On se souvient de l’assassinat par un tueur fou, Mohamed
Merah, de trois parachutistes à Montauban, le jeudi 15 mars 2012, succédant à l’assassinat
à Toulouse d’un autre parachutiste, le dimanche 11 mars, et précédant la tuerie
de l’école juive Ozar-Hatorah, toujours à Toulouse, le lundi 19 mars.
Lors de la cérémonie funèbre en l’honneur d’un de ces
parachutistes, qui était chrétien, le
père Christian Vennard, aumônier du 17e régiment du génie
parachutiste, a prononcé une très belle homélie que je désire partager avec mes
lecteurs.
"Abel, mon camarade parachutiste, mon frère, voilà une
semaine, jour pour jour et presque heure pour heure, je tenais ta main, encore
chaude de la vie que venait de te prendre un assassin. Je tenais ta main en
priant pour toi, en pensant à ta maman et en te confiant à notre Maman du Ciel,
la Vierge Marie. Je ne connaissais pas encore Caroline, mais si tel avait été
le cas, je t’aurais aussi parlé pour elle et pour ce petit bébé que vous
attendez.
Puis je me suis penché sur ton camarade Mohamed Legouad
qu’essayaient de maintenir en vie les remarquables équipes d’urgentistes.
Enfin, j’ai assisté au départ vers l’hôpital de Loïc Liber, qui à cette heure
même se bat, entouré de son papa et de sa maman, pour rester en vie. Que de
souffrances. Que d’incompréhensions. Mais aussi que de solidarité, de soutien,
d’hommages et, pour nous chrétiens, de foi (comme le rappelait hier l’évêque
aux armées en la cathédrale de Montauban) et d’espérance, malgré tout !
Il y a deux mille sept cents ans, à Rome, au cœur même du
forum, symbole et centre de la vie de la Cité, un gouffre s’ouvrit. L’oracle
consulté livra cette réponse : pour combler ce gouffre, Rome devait y engloutir
ce qu’elle avait de plus précieux. Chacun s’interrogeait encore sur ce qui
pouvait être de plus précieux, quand un jeune cavalier, un jeune homme armée,
Curtius, se jeta avec son cheval dans le gouffre qui se referma aussitôt. Oui,
ce que Rome avait de plus précieux était un jeune militaire défenseur de la
Cité. Le criminel terroriste qui a mené ces actions dans lesquelles tu as perdu
la vie, Abel, a tenté d’ouvrir un gouffre. Le prix à payer pour le combler est
bien sûr infiniment trop lourd ; mais mon ami Abel, tu es devenu, comme
Curtius, symbole de ce que notre pays, la France, possède de plus précieux. Et
désormais, c’est ainsi que tu nous apparaît : jeune caporal parachutiste, mort
pour la France, dans un attentat terroriste qui voulait mettre à bas notre
Patrie.
Abel, je veux aller encore plus loin. C’est parce que tu
portais l’uniforme français, parce que tu étais fier de ton béret rouge, que ce
criminel t’a visé. Ce que ce meurtrier ne pouvait savoir c’est aussi tout ce
que tu représentes aujourd’hui pour notre Patrie. Issue d’une famille à la fois
alsacienne (avec tout ce que cette région fait ressortir en notre pays des
souffrances liées aux deux conflits mondiaux) et kabyle (et comment ne pas
évoquer ici les douloureux événements d’Algérie), ta famille choisit la France
avec (et je reprends les mots mêmes de ton cher papa), avec toutes ses
traditions, y compris ses racines les plus profondes, qui sont chrétiennes.
Comment ne pas voir, mon ami Abel, dans une telle accumulation de symboles, ce
que nous avons de plus précieux cette capacité que possède notre Patrie
française de prendre en son sein, tous ceux qui veulent devenir ses fils.
Au moment où nous allons te porter en terre, dans cette
terre pétrie des ossements de nos pères (c’est cela la Patrie aussi), Abel,
avec toute ta famille, tes amis, tes camarades parachutistes, je te fais le
serment que nous soutiendrons Caroline et ton enfant. Que nous resterons
présents auprès des tiens. Désormais c’est à Dieu que nous te confions, au
travers des rites catholiques qui accompagnent nos défunts. Nous savons que tu
es vivant auprès du Père. Tu as rejoint Jésus, ce Dieu fait Homme, cet innocent
mort à cause de la méchanceté et la violence qui habitent trop souvent le cœur
des hommes. Ton sacrifice se trouve comme enveloppé dans celui du Christ Jésus.
En te retrouvant jeudi dernier, gisant sur le sol montalbanais, en prenant ta
main et en voyant couler de tes blessures ce sang si rouge et si pur, je
confiais au Seigneur de la Vie, cette vie qui s’écoulait de toi. Et si aucune
larme ne sortait de mes yeux, comme tant de tes camarades, c’est mon cœur qui
pleurait sur toute violence faite aux innocents sur cette pauvre terre. Et
c’est à l’Innocent qui a versé son Sang pour nous réconcilier avec son Père,
qui a versé son propre Sang en rançon pour toutes les violences, que je
confiais ta belle âme. Abel, français d’origine alsacienne et kabyle,
catholique par choix, parachutiste au service de la France, que notre grand
saint patron, que l’Archange saint Michel t’accueille et te fasse entrer au
sein du Père, avec le Fils et le Saint-Esprit. Amen."
Requiescat in pace.
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