion et d'amour chrétien, comme si lui-même avait enduré ces douleurs
avec moi. Il a dit:
"Détends-toi, Père Kronid. Cette grande guerre, cet
ennemi insupportable, qui est le lot de beaucoup de gens. Nous ne sommes pas
les premiers. Beaucoup, vraiment beaucoup en souffrent. J'ai souffert de cette
guerre pendant sept ans et j'ai atteint un tel état que, une fois, allant à la
cathédrale de la Dormition pour les vêpres, je ne pus même pas y rester, à
cause de pensées d'incrédulité et de blasphème. Sortant de l'église, je suis
allé dans la cellule de mon père spirituel, le hiéromoine Avraamy, toujours
tremblant et incapable de parler. Le staretz m'a demandé plusieurs fois:
"Que t'arrive-t-il? Qu'est-ce qui ne va pas chez toi? Dis-moi!"
Après beaucoup de larmes tout ce que je pouvais dire était:
"Batiouchka, je péris" Alors le staretz m'a dit:« Tu ne te complais
pas dans ces pensées et tu n'es pas heureux par elles, n'est-ce pas? Pourquoi
es-tu si intolérablement alarmé? Détends-toi! Le Seigneur voit ton martyre
spirituel, et Il t'aidera en toutes choses."
Puis il a lu la prière d'absolution sur moi, m'a béni, et
m'a renvoyé en paix, et depuis ce jour, avec l'aide de Dieu, elles [les pensées
blasphématoires] ont complètement disparu. Elles apparaissent parfois à
l'occasion, mais je ne leur prête aucune attention, et elles disparaissent, et
je me calme rapidement."
Les paroles de Père Micah furent comme un baume précieux
versé sur mon âme, et depuis ce temps j'ai eu une diminution significative de
cette guerre spirituelle."
Comme nous le savons par sa vie, le Père Kronid a non
seulement subi cet assaut de ce qu'aujourd'hui on pourrait appeler une
dépression majeure, mais il a quitté cette vie avec la couronne du martyre.
Puisse son exemple saint de patience et de longanimité servir à tous nous
encourager et nous raffermir!
Saint hiéromartyr
Kronid, prie Dieu pour nous!
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
ORA ET LABORA
Source :
http://orthodoxologie.blogspot.fr
Ceux qui suivent un chemin spirituel, s'ils n'ont jamais subi à un degré plus ou moins accentué des épreuves telles, c'est que leur chemin n'est pas le bon. Et si j'ai voulu répandre un tant soit peu ce témoignage, c'est parce qu'il m'a paru très consolant. D'une part en éloignant la culpabilité que, bon gré mal gré, on éprouve parce qu'on croit avoir ouvert la porte à de tels pensers. Et d'autre part en inspirant une confiance absolue dans le Sauveur, dont nous savons, mais en l'oubliant souvent, qu'il ne permet jamais que nous soyons tenté au-delà de nos forces (aidées des siennes, bien sûr).
Ce qui m'a le plus frappé dans cette confession, c'est que cette horrible tentation puisse se produire durant la Divine Liturgie, lorsque le Fils de Dieu se rend corporellement présent, alors qu'on pourrait imaginer que sa Présence fait fuir Satan. Eh bien, non. Et si cela se produit, c'est qu'Il le permet...
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