samedi 6 novembre 2010

Du bon usage de l'exégèse


Du bon usage de l’exégèse

Citations extraites de
 La lecture chrétienne de la Bible
Par Dom Célestin Charlier
(Livre de Vie, 1957)

A la suite d'intéressants échanges qui sont parus sur l'excellent blog de l'Institut Eléazar http://www.institut-eleazar.fr/  il m'a paru bon de faire paraître une mise au point sur l'usage, bon ou mauvais, de l'exégèse. Je l'ai demandée à l'un des meilleurs exégètes de la deuxième moitié du XXe siècle, dom Célestin Charlier, moine de Maredsous.
Je lui cède la plume.


« (…) La seconde période, dite documentaire, marque un progrès notable [sur la période philosophique]. Faisant appel à une méthode plus objective et scientifique, des critiques comme Graff et Wellhausen s’efforcent de dégager les sources littéraires qu’ils mettent à la base de la composition du Pentateuque (1889). A leur suite, une foule de savants s’appliquent, avec plus ou moins de bonheur, à un examen minutieux des moindres particularités linguistiques ou littéraires des Livres saints. Ce dépeçage aboutit à un émiettement des textes, qui a rarement le mérite d’être universellement accepté. Il reste surtout entaché du préjugé anti-surnaturel de la période précédente, et vicié par l’esprit de système. Néanmoins de ces efforts, se dégagé un ensemble de conclusions qu’il n’a plus été possible de méconnaître. La critique littéraire a dès lors conquis droit de cité en histoire.
« Une autre méthode, née vers la fin du siècle, serait heureusement venue corriger ce que la précédente avait de trop rigide, si elle n’avait constitué par ailleurs un fâcheux retour au subjectivisme de la période philosophique. L’histoire des religions a provoqué la naissance de trois ou quatre écoles bibliques principales. (…)En tout ceci, beaucoup de science, beaucoup d’imagination, mais souvent trop peu d’objectivité et de bon sens. On manie les textes et les faits avec désinvolture.
« Malgré cela, ou peut-être à cause de cela, les répercussions de cet immense effort furent incalculables. Sur le protestantisme d’abord. L’élite intellectuelle croyante y laissa ses derniers dogmes, et ne sauva sa vie religieuse qu’en la dégageant de toute révélation trop précise. De nobles personnalités comme A.Harnack et M. Goguel ont donné un éclat réel à cette position du protestantisme libéral. Mais le christianisme n’est plus, semble-t-il, pour eux que la plus belle religion naturelle, et Jésus la plus pure figure de l’Humanité.
« Dans le catholicisme, la crise éclata plus tardivement mais plus brusquement et avec une extrême violence. Durant la plus grande partie du XIXe siècle, la majorité des représentants de la pensée catholique s’était tenue à l’écart du mouvement des idées qui transformait le monde, et se cantonnait dans une attitude défensive. Jamais dans l’histoire de l’Eglise l’exégèse biblique, en particulier, ne tint positions plus délibérément conservatrices, voire rétrogrades. De la critique d’Outre-Rhin on ne connaissait guère que les outrances, et la Vie de Jésus de Renan, en faisant sombrer la foi de toute une jeunesse intellectuelle, vint accroître encore cette défense systématique. Tout était rejeté en bloc, au nom d’une tradition trop souvent compromise avec des conceptions figées et étroites. Mais la puissante personnalité de Léon XIII vint élargir ces horizons trop fermés. Plusieurs esprits remarquables trouvèrent dans son encyclique Providentissimus (1893) un encouragement à aborder de front les thèses de la critique indépendante et s’y initièrent rapidement. En 1890, le Père Lagrange fonde à Jérusalem une Ecole biblique qui cherche, avec courage et confiance, à introduire en exégèse une saine  méthode historique, et le Congrès catholique de Fribourg marque à son tour un vigoureux effort dans cette voie ;
«  Malheureusement, la plupart des esprits étaient mal préparés à une aussi rapide adaptation. L’écart était si grand entre les positions confortables de la veille et les hardiesses d’une certain critique, qu’un malais devait inévitablement en résulter. Une sorte de vertige saisit tous ceux qu’un jugement ferme et une théologie ouverte ne protégeaient pas. La majorité prit peur et se replia hâtivement sur une défensive volontiers soupçonneuse : ce fut l’Ecole stricte. Le reste, baptisé Ecole large, n’était pas homogène. A côté d’esprits solides et ferment attachés à leur foi, que soutenait la confiance dans la vérité, tels le Père Lagrange et ses disciples, se rencontraient des intellectuels hardis et pénétrants mais qui n’avaient pas su éviter l’écueil du rationalisme. Eblouis par les thèses critiques insuffisamment digérées, dépourvus de culture philosophique et théologique profonde, ils ne virent de salut que dans l’établissement d’une cloison étanche entre les domaines respectifs de la Foi et de l’Histoire. Dans son fameux « petit livre », L’Evangile et l’Eglise, paru en 1902, l’abbé Loisy croyait sincèrement mettre le catholicisme à l’abri de l’exégèse naturaliste de Harnack. Mais, en faisant de la Résurrection du Christ une vérité de foi dépourvue de toute réalité historique vérifiable, il rejoignait par un autre biais la pensée philosophique de son adversaire et volatilisait la révélation en lui refusant toute incarnation tangible.
(pp. 30-32)
« A moins d’un demi-siècle de distance, nous avons peine à comprendre le désarroi où ces événements plongèrent une génération de croyants. L’explication doit sans doute en être cherchée dans ce brusque effet de contraste dont nous parlions il y a un instant ; on ouvrait sans transition à des esprits trop souvent restés enfermés jusque là dans des cadres désuets, les perspectives illimitées d’une science nouvelle, où voisinaient pêle-mêle des conclusions rigoureusement scientifiques et des hypothèses arbitraires. Une sorte d’indigestion intellectuelle s’en suivit, où périt la foi d’une jeunesse brillante.
« Le fait est à souligner, car il garde une valeur d’avertissement. L’Eglise a toujours trouvé odieuse, surtout aux périodes glorieuses de son histoire, la prétention de ceux qui cherchent à compromettre les réactions saines et légitimes de son sens traditionnel, avec les pusillanimités de l’esprit humain que n’élargit pas suffisamment une foi vraiment confiante. En ce domaine, un conservatisme imperméable est aussi nocif qu’un libéralisme présomptueux. En voulant protéger la foi d’une manière toute négative, certains représentants de la pensée catholique au XIXe siècle l’ont plutôt compromise. Ils sont en partie responsables de l’équivoque moderniste.
(pp. 32-33)
(…)
« Le débat récent sur l’interprétation spirituelle de la Bible a toutefois mis en relief une lacune particulièrement regrettable de beaucoup de ces publications exégétiques. Même les ouvrages de vulgarisation s’avèrent souvent impuissants à satisfaire en profondeur le besoin de vérité authentique et vivante qui anime les courants jeunes du catholicisme moderne. Cette impuissance est certes en partie l’effet presque inévitable de la spécialisation scientifiques qui amis en relief l’importance indéniable des problèmes techniques. Mais la véritable cause du mal est ailleurs.
« Elle est à la fois d’ordre philosophique et théologique. En adoptant sans retouche et sans transposition suffisantes, comme allant de soi, les normes logiques de la dialectique occidentale et les méthodes des sciences expérimentales,  ces exégètes ont généralement admis ce postulat qu’il n’y avait pas d’autre manière de penser, pour l’homme universel, que celle qui leur était familière et qui s’est exprimée dans les formes aristotélicienne, cartésienne ou kantienne, qui ont moulé leur esprit dès l’enfance. On a cru pouvoir se contenter d’appliquer à des textes nés dans une autre ambiance mentale les lois de la philosophie, de la psychologie et de la logique d’Occident. On n’a pa assez soupçonné de façon vivante et concrète, l’existence de mondes de pensée et de sensibilité radicalement différents des nôtres, et surtout on n’a pa assez cherché à y pénétrer par le dedans. Du mémé coup, on s’est fermé l’accès aux véritables sources de la vitalité religieuse de la Bible.
« Car on n’arrange rien en ajoutant quelques paragraphes « pieux » aux exposés desséchants d’une science qui semble se croire d’autant plus objective et impartiale qu’elle réduit davantage l’intervention de la foi à un rôle de contrôle tout externe. 
(p. 34)
(…)
« Ainsi donc, on s’apercevra peut-être bientôt qu’une part notable des productions bibliques de ce demi-siècle sont devenues caduques parce qu’elles ont méconnu cette loi fondamentale de toute interprétation saine : un texte ne se comprend en profondeur que par une redécouverte intime de l’attitude mentale qui l’a inspiré, c’est-à-dire par une véritable communion à son génie propre. Le génie de la Bible est un génie d’engagement, et d’engagement religieux. En n’en tenant pas assez compte, une certaine  exégèse moderne n’a pas seulement déçu l’attente de ceux qui veulent vivre de la vérité, mais elle a commis une erreur de méthode sur son propre plan technique. »
(pp.35-36)

Les passages mis en rouge le sont évidemment par moi


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