L'archiprêtre
Zacharie Kerstiouk du Département des relations extérieures de l'Eglise
orthodoxe ukrainienne (Patriarcat de Moscou) parle de la situation en Libye et
comment le service pascal a été célébré dans ce pays fermé.
En Libye il y a le chaos et
l'anarchie. Le discours de stabilisation à la télévision ne correspond pas
à la réalité. Il n'existe aucune autorité stable. Il n'y a pas même
de police dans les rues. Aujourd'hui, le pays est déjà officiellement
divisé en trois parties. Chaque ville a ses propres autorités… Le
pays est en train de s'effondrer. Dans certaines régions il y a des
opérations de combat qui utilisent l'artillerie lourde. À Tripoli, la
situation semble relativement calme de jour, mais il y a des échanges de tirs
dans la nuit. On est réveillé dix à vingt fois. On ne peut jamais
s'habituer aux coups de feu. La vie dans un pays qui, il n'y a pas si
longtemps se développait activement, avec une structure normale pour le soutien
social de la population, avec des subventions et des
financements divers, a été pratiquement paralysée. De nombreux
services gouvernementaux ont été bombardés par l'OTAN. Tout le monde vit
pour lui-même, tout le monde essaie de se protéger, et tout le monde est
armé. Il n'est pas rare de voir de jeunes enfants dans les rues avec des mitraillettes.
Tripoli est contrôlée par plusieurs groupes qui gardent l'apparence d'un
cessez-le feu entre eux. Mais que se passera-t-il plus tard, quand ils
commenceront à se partager leur sphère d'influence? Le pronostic est
inconfortable.
Il a fallu une demi-année de travail pour réaliser la
possibilité de voyager en Libye afin de visiter nos compatriotes qui y vivent.
Beaucoup de gens sont venus en Libye pour travailler et, quand la guerre a
commencé, ils n'étaient plus en mesure de partir. Le Seigneur l'ayant permis,
un visa a été obtenu grâce à des gens de l'ONU. Arrivé dans le pays, mon
premier point souci était d'établir des contacts avec nos compatriotes et
d'obtenir la permission de célébrer le service pascal. Recevoir l'autorisation
semblait peu probable. Mais, par la miséricorde de Dieu, la permission a été
accordée.
Il y avait beaucoup de gens au service pascal nocturne, y
compris les jeunes enfants - ils n'ont pas été renvoyés lors de l'évacuation.
Au service pascal nocturne et à la Liturgie plus tard, plus
de 200 personnes sont venues, dont la majorité (90%) étaient médecins et la
minorité des diplomates.
Pendant la guerre, les médecins ont été très bien traités,
ils avaient la protection. Par conséquent, ils ne partaient pas. Beaucoup
rapportaient que, dans un hôpital entier il pouvait n'y avoir qu'un seul
chirurgien - un Ukrainien. Jusqu'à quarante opérations par jour devaient être
effectuées. Mais bien sûr, il est évident que les gens ne sont pas venus ici
pour avoir une vie meilleure.
Les Libyens étaient occupés avec leur révolution. Beaucoup
de gens ont péri ici: selon des données officieuses, environ 500.000 personnes
ont été tuées et environ 300.000 ont été blessées. Selon les données
officielles fournies par l'OTAN, il y eut 170.000 morts. Cela signifie que la
vérité est quelque part au milieu. Mais pour un pays de 4.000.000 d'habitants
même 170.000 morts est un chiffre très élevé.
Nous avons servi la Liturgie pascale nocturne sous le
sifflement des balles, des mitrailleuses et des explosions. La ville est minée,
et il n'est pas rare pour les voitures de heurter les mines terrestres.
L'aéroport est également miné.
Dans les photographies que j'ai prises il y avait en tout
soixante-trois personnes. Beaucoup ont refusé d'être photographiées afin que
leurs visages n’apparaissent pas
n'importe où en ligne. Ceux qui ont accepté d'être photographiés, au
contraire, l'ont fait dans le but de montrer à leurs parents qu'ils étaient bel
et bien vivants. A l'office, nous avons lu l'Evangile en dix langues:
biélorusse, ukrainien, slavon, arabe, anglais, allemand, français, espagnol (il
y avait un Espagnol à l'office), et en serbe (les Serbes ont également pris
part au service).
Nous avons apporté des croix et des livres de prières pour
le peuple, qui ont tous été distribués par le premier jour de l'arrivée.
Mais pas tout le monde n'était en mesure de venir au service
pascal, et donc je me suis à voyager autour des villes - j'en ai déjà visitées
cinq. Les gens se rassemblent (ils vivent sur le territoire des cliniques et
hôpitaux) autour de la table. Nous faisons d'abord soit les Vêpres soit la
Liturgie pascale. Ensuite, nous parlons et chantons des chansons en ukrainien
et en russe.
En outre, nous avons négocié pendant un temps très long
l'autorisation de visiter nos compatriotes en captivité. Cela a également
semblé presque impossible. Parmi les captifs il y a deux russes, trois
biélorusses, et plus de vingt ukrainiens.
Les prisonniers ne semblent pas avoir de blessures
corporelles, mais ils ont bien sûr des yeux fatigués: huit mois de captivité se
font sentir. Mais ils tiennent et semblent être de bonne humeur. Je leur ai
distribué des icônes, des livres de prières, de la paskha et des œufs de Pâques
de couleur.
J'ai même donné un œuf de Pâques au chef [de la prison], qui
a souri et a dit plus tard: "Nous vous félicitons pour la Pâques du
Christ".
De ma propre initiative j'ai catégoriquement choisi de ne
pas communiquer avec la population locale. Cela peut être interprété comme de
la propagande religieuse, pour laquelle est requise ici la peine de mort.
Version française
Claude Lopez-Ginisty
d'après PRAVMIR
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