Patrice Mahieu, « Paul VI et les orthodoxes ». Préface du
métropolite Emmanuel Adamakis, Paris, Éditions du Cerf, 2012, 304 pages,
collection « Orthodoxie ».
Un nouveau volume vient de paraître aux éditions du Cerf
dans la collection « Orthodoxie », co-dirigée par l’archiprêtre Jivko Panev et
le père Hyacinthe Destivelle, o.p. L’auteur, spécialiste du pape Paul VI
(1963-1978), présente les positions et l’activité de celui-ci en vue de retrouver l’unité perdue entre
catholiques et orthodoxes, une activité conjointe avec celles du patriarche
Athénagoras Ier et de son successeur le patriarche Dimitrios Ier. Cette étude,
qui a pour objet l’histoire des relations œcuméniques entre les deux Églises à
l’époque de son apogée, présente successivement et dans le détail :
1) L’évolution des relations catholiques-orthodoxes sous Pie
XII et Jean XXIII et les principaux protagonistes.
2) La période du concile Vatican II coïncidant avec le
pontificat de Paul VI.
3) Le nouveau climat qui s’est établi (1965-1967).
4) L’Église catholique et l’Église orthodoxe : Église-sœurs
jusqu’à quel point ? (1967-1972).
5) Paul VI et Dimitrios Ier : les nouvelles formes du
dialogue (1972-1978).
Du côté orthodoxe, l’activité œcuménique fut principalement
développée par le patriarcat de Constantinople; l’Église russe fut moins
active, et n’occupe donc dans ce livre qu’une place réduite, malgré
l’engagement fort du métropolite Nicodème de Léningrad (qui consacra sa thèse
de doctorat au pape Jean XXIII et mourut dans le bureau du pape Jean-Paul Ier)
et le fait que celui-ci et quelques autres métropolites de renom n'hésitaient
pas, dans les années soixante-dix, à donner la communion à des prêtres
catholiques, comme le signalent dans leurs mémoires tant Mgr Basile Krivochéine
que le théologien catholique Hans Küng.
Le livre comporte quelques informations inédites. L’une
d’elle concerne la « commission secrète » dont les travaux se sont tenus à
Chambésy puis à Zurich en avril et juin 1970 (p. 194-200). Constituée du côté
orthodoxe par le métropolite Damaskinos et Jean Zizioulas, elle émit un avis
favorable pour une concélébration eucharistique entre le pape Paul VI et le
patriarche Athénagoras. Le passage à l’acte ne se fit cependant pas car des
deux côtés on craignit que le patriarche fût immédiatement désavoué, voire
déposé, ce qui aurait été plus nuisible que profitable à la cause de l'union
des Églises.
Le bel enthousiasme dont fait preuve l’auteur de ce livre en
se référant au passé contraste avec la lassitude et la fatigue qui accompagnent
aujourd’hui le mouvement œcuménique. Ce livre a surtout un intérêt historique,
puisque la mesure la plus spectaculaire de l’époque relatée – la levée des
anathèmes – est restée sans effet concret ; que les années qui ont accompagné
et suivi la chute du communisme ont donné lieu, de la part de l’Église romaine,
à un développement du prosélytisme et de l’uniatisme qui a été et reste une
source de tensions ; et que plusieurs des avancées réalisées à l’époque ont été
dénoncées par le pape Benoît XVI qui, d’une manière générale, a ramené l’Église
catholique-romaine à ses positions ecclésiologiques et dogmatiques de la fin du
XIXe siècle. À propos de l’expression « Églises-sœurs » sur laquelle l’auteur
s’étend longuement pour montrer (p. 158-166) comment elle avait fini par
s’imposer dans les années soixante-dix (et que les accords passés à Balamand en
1993 avaient confirmée), une note du Vatican publiée en 2000 précisait
notamment : « Il doit toujours rester clair que l’Eglise universelle, une,
sainte, catholique et apostolique [sous-entendu l’Église catholique-romaine],
n’est pas la sœur, mais la mère de toutes les Églises particulières ». Une
autre note publiée en 2007 recadrait le sens d’une expression du concile
Vatican II (subsistit in) en précisant que l’unique Église du Christ ne
subsiste que dans l’Église catholique-romaine. Une autre note encore, publiée
la même année, portant sur l’évangélisation, invitait les catholiques à
témoigner de leur foi auprès des chrétiens non-catholiques et à leur « offrir
la plénitude des moyens de salut »
Du côté orthodoxe, des positions analogues furent prises. En
2000, le concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe promulgait une «
Déclaration sur les Principes fondamentaux régissant les relations de l’Église
orthodoxe russe envers l’hétérodoxie » dans laquelle il affirmait: «
L’Église orthodoxe est la véritable Église du Christ, fondée par notre
Seigneur et Sauveur Lui-même, l’Église que l’Esprit Saint a établie et qu’Il
remplit […]. Elle est l’Église Une, Sainte, Universelle et Apostolique,
gardienne et dispensatrice des Sacrements saints dans le monde entier, “colonne
et fondement de la vérité” (1 Tm 3, 15). Elle porte en plénitude la
responsabilité de diffuser la Vérité de l’Évangile du Christ, de même que la
plénitude du pouvoir de témoigner de la « foi, transmise aux saints une fois
pour toutes » (Jude 3). » Et plus loin: « L’Église orthodoxe est la véritable
Église, dans laquelle sont conservées inaltérées la Sainte Tradition et la
plénitude de la grâce salvatrice de Dieu. Elle a conservé dans leur totalité et
dans toute leur pureté l’héritage des Apôtres et des saints Pères. Elle
reconnaît l’identité de sa doctrine, de sa structure liturgique et de sa
pratique avec la prédication apostolique et la Tradition de l’Église Ancienne.
L’Orthodoxie n’est pas un “attribut national et culturel” de l’Église d’Orient.
L’Orthodoxie est une qualité interne de l’Église, la conservation de la vérité
doctrinale, de la structure liturgique et hiérarchique et des principes de
vie spirituelle, demeurés sans interruption ni changement dans l’Église depuis
les temps apostoliques ». Et en 2007, le métropolite (futur patriarche de
Moscou) Kirill déclarait à propos du document du Vatican « Subsistit in » : «
L’Église orthodoxe est l’héritière de plein droit, selon la ligne
apostolique, de l’Église Une et ancienne. C’est pourquoi nous rapportons
avec plein droit à l’Église orthodoxe tout ce qui a été formulé dans le
document catholique ». Le patriarche œcuménique Bartholomée, n’hésitait pas de
son côté à affirmer, dans l’église du Protaton à Karyès (Mont-Athos), le 21
août 2008: « C’est l’Église orthodoxe qui est la seule Église une, catholique
et apostolique ».
L’événement récent constitué par le simulacre de baptême que
se sont mutuellement donné à Trêves l’évêque catholique de Speyer et le
métropolite du patriarcat de Constantinople Augustinos est un témoignage public
du fait que les deux Églises ne reconnaissent pas mutuellement la validité du
sacrement du baptême qu’elles confèrent respectivement, contrairement à ce qui
a souvent été affirmé par ces deux Églises, et manifeste un recul par rapport à
des prises de positions œcuméniques communes passées, comme le BEM, qui fut
souvent cité comme référence, mais n’a en vérité jamais constitué un accord
engageant les Églises orthodoxes.
Recension par Jean-Claude Larchet / source : http://www.orthodoxie.com
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