Quand, des yeux de la Foy, je vois le premier Age,
Où tu formas de l’Homme & l’Esprit &
le Corps [a],
Je te bénis, Seigneur, Tout-puissant &
tout-sage,
Qui dans ce Composé versas tant de Trésors.
Ce
fut là ton Chef-d’œuvre & ton plus noble Ouvrage,
Dont
le rare artifice & les nombreux ressorts
Expriment
clairement les traits de ton Image,
Et
causent dans mon Cœur de célestes Transports.
Eternel, si dans moy ton Image est
empreinte[b],
Qu’admirant
ton Pouvoir, je profite en ta Crainte,
Et
je t’offre les vœux de ma Fidélité.
Que
mon Cœur, pour t’aimer, devienne tout de flamme ;
Et
que pour rendre Hommage à ta Divinité,
Je
consacre à ta Gloire, & mon Corps, & mon Ame.
SONNETS CHRETIENS SUR DIVERS SUJETS
DIVISES EN QUATRE LIVRES
PAR Mr DRELINCOURT
Livre Ier, sonnet X
Edité
et préfacé par Albert-Marie Schmidt
Paris,
Les Editions du Chêne, 1948
[a]
Galien dit, qu’en reconnaissant Dieu pour l’Auteur de toute la belle Economie
de notre Corps, il est assuré de lui chanter une Hymne beaucoup plus agréable
que ne lui seraient toutes les Victimes et tous les Parfums.
[b]
Allusion au mot de Jésus-Christ : Rendez à César, etc., c’est-à-dire,
selon Saint Augustin, César exige de nous cette Impression de son Image, et
Dieu vous demande l’Impression de la sienne, qui est votre Ame, dans son
Essence, dans ses Facultés, et dans ses Habitudes.
Laurent Drelincourt (1626-1680) fils d'un pasteur huguenot renommé fut à son tour un des plus brillants représentants de l'Eglise réformée. Il conçut, et y réussit avec éclat, l'idée de mettre au service de l'expression de la foi et de la piété cette langue riche et ornée du temps de Henri IV et de Louis XIII telle qu'un saint François de Sales en avait donné l'exemple inégalé un demi-siècle plus tôt. Les linguistes ont pris l'usage de la qualifier "préciosité", terme qui n'implique aucun jugement de valeur mais désigne techniquement un certain état de la langue française, comme plus tard "galanterie" au début du règne de Louis XIV.
Le professeur Albert-Marie Schmidt, qui en fut le spécialiste incontesté, a dans sa préface ces mots que je m'en voudrais de ne pas citer :
" [Laurent Drelincourt] voulut montrer que la spiritualité précieuse trouve dans la théologie son accomplissement. Ainsi mena-t-il à bien une oeuvre poétique qui n'a pas sa pareille au dix-septième siècle. [...] La préciosité cherchait, lui semblait-il, la théologie. Il provoqua leur rencontre. Elle devint dans ses ouvrages une indissoluble union."
Ses cent-soixante "Sonnets chrétiens", parus en 1677, s'acquirent dès alors une renommée qui, dans le monde huguenot au moins, dura plus d'un siècle et demi, jusqu'à la révolution romantique. Leur somptuosité orchestrale, leurs harmonies entrelacées, leur scintillance, leur exubérance, cette richesse foisonnante et pourtant secrètement ordonnée - toutes richesses bientôt abolies sous la sèche férule de Malherbe et de Vaugelas - auront-elles chances de résonner dans nos âmes contemporaines, si étrangères à l'idée même de préciosité ?
Je tente l'expérience. N'en fût-il qu'un pour s'en régaler, ce sera moi !
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