jeudi 31 mai 2012

Comment l'homme devient même corps et même sang avec le Christ

"C'est donc en toute certitude que, sous l'apparence du corps et du sang, nous participons au Christ. Car sous la figure du pain, c'est son corps qui t'est donné ; et sous la figure du vin, son sang qui t'est donné, afin qu'ayant participé au corps et au sang du Christ, tu sois avec lui un même corps et un même sang. Ainsi devenons-nous des 'porte-christ' (christophores), son corps et son sang se répandant dans nos membres. Voilà comment, selon le bienheureux Pierre, nous devenons participants de la nature divine (2 Pierre 1, 4).
[...]
"Instruit de ces vérités, et bien assuré que ce qui te paraît du pain n'est pas du pain quoiqu'il en semble au goût, mais le corps du Christ, et que ce qui paraît du vin n'est pas du vin, malgré la protestation du goût, mais le sang du Christ, sachant aussi ce que David chantait jadis à ce sujet : ...Et le pain qui fortifie le coeur de l'homme l'engage à oindre joyeusement son visage (Psaume 103, 15), fortifie ton coeur quand tu reçois ce pain comme pain spirituel, et réjouis le visage de ton âme. Puisses-tu, ce visage, le garder dans la nudité d'une conscience pure et, contemplant ainsi comme dans un miroir la gloire du Seigneur, progresser de gloire en gloire dans le Christ Jésus notre Seigneur ( 2 Corinthiens 3, 18) à qui soient honneur, puissance et gloire aux siècles des siècles. Amen."

Saint Cyrille de Jérusalem, vingt-deuxième catéchèse ou quatrième catéchèse mystagogique (ca. 350)

samedi 26 mai 2012

Du Saint-Esprit




Le Saint-Esprit, il faut penser à lui comme à une Personne, il faut s'adresser à lui comme à une Personne. C'est beaucoup plus difficile que pour le Père et le Fils car, l'Esprit Saint, nul ne connaît son Nom, c'est l’Innommé, comme l'appelait l’évêque Jean de Saint-Denis.

Si l'on y réfléchit bien, nous ne connaissons pas non plus les noms ni du Père ni du Fils. Père et Fils caractérisent leurs rapports, leurs relations. Mais quel est le Nom du Père ? Le tétragramme IHWH ? El Shaddaï ?  Elohim ? El Elyon ? Tous ces noms se rapportent à des opérations, à des actions de Dieu, mais pas à son « être même ». Le seul dont nous connaissions le Nom, c'est le Fils, mais c'est seulement son nom d'homme : JESUS, et non pas son Nom de Dieu ; tout ce que nous savons de lui c'est qu'il est Fils de Dieu.

Pour le Saint-Esprit, c'est encore plus flagrant : son Nom ne caractérise même pas ses rapports avec le Père et le Fils : le Père est Saint, le Fils est Saint, le Père est Esprit, le Fils est Esprit…

Pourtant, nous pouvons le connaître en l'expérimentant par ses dons, dons qu'il communique avec puissance. « Nous ne connaissons du Saint-Esprit que ses énergies, ses dons, ses grâces » (monseigneur Jean). Du même : « Il se donne si profondément qu'on ignore son Nom ». Ce serait une erreur grave de confondre ces dons, ces énergies avec Lui-même. On appelle Souffle, Vie, Feu, et c'est juste car c'est ce qu'il donne ; mais ce n'est pas Lui.

Premièrement, il est « vivificateur », proclamons-nous dans le Symbole de la foi :
a)      quand Dieu insuffle en Adam son souffle de vie,  c'est le Saint-Esprit ;
b)     c'est le Saint-Esprit qui donne vie au Verbe, Fils de Dieu, dans le sein de Marie ;
c)      c'est le Saint-Esprit qui communique la vie divine à tous les hommes dans le sein de l'Eglise, qui en fait des « hommes nouveaux » conformes au Christ, en qui il vient résider, en sorte qu'ils sont tous « temple du Saint-Esprit ».

Bien entendu la vie et l'amour divin sont indissociables : c'est l'amour qui transforme sur le plan purement humain et sur le plan divino-humain. C'est l'amour qui déifie. Et le Saint-Esprit est celui qui communique l'amour.

Dans une certaine tradition catholique romaine, héritée de saint Augustin, le Saint-Esprit est considéré comme l'amour mutuel que se portent le Père et le Fils, donc c'est un rapport, c'est une relation, ce n'est plus une Personne. Non ! Ceci est une hérésie. Ce qui est vrai, c'est que le Saint-Esprit communique l'amour, donc communique la déification.

Comment ? en opérant l'unité dans la diversité et la diversité dans l'unité.

Il y a diversité des dons. Selon la tradition, ces dons sont au nom de sept : sagesse, intelligence, conseil, force, science, piété, crainte de Dieu (tout cela dans le prophète Isaïe). Mais il faut aller plus loin et se rapporter à l'énumération qui est faite par saint Paul dans la première épître aux Corinthiens au chapitre 13 : « Il y a diversité des dons (charismes), mais le même Esprit ; diversité des ministères, mais le même Seigneur ; diversité d'opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous ». Ainsi est bien marquée la distinction de l'économie du Saint-Esprit, de l'économie du Fils et de l'économie du Père.

L'apôtre ajoute : « A chacun, la manifestation de l'Esprit est donnée pour l'utilité commune », c'est-à-dire que les dons (les charismes) sont donnés par grâce (charis) gratuitement, mais pas pour rien, pas pour un but gratuit ou égoïste, mais pour l'utilité commune, pour être et se rendre utiles à tous, donc pour le service de tous. Axiome : les dons de l'esprit sont toujours pour la charité, qui est le « don le plus excellent ». C'est pourquoi (toujours selon l'apôtre Paul) l'Esprit-Saint réalise l'unité par le lien de la charité.

Ce qui est dit des dons peut se dire aussi de la charité.  L’Esprit-Saint distingue les personnes, mais pour les unir. Et comment ? par l'amour. Le péché contre l'Esprit, c'est lorsque l'on blesse la charité ; la forme la plus extrême de ce péché étant le refus de la miséricorde divine, comme fit Judas. Mais il y a mille et une manières de blesser la charité.

En résumé : tournez-vous vers le Saint-Esprit comme vers une Personne débordante du feu de l'amour divin et qui communique cet amour avec une douce puissance inoubliable. Sentez comme il enveloppe tout, pénètre tout, remplit tout, comme il fait sa demeure en nous, s’unit à nous pour y siéger, se fait un avec nous, sans confusion ni altération, nous embrase de son feu et nous fait devenir conformes à Dieu, fils de Dieu et dieux nous-mêmes. Amen.


mercredi 23 mai 2012

Entretien avec le pape Shenouda III : "éveille-toi, ô toi qui dors !"



L'entretien que je publie ci-dessous est de première importance. Les conseils que le pape Shenouda y donne avec sérénité et simplicité sont d'une densité et, si on ose dire, d'une immédiateté extraordinaires, car ils peuvent être appliqués sans autre difficulté que la vigilance et la persévérance, et leur effet est garanti par l'expérience. 

Je ne saurais assez conseiller à mes lecteurs de les déguster.

Je remercie père Alphonse et Rachel d'avoir mis ce trésor à la portée de tous.  


Père Alphonse et son épouse Rachel Goettmann ont eu l'insigne grâce d'ap­procher en tête à tête Sa Sainteté le Patriarche d'Alexandrie, Shenouda III, lors d'une série d'entretiens en vue d'un prochain ouvrage. D'abord journa­liste de renom et poète, puis moine et ermite dans les grottes du désert de Wadi-Natrun, professeur de théologie et évêque, voilà qu'à 80 ans Amba She­nouda a déjà traversé trois décennies de son patriarcat. Il préside un immense peuple dont il s'est fait très proche et auquel il ne cesse de transmettre des paroles de sagesse, simples et perspicaces comme l'Évangile. Nous reprodui­sons ci-dessous l'un de ces entretiens.

Père Alphonse et Rachel: Amba Shenouda, l'homme a une double polarité: il est terrestre et il est céleste. La plupart du temps cependant, il vit comme si cette dernière n'existait pas. Or, c'est précisément cette dimension transcendante qui fait qu'un homme soit un homme et lui permet de progresser dans une évolution inces­sante, vers une spiritualisation, une divinisation de son être. Bien loin de cela qui le rendrait heureux, il s'enferme dans les intérêts terrestres, à l'affût de plaisirs médiocres, en-deçà de la capacité d'infini qui l'habite. Sa vie n'est souvent qu'une réduction à l'horizontalité animale... Même beaucoup de ceux qui se disent croyants se contentent de cet univers rétréci et ne semblent pas avoir l'expérience d'une vraie illumination, d'un éveil. Ne sommes-nous pas des endormis?

Amba Shenouda: L'Écriture Sainte définit, en effet, l'homme loin de Dieu, comme un endormi. C'est l'homme en état de péché. Il ne sait rien de son âme et de sa situation. Il n'a pas le moindre soupçon de sa dimension spirituelle: son besoin, c'est d'être réveillé! C'est pourquoi saint Paul écrit aux Romains:

Comprenez le temps où nous sommes: c'est l'heure de nous réveiller (13.11).

L'apôtre veut nous dire par là: cela suffit de dormir! C'en est assez de ce temps de négligence dans notre vie spirituelle! Il faut nous réveiller sur le champ, ici et main­tenant, sans aucune remise au lendemain! Car, continue saint Paul,


La nuit est avancée, le jour est proche. Laissons donc là les œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière! (13,12).

L'Eglise nous adresse le même appel quand, à l'office de minuit, on commence la prière par ces mots:

Levez-vous, fils de Lumière!
Louons le Seigneur des Puissances célestes,
car Il nous offre la grâce de la libération de nos âmes...
Arrache, Seigneur, le sommeil de nos sens,
il paralyse notre vigilance. Accorde-nous, ô Dieu,
d'être éveillés, afin que nous sachions comment nous tenir en ta Présence
au temps de la prière et accueillir le pardon de nos péchés.

Il s'agit donc bien de nous réveiller du sommeil de l'inattention. Saint Paul va cependant encore plus loin que le sommeil ordinaire, il y voit la mort elle-même:

Eveille-toi, toi qui dors, lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera! (Eph 5,14).

L'appel est donc clair: lève-toi, fais attention à toi-même ! Retourne à la vigilance pour découvrir où tu en es. Eveille-toi et laisse les œuvres des ténèbres ! Alors le Christ t'illuminera et tu passeras de la mort à la vie...

Père Alphonse: La vigilance semble être le fond commun de toutes les Traditions spirituelles de l'humanité. Elle est le nerf de la vie tout court. Sans elle il n'y a rien. On dit communément que le progrès d'un homme dépend de la puissance de sa concentration. Bouddha l’ affirmait :

La vigilance est la voie de l'immortalité, l'inattention la voie de la mort.
Soyez éveillés parmi les endormis.

La conscience de soi et la présence au présent est alors le chemin même vers Dieu et nous sort de tout ce qui nous sépare de Lui, c'est-à-dire du « péché ». Le mot « péché » est difficilement accepté aujourd'hui, à cause de son aspect moral et culpa­bilisant, mais vous lui donnez une toute autre dimension en le définissant comme une mort de l'âme...

Amba Shenouda: Le pécheur est narcosé, abruti. Il ne sait pas qui il est ni ce qu'il fait. Hors de son axe, déraciné, il se jette dans le malheur. L'enfant prodigue a pris conscience du tragique de cette situation et s'est éveillé quand il est rentré en lui-même (Lc 15,17).
L'homme pécheur est dans un tourbillon, où il oublie son propre esprit, il oublie Dieu, il oublie ses principes et ses idéaux: endormi, il ne sait plus ce qui est vrai. Malgré tout, il est persuadé, quant à lui, de sa grande vigilance: n'occupe-t-il pas le monde entier par son activité fébrile et sa volonté de puissance! Les anges le regar­dent en disant: «Pour combien de temps encore cet homme reste-t-il dans son som­meil?» Il a besoin de quelqu'un qui le réveille, qui réveille sa conscience d'entre les morts, pour que le Christ irradie en lui sa Lumière.
Satan, c'est bien connu, endort d'abord la conscience d'un homme pour le faire chuter ensuite. Par une ruse quelconque, il cherche à le conduire dans un état second, de rêverie et d'inattention.
Si le pécheur n'a plus le pouvoir de se réveiller par lui-même, alors il lui faut l'in­tervention de quelqu'un d'autre. Dieu, de son côté, ne cesse de frapper à sa porte:

Je me suis couché et j'ai dormi, puis je me suis réveillé, car le Seigneur me tenait debout (Ps 3.6).

Rachel: L'homme se définit aussi par son désir. Selon les motifs qui l'animent, il sera davantage terrestre ou davantage céleste ou encore dans l'équilibre des deux, l'un transfigurant l'autre. Et puis il y a bien des degrés dans la motivation de chacun à donner un sens à sa vie. Cela va de l'athéisme absolu jusqu'à la sainteté, en pas­sant par toutes sortes d'idolâtries ou tout simplement la non-motivation, la négli­gence et l'indifférence totale, ce qui mène droit à la dépression ou l'état suicidaire. Quels sont pour vous, Amba Shenouda, les vrais motifs qui plongent l'homme dans l'endormissement et la non-vie?

Amba Shenouda: Il y a, selon moi, des motifs extérieurs et d'autres qui sont inté­rieurs, ceux qui s'introduisent dans l'homme d'une façon insidieuse et presque imperceptible, enfin des motifs qui le submergent comme un ouragan et occupent son cœur totalement.
Une des ruses les plus puissantes qu'utilise le démon pour détruire la vie spiri­tuelle, c'est de jeter l'homme dans l'activisme extérieur. Ce qui est subtil dans cette tentation, c'est qu'elle ne s'attaque pas au spirituel directement, mais ne lui laisse aucune place, si bien qu'on l'oublie rapidement.

Ces gens n'ont jamais le temps pour s'asseoir avec Dieu, pour prier ou lire la Bible, méditer ou louer le Seigneur. Ils n'ont pas plus le temps de s'asseoir avec eux-­mêmes pour s'interroger: qui suis-je, où vais-je? Leur vie n'a donc aucune chance de se transformer!

Père Alphonse: C'est ce que les Pères appellent « le regard clair sur soi » ou, selon le terme classique en occident: «l'examen de conscience». Il s'agit de l'instru­ment même du progrès spirituel. Lui seul permet le vrai discernement des esprits à l'œuvre et peut conduire à l'éveil...

Amba Shenouda : La stratégie des esprits est simple: ils savent que lorsque l'homme s'arrête, sa nostalgie spirituelle peut se manifester à lui, il risque de perce­voir tout à coup la voix de Dieu au fond de lui, ou encore il peut découvrir sa propre conscience qui l'interroge...
L'homme d'aujourd'hui surtout n'a souvent aucun équilibre dans la juste réparti­tion de son temps. Notre époque technologique fait de lui une victime des machines, de leur vitesse et du tourbillon de leurs attractions multiples. Il peut être suspendu à son téléphone ou ses petits écrans pendant des heures, sans trouver dix minutes pour se retirer dans la prière et le recueillement...
Si toutefois il lui arrive de prendre la décision vigoureuse de faire une halte, le démon vient lui dire: «Je viens m'asseoir, moi aussi, avec toi pour te soutenir dans ta prière. » Il commence alors à le traîner d'une pensée à l'autre, à travers mille sujets aux antipodes de la prière, et l'enfonce encore plus dans cette activité qu'il avait décidé de quitter! Pourquoi est-ce ainsi'? Tout simplement parce que l'acti­visme a pris racine dans le subconscient de cet homme, ses centres d'intérêt pro­fonds sont captifs. Cela prouve bien qu'en aucun cas il croit que le temps passé avec Dieu est un enrichissement, que la vérité dernière de l'homme, la plus importante, se trouve dans la prière seulement...

Rachel: Selon la Bible, Dieu a créé l'homme le sixième jour et le septième c'était le Shabbat. Donc le premier jour de l'existence de l'homme était un jour de repos et de fête avec Dieu, de contemplation de l'œuvre divine accomplie et d'émerveille­ment. C'est là une formidable révélation, où il est affirmé avec puissance la dimen­sion essentielle de l'homme, celle de son intériorité, sans laquelle il cesse d'être lui­-même et sans laquelle son travail, auquel il tient tant, n'est qu'une vaine agitation...

Amba Shenouda: C'est pour prévenir l'homme de cette agitation et l'en libérer que Dieu lui donne un jour entier de la semaine, le Jour Saint du Seigneur, où aucun travail ne doit être effectué (cf. Lv. 23,3). Il s'agit d'un temps de grâce et de retour sur soi, de renouvellement intérieur, dans la joie et la liberté divines.

Mais qu'en a-t-on fait? Au lieu de recevoir ce jour comme un don de Dieu, l'homme se l'est approprié et l'a profané. Ce qu'on appelle maintenant «week-end», au lieu de «Jour du Seigneur», est parfois plus chargé encore que les jours de la semaine: sorties, sports, voyages, stages et autres commerces, car même les maga­sins sont souvent ouverts ce Jour-là. On y trouve de tout, sauf Dieu...

Rachel: N'y a-t-il pas derrière toute cette réalité la perte profonde du sens de notre relation à Dieu? Dans la Bible, Dieu se manifeste comme le Fiancé, l'Epoux de l'homme. C'est pour une réciprocité amoureuse qu'Il nous a créés, pour une rela­tion nuptiale, loin d'une obéissance servile à des commandements...

Amba Shenouda: Dieu est le Fiancé, en effet. Comme tout amoureux, Il aime prendre du temps avec nous, mais nous ne voulons pas. Quand Il visite sa bienaimée, l'humanité, l'homme, chacun d'entre nous, elle est occupée par mille choses qu'elle trouve plus intéressantes et Lui tourne le dos. N'est-ce pas stupéfiant? Dieu nous aime et cela nous laisse indifférents... Il nous parle et nous ne répondons pas ! Il nous appelle à Lui, mais nous ne bougeons pas ! Notre suractivité témoigne bien que Dieu n'a pas de place dans notre cœur, et s'Il en a une, c'est de toutes façons après tout le reste...

Rachel: Vous faites un constat d'échec terrible, Amba... Voyez-vous une solution?

Amba Shenouda: On peut essayer de se lever une demi-heure plus tôt pour com­mencer sa journée par la prière et la lecture de la Bible. Il est nécessaire aussi de gagner du temps durant la journée. Bien des choses que nous faisons sont inutiles pour la vie. A chacun de voir comment il peut supprimer ou réduire la lecture des journaux ou des livres, la radio et la télévision, certaines rencontres ou loisirs.

Mais le plus important de tout, c'est d'être convaincu de la nécessité vitale de l'éveil spirituel, alors on trouve toujours le temps pour en prendre les moyens ! David, qui avait l'énorme responsabilité d'être roi, chef d'armée et juge, dit: Sept fois par jour je te loue, Seigneur et la nuit je me souviens de ton saint Nom (Ps 119,164). Quant à Josué, successeur de Moïse et conducteur du peuple, Dieu lui demande de méditer la Parole de Dieu nuit et jour (Jos 1,8).

Père Alphonse : David et Josué étaient des vrais amoureux de Dieu. Quand le cœur est épris, ce n'est pas seulement un petit temps que l'on réserve au bien­aimé, le temps tout entier est illuminé par l'amour. Mais pour accueillir cette étincelle, il faut trouver des « temps forts » dans la journée, c'est vrai. Le «manque de
temps» est un mensonge, car les moines ont découvert depuis tou­jours qu'une demi-heure de prière et de méditation profonde, où le corps est détendu, équivaut à trois heures de sommeil. Cela est maintenant confirmé par la science. On peut donc toujours faire, le cas échéant, une ponction sur la nuit et on est encore gagnant! Ne doit-on pas plutôt se mettre devant d'autres évidences que le manque de temps et le surcroît de travail ?

Amba Shenouda : En réalité si notre temps est occupé par l'action ou le «faire» incessant, c'est parce que notre cœur est occupé par d'autres centres d'intérêt que Dieu. Le démon n'empêche jamais directement l'homme à s'approcher de Dieu, mais il lui fait miroiter des appâts plus plaisants à ses sens. Si l'homme entre en dia­logue avec cet attrait, la passion va bientôt assiéger la totalité de son être et engloutir tous ses intérêts.

Rachel: Il n'y a pas de place pour Dieu dans un cœur encombré, dit sainte Thé­rèse d'Avila.

Amba Shenouda: L'important à comprendre ici, c'est qu'il s'agit de la captation de nos sentiments par le démon. Il mobilise nos émotions et les oriente. Cela peut être n'importe quoi: le sport, l'art, la lecture... Certains sont tellement focalisés sur leur travail qu'ils ne font plus que vivre, parler et penser à travers lui. D'autres rêvent de leur promotion, la vaine gloire meuble leur imagination et remplit leur ave­nir d'illusions. D'autres encore veulent refaire le monde, ils sont révoltés et criti­quent tout ce qui passe sous leur regard... Ces passions rongent le cœur de l'homme comme les mites rongent ses vêtements.

Voilà pourquoi les saints moines sont nos modèles. Ils ont chassé toute prédilec­tion de leur cœur. Dieu seul est leur unique amour. Lui seul mobilise puissamment leurs sentiments, remplit de plénitude leur vie et leur temps... Parce que Dieu est Dieu, rien ne peut leur manquer!

Rachel: En dehors des motifs extérieurs et intérieurs qui nous éloignent de Dieu et nous endorment, vous avez parlé de ceux qui se glissent en nous d'une façon imperceptible. Mais sans doute faut-il beaucoup de discernement pour les distin­guer: chez le démon tout s'entremêle, il est masqué et se présente souvent sous les apparences du bien...

Amba Shenouda: Je faisais allusion essentiellement à l'entourage, l'environne­ment non spirituel. Notre «milieu» de vie a une importance capitale: c'est comme la «bonne terre» ou l'humus pour la graine et la plante. Saint Paul dit:
Ne vous laissez pas façonner par le monde,
quand c'est le renouveau intérieur qui doit vous trans­former! (Rom. 12.2).

L'homme endormi et loin de Dieu accuse l'homme spirituel et le rejette, parce que celui-ci le dérange dans sa léthargie, pose à sa conscience des questions qu'il ne veut pas entendre et met en évidence la dimension que l'autre a refoulée souvent avec violence.

Faire autrement que le groupe auquel on appartient est toujours mal vécu, on mar­ginalise vite ceux qui n'ont pas un comportement grégaire ! Ceux qui se veulent «Modernes» taxent de «vieux jeux» ceux qui se refusent à leur agissements dou­teux. Le faible ou le solitaire a besoin d'être reconnu. Il ne sera jamais intégré au groupe, le jeune qui ne fume pas comme tout le monde, qui n'a pas de relations sexuelles en toute liberté ou qui ne s'habille pas selon les normes en cours... S'il a encore le courage d'aller à l'église, l'ironie et le ricanement de ses camarades lui prendront le reste de sa ferveur pour Dieu...
Ne vous égarez pas, dit saint Paul,
les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs (i cor. 15.33).


Rachel: Que faire alors devant une réalité qui s'impose pourtant massivement: l'homme vit dans des milieux de plus en plus déchristianisés: la famille, l'école, le travail et la société tout court... on n'est jamais seul...

Amba Shenouda: D'abord Dieu est toujours là, avec chacun, s'il le veut bien! Ensuite il me paraît tout à fait essentiel d'avoir un contact avec les grandes personna­lités, vivantes ou déjà au ciel, de se sentir soutenu dans la foi et profondément relié. Enfin, tant que l'on peut, il faut limiter la symbiose avec les milieux dangereux pour notre vie spirituelle. On peut très bien être dans le monde sans être du monde(in 15,19). Parfois même notre vie de foi doit rester un jardin clos, une fontaine scellée, comme dit le Cantique (4.12).

Père Alphonse: Nous avons remarqué très souvent à quel point la compagnie des saints est absolument déterminante dans la vie d'un homme. Lire une ou deux pages par jour d'une biographie ne prend pas beaucoup de temps, mais provoque une lente imprégnation de la présence et de la pensée du saint. Et effectivement le saint se pré­sente, on le sent proche de soi. Alors on lui parle, c'est-à-dire on le prie, et la rela­tion devient de plus en plus vivante, il peut naître une réciprocité, une amitié spiri­tuelle très forte. Dès lors ce saint est un compagnon sur le chemin, un vrai guide que l'on écoute et dont on peut recevoir des richesses insoupçonnées !

Amba Shenouda: Les saints nous apprennent l'attitude juste et la pensée droite au milieu des turbulences du monde. Leur vie est une interprétation des Ecritures, leur compréhension de la Parole de Dieu nous maintient au-dessus des doutes et des lâchetés...
Mais nous n'avons pas terminé avec les obstacles sur le Chemin. Nous disions que l'activisme assiégeait le temps de l'homme, que les passions assiégeaient son cœur, et le milieu de vie inhibe sa volonté... Avec tout cela, il ne faut pas oublier le mental qui domine les pensées et, par l'imagination, mène l'homme par le bout du nez en le divisant complètement. C'est par l'imaginaire que le mental est à l'affût du plaisir des sens, qui coupent alors l'homme des racines de son être et de Dieu lui-même.

Père Alphonse: Peut-être cela nous aiderait de distinguer l'intellect du mental. Le mental n'a pas été créé par Dieu; c'est l'homme qui, en manipulant l'intellect, a fabriqué le mental pour vivre, ou plutôt survivre, à son propre compte et sans Dieu. Voilà pourquoi le mental ne cesse de mentir et de mettre l'homme à propos de tout dans la non-vérité, c'est l'egocentration. L'objectif premier des grandes Traditions consiste donc d'abord à donner à l'homme des moyens de libération, pour qu'il vive pleinement au lieu de survivre chichement. Que propose le christianisme pour cet éveil, comment fait-il pour qu'un pécheur ou un grand criminel devienne un saint, comme cela est arrivé souvent dans l'histoire?


Amba Shenouda: Si quelqu'un se détourne de Dieu et délaisse son âme, cela ne veut en aucun cas dire que Dieu l'a également abandonné. Bien au contraire ! Cet homme perdu, Dieu le cherche plus que jamais, par tous les moyens, et tout d'abord par son amour.

Car il veut, dit saint Paul,
que tous soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (1 Tim. 2,4).

Beaucoup d'hommes sont réveillés par cet amour gratuit et inconditionnel de Dieu, alors même qu'ils sont loin de Lui et le renient par leur manière de vivre. Que l'on pense seulement à Zachée, rejeté et haï par tout le peuple. Au passage de Jésus dans sa ville, il grimpe sur un arbre pour ne pas être vu. Mais Jésus pose son regard sur lui avec amour, l'appelle par son nom et s'invite à sa table devant ces milliers de personnes médusées par leur haine pour cet homme. Zachée est complètement bou­leversé, au point qu'il dit:

Seigneur, je veux donner la moitié de mes biens aux pauvres,
et si j'ai volé que/qu'un, je le lui rendrai au quadruple (Le 19,1-10)...

Rachel: ... Alors même que Jésus ne lui a pas demandé cela! On est toujours frappé par ce regard d'amour que Jésus pose sur les hommes, sans aucun jugement. Ce regard qui plonge dans la profondeur et va communier au mystère même de l'être, à sa source la plus intérieure. Et chaque fois ces hommes sont retournés, ils s'éveillent à Dieu, mais aussi à eux-mêmes, ils se découvrent. Je pense encore à Nathanaël, à la Samaritaine, à Pierre lors de son reniement de Jésus, à Marie-Made­leine, au malfaiteur crucifié et à tant d'autres...

Amba Shenouda: Il n'y a cependant pas que la manifestation directe de l'amour qui transforme les gens. Parfois ce même amour s'exprime à travers des épreuves. Celles-ci sont alors une autre possibilité d'éveil. La Bible est remplie d'exemples à ce sujet-là. On pourrait citer la longue résistance de Pharaon au peuple hébreu susci­tant les fléaux successifs jusqu'à ce qu'il lâche prise (Ex 7 à 12); ou l'histoire de Joseph vendu par ses propres frères qui se: retournent complètement lors de leur mise à l'épreuve (Gen. 37 à 46); Jonas, quant à lui, n'écoute pas l'appel persistant de Dieu: ce n'est que dans le ventre de la baleine, englouti par les eaux profondes, c'est-à-dire au sommet de la terreur et de l'effroi qu'il se tourne vers le Seigneur et prie (Jon. 2). L'exemple biblique le mieux connu est évidemment celui de l'Enfant prodigue qui ne se convertit que lorsque rien ne va plus dans sa vie (Lc 15,11-32).


Il est facile de transposer ce mystère du retournement de l'homme vers Dieu dans notre propre contexte : celui des maladies, de la souffrance, des accidents et autres malheurs dont l'histoire humaine est remplie. Selon l'attitude de l'homme, l'épreuve qui le touche est initiatique et peut alors devenir la plus haute prière et un chemin de transformation radicale. Le Seigneur a dit:

Appelle-moi au temps du malheur pour
que je te délivre et que tu rendes grâces (Ps so,1s).

La même chose serait à dire à propos de l'échec. Certains hommes sont comme poursuivis par la défaite, rien ne leur réussit, toutes les portes auxquelles ils frappent restent closes et chaque projet qu'ils font, s'enlise dans le sable... Mais compren­nent-ils? Bien souvent jamais; mais parfois cependant ils s'éveillent et découvrent que Dieu les cherche et les secoue dans la perte de leur âme... Quant à ceux qui résistent à Dieu, ils plongent encore davantage dans l'échec de leur vie: ils s'adon­nent à l'alcool ou à la drogue pour oublier ce qui leur arrive. D'autres ont recours à la magie, au spiritisme et à la voyance... Dieu exerce beaucoup de patience avec ces hommes jusqu'à ce qu'ils aient épuisé tous les moyens humains dont aucun ne répondra à leur attente !

Rachel: Finalement on peut dire avec les saints: Tout est grâce, c'est-à-dire que Dieu est toujours présent et nous cherche avec amour à travers même nos difficultés, mais nous ne le percevons qu'en écoutant...

Amba Shenouda: Bien sûr, mais parfois la grâce est plus explicite ou plus facile­ment perceptible, par exemple dans la lecture d'un livre qui bouscule, la rencontre d'une personne spirituelle, la participation à une liturgie ou l'écoute d'un sermon... Là où la grâce a certainement son impact le plus fort, c'est à la vue d'un mort. D'un coup absolument tout est mis en question et cela d'une façon fondamentale. On s'in­terroge sur le sens de sa propre vie et sa manière de la conduire. Cela peut être un choc terrible mais salutaire...

Père Alphonse: Quand quelqu'un s'est vraiment réveillé, que se passe-t-il en lui? On utilise souvent les mots «conversion» ou «retournement», mais quelle réalité recouvrent-ils? Les mots n'expriment souvent plus qu'une morale pieuse que nos oreilles n'entendent pas...

Amba Shenouda: Un véritable éveil laisse des traces profondes dans l'être humain et se reconnaît à des signes qui ne trompent personne.

Dès qu'un homme approche de Dieu, il voit l'énormité de son péché, c'est-à-dire l'éloignement, la rupture dans laquelle il a vécu jusque-là. Maintenant il en est vrai­ment conscient, puisqu'il ne dort plus! Il ressent alors profondément l'ignominie du péché qui, auparavant, n'existait même pas pour lui. La honte l'envahit. D'abord devant la sainteté de Dieu et son amour sans bornes. Devant sa miséricorde infinie qui l'a épargné de la mort où le conduisait le péché. Il est surtout saisi par un extra­ordinaire repentir car son péché a mené le Christ sur la croix. Ce ne sont là plus des mots pour lui, mais une expérience poignante. Le sentiment de cette opprobre est bien relevé dans l'attitude du Publicain au Temple (Lc 18,13) ou encore dans le retour de l'Enfant prodigue (Lc 15, 19):

Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils!

Mais déjà les psaumes en sont remplis:
Tout le jour ma confusion est devant moi et la honte couvre mon visage (44,16).
Toi, tu sais mon opprobre, ma honte et ma confusion (69,20).

Mais cette opprobre n'est pas seulement ressentie devant Dieu, elle l'est aussi devant soi-même. L'homme a honte de sa trahison, de sa fragilité, il prend conscience à quel point il est peu fiable et manque à sa propre présence, la peur le cloue au sol devant cette capacité de néant qu'il découvre en lui-même...

La honte a dévoré le gain de nos pères, s'écrie Jérémie...
Couchons-nous dans notre honte et que nous couvre notre confusion;
car contre le Seigneur, notre Dieu, nous avons péché depuis notre jeunesse jusqu'à nos jours(3,25).

Ou encore Esdras:
Mon Dieu, j'ai trop de honte et de confusion pour lever vers toi mon visage,
 car nos fautes se sont multipliées jusqu'à dépasser nos têtes (9,6).

Les textes sont multiples qui montrent par cette attitude l'ouverture à un tout autre niveau de conscience. Leur méditation, surtout celle des Psaumes, nous apprend à prendre ce chemin. La souffrance intérieure opère une telle purification que, peu à peu, l'homme se décentre en Dieu et ne compte plus que sur Lui seul.
Rachel: La conscience humaine est très élastique. Plus on est loin de Dieu moins on a conscience du péché: on l'ignore, on le méprise ou on le traite avec indifférence pour rester libre dans ses agissements... Mais plus on se rapproche de Dieu plus on voit combien on en est loin. C'est seulement quand je mets un vêtement contre la lumière que je vois les taches ! Cela explique pourquoi les saints, paradoxalement, se sentent aussi les plus grands des pécheurs... C'est une grande douleur pour eux...
Amba Shenouda: Cette douleur mène aux larmes. C'est un autre signe de l'éveil spirituel. Saint Pierre a pleuré amèrement sur sa triple trahison (Mt 26,75), et David, après son crime, dit:
Chaque nuit je baigne ma couche,
de mes larmes j'arrose mon lit (Ps 6,7).
Les larmes montrent que le retournement est descendu jusqu'aux profon­deurs affectives et atteint le cœur de l'homme. Le cœur est le noyau de l'être; tant qu'il ne pleure pas, il reste bloqué et ne cède en rien. Mais s'il pleure, tout est pos­sible et il sera pour cet homme un puissant moteur de transformation...
Père Alphonse: Certains Anciens comparent les larmes à l'eau du baptême. Elles nous insèrent dans le mystère de l'agonie du Christ à Gethsémani, où Il a versé des larmes de sang, puis aussi dans le mystère de la croix, car la source des larmes coule du côté transpercé du Seigneur. Alors l'homme qui pleure est immergé dans la mort du Christ, les larmes éteignent la brûlure des passions. Puis ces larmes d'affliction deviennent peu à peu des larmes de gratitude, d'émerveillement et de joie dans le Christ qui pardonne et ressuscite. Et finalement les larmes de tristesse sont traversées par la lumière du sourire qui mettent à nouveau le cœur en fête. Le cœur endurci par le péché se liquéfie par les larmes et se métamorphose en amour. Dieu le revêt de la robe nuptiale. Le Canon de saint André de Crète contient ce grand thème.

Amba Shenouda: Il ne faut pas oublier que ce n'est pas gagné pour autant ! Le démon est terriblement jaloux de la conversion d'un homme et il fera tout pour l'ar­racher de son nouveau chemin. Il peut se glisser dans ces larmes et leur donner une pesanteur ténébreuse, décourager celui qui pleure et lui faire croire qu'il ne s'en tirera jamais... Certains Pères du désert ont lutté pendant des années contre le démon, tout en pleurant.
Mais Dieu est là tout autant, il ne faut pas l'oublier non plus ! Il connaît les méandres de notre âme et l'accompagne pas à pas. Quand l'homme s'abandonne à Lui et se laisse purifier, vient le moment où tout culbute. Le pécheur d'antan va maintenant consacrer toute son énergie au chemin spirituel. La même énergie qu'il donnait autrefois au démon, il la donne maintenant à Dieu. Avec enthousiasme il s'adonne à la prière perpétuelle, au jeûne, à l'ascèse et au service des autres. L'his­toire est peuplée d'illustres exemples, pensons à saint Augustin, saint Moïse le Noir, sainte Marie l'Egyptienne... Un éveil de cette envergure ne retombe plus. Ces hommes sont entrés dans la joie de leur maître, ils sont marqués définitivement par le sceau de l'Esprit!

Père Alphonse et Rachel: Joie pour nous, de partager avec tous nos lecteurs la grâce de ce dialogue !

Entretien de Sa Sainteté le Patriarche Amba Shenouda III avec Père Alphonse et Rachel Goettmann

Rappelons que le pape Shenouda III, patriarche d'Alexandrie et de la Prédication de saint Marc est né au ciel le 17 mars dernier à l'âge de 88 ans (voir mon billet du 27 mars).




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samedi 19 mai 2012

La réunion des Eglises...russes


LE MESSAGE DU PATRIARCHE CYRILLE DE MOSCOU ET DE TOUTE LA RUSSIE, À L’OCCASION DU 5ÈME ANNIVERSAIRE DE LA SIGNATURE DE L’ACTE CANONIQUE RÉTABLISSANT LA COMMUNION ENTRE LE PATRIARCAT DE MOSCOU ET L’ÉGLISE RUSSE HORS FRONTIÈRES

« Que la paix et l’amour avec la foi soient donnés aux frères de la part de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ ! Que la grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus-Christ d’un amour inaltérable ! » (Eph. VI, 23-24)
L’Église orthodoxe russe commémore maintenant le cinquième anniversaire de la signature de l’acte canonique de communion. Ce document a mis fin à la séparation qui a duré de nombreuses années entre le Patriarcat de Moscou et l’Église orthodoxe russe à l’étranger. Nous nous souvenons de cet événement d’une grande importance historique, qui marque le dépassement de l’une des conséquences tragiques de la catastrophe politique et spirituelle que la Russie a connue au XXème siècle. Au cours du siècle passé, notre patrie et notre Église sont passées par les épreuves les plus difficiles. Les églises ont été détruites, les objets sacrés ont été profanés, la liberté donnée par Dieu a l’homme a été violée grossièrement, les ennemis internes et externes de l’Église ont déchiré la tunique ecclésiale. Les luttes fratricides ont fait périr des millions de nos concitoyens, et la férocité des persécuteurs athées a mené au trépas, au nom du Christ, de la grande foule des néomartyrs et confesseurs de Russie. La révolution et la guerre civile qui s’en est suivie sont devenues la cause de l’exode massif de Russie de nos compatriotes. Des millions d’entre eux se sont trouvés dispersés dans le monde entier. La foi orthodoxe a uni les réfugiés, qui ont conservé soigneusement la flamme de la foi, la transmettant de génération en génération. Mais les circonstances historiques dramatiques ont provoqué la division au sein de la diaspora orthodoxe russe.
En montant sur la Croix, la Russie orthodoxe croyait en sa résurrection. Les enfants de l’Église, tant dans la patrie qu’en dehors de ses frontières, élevèrent des prières au Seigneur et notre Sauveur, avec une ardeur particulière, pour l’abolition de la douloureuse division. Dans cette attente, nous nous sommes adressés à l’intercession céleste et puissante des néomartyrs.  Par la miséricorde de Dieu, la situation a changé radicalement dans notre pays. Les chrétiens orthodoxes ont perçu cela comme un don du ciel. L’Église orthodoxe russe a trouvé une liberté totale, notamment en ce qui concerne les relations entre l’Église et l’État. La séparation constituait la douleur de toute l’Église, l’affliction du peuple tout entier. Et ce n’est pas une exagération : il suffit de se souvenir avec quelle attention notre société suivait le rapprochement qui commençait. Nous avons agi au cours du processus du dialogue de telle façon à ne pas porter atteinte l’un à l’autre et à ne pas produire de nouvelles blessures. Sur cette voie, il ne pouvait y avoir ni vainqueurs ni vaincus. Il en résulta que l’Église russe avec ses millions de fidèles remporta la victoire, son unité étant rétablie.
En ces jours, nous commémorons dans la prière le patriarche Alexis de Moscou et de toute la Russie, ainsi que le métropolite Laur de New York et d’Amérique orientale. En la fête de l’Ascension du Seigneur, le 4/17 mai 2007, ils apposèrent leurs signatures, sur l’ambon de la cathédrale du Christ Sauveur, au bas de l’acte canonique de communion, et célébrèrent ensuite ensemble la sainte liturgie. Nous remercions également tous ceux qui ont travaillé à cette unité et l’ont rapprochée. Maintenant, lorsque notre communion est rétablie et que nous communions à un seul calice, rendons grâce au Dieu très-miséricordieux, qui nous a acheminés par sa droite toute-puissante à l’unité désirée, pour la gloire de son saint nom et pour le bien de sa sainte Église.
Aujourd’hui, nous pouvons dire avec hardiesse que nous avons réalisé en acte le testament du saint hiérarque Tikhon, patriarche de toute la Russie : « C’est précisément dans l’unité, l’action harmonieuse et l’amour fraternel que se trouve la force ». Nous pouvons témoigner avec joie que « les portes de l’hadès » (Matth. 16,18) n’ont pas prévalu contre l’Église russe. Elle accomplit désormais fructueusement son ministère salvateur tant dans la Patrie qu’en dehors de ses frontières. Les cinq années qui se sont passées depuis le moment de la signature de l’acte canonique de communion ont été riches en bons exemples d’action commune. Le temps manque pour donner les exemples de collaboration quotidienne sur le terrain, qui témoignent que notre Église n’est pas seulement proclamée « une », mais qu’elle est telle en pratique. Il est même étonnant à quel point les murs de séparation de tant d’années soient tombés si rapidement et si facilement. Cela est devenu possible, précisément parce que nous étions et sommes restés les porteurs d’une et même tradition orthodoxe russe, nous avons les mêmes valeurs spirituelles et morales que nous apportons au monde.   
Gardons avec gratitude et soin le grand don de l’unité de l’Église, de l’unité du peuple de Dieu. Opposons-nous à toute tentative d’introduire le trouble et la division dans la vie de l’Église, d’ébranler les fondements de son existence canonique. Prions aussi avec ardeur pour ceux qui, pour des raisons différentes, se trouvent en dehors de l’unité avec l’Église orthodoxe russe. Nous les invitons encore et à nouveau à la communion dans l’amour du Christ qui « ne cherche point son intérêt, ne s’irrite point, ne soupçonne point le mal, ne se réjouit point de l’injustice, mais se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout » (I Cor. XIII, 5-7). Que le Seigneur abaisse ses yeux miséricordieux sur nos prières et nos labeurs et qu’Il bénisse son peuple en lui donnant la paix (Ps. XXVIII, 11), au sujet de laquelle Il a dit à ses apôtres avant sa passion : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » (Jn. XIV, 27). Amen.
+Cyrille, Patriarche de Moscou et de toute la Russie "
Source: Patriarcat de Moscou (traduit du russe pour Orthodoxie.com)
Comme quoi, dans l'Eglise, le schisme n'est pas une fatalité !

jeudi 17 mai 2012

L'univers est un sacrement


Tout ce qui vit et respire est sacré et beau aux yeux de Dieu. Le monde tout entier est un sacrement. Le cosmos dans sa totalité est le buisson ardent des énergies divines incréées. Et l’homme, à la fois microcosme et médiateur, agit comme prêtre devant l’autel de la création. Telle est la vraie nature des choses, ou, comme le dit un hymne orthodoxe, « la vérité des choses », si seulement nous avons les yeux de la foi pour la voir.

Patriarche Bartholomée de Constantinople

Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ

Extraits de la liturgie de l'Ascension selon le rite des Gaules


EXTINCTION DU CIERGE PASCAL

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, Celui qui était, qui est, qui vient.

Non, la Lumière ne s'éteint pas : Christ notre Lumière a promis d'être invisiblement présent parmi nous jusqu'à la fin des temps.
Non, la flamme de son amour ne s'éteint pas, elle s'allume dans nos cœurs par la descente du Paraclet.
C'est pourquoi toutes les nations, battant des mains, jubilent devant Dieu en clamant d'une voix forte :

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, Celui qui était, qui est, qui vient.

Le péché nous a jetés au sol, précipitant nos âmes dans l'abîme infernal.
Aujourd'hui, la nuée lumineuse dérobe notre nature et l'abîme de la Divinité la cache dans son cœur.
En des rondes joyeuses, chantons notre Libérateur et Dieu :

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, Celui qui était, qui est, qui vient.

Je ne vous laisse pas orphelins,
(O douce parole du Christ) un autre Paraclet viendra.
Si Je ne monte pas vers le Père, l'Esprit de vérité ne descendra pas sur vous.
J'étais la Lumière parmi vous, Je deviens la Lumière de votre intelligence.
Je vous guidais comme une colonne de feu, les temps sont accomplis pour que vous deveniez vous-mêmes des colonnes,
des verbes, des souffles, des vents impétueux, pour annoncer aux nations la Bonne Nouvelle,
afin qu'elles Me confessent dans des transports de joie.

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, Celui qui était, qui est, qui vient.

Les anges s'écartent, les archanges reculent, les principautés s'étonnent, les puissances s'inclinent,
les dominations tremblent, les forces se retirent, les chérubins se dérobent avec respect,
les séraphins poussent des cris d'émerveillement, volant autour, battant des ailes, couvrant et dévoilant leurs faces
devant Celui qui S'avance.

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, Celui qui était, qui est, qui vient.

Qui est cet Homme qui monte, le plus beau parmi les fils de l'homme ?
Pourquoi sommes-nous troublés, pourquoi la chair aveugle-t-elle notre esprit ?
C'est votre Roi, répond le Paraclet, c'est Le Fils unique. C'est Dieu Lui-même qui revient vers son Père, pour Lui offrir l'humanité sauvée. Prosternez-vous et adorez-Le, Il est, avec Moi et le Père, votre Dieu unique.

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, Celui qui était, qui est, qui vient.

Le diacre retire les grains d'encens et les pose sur la flamme du cierge pascal en disant :

Dia. Jésus fut enlevé dans les airs sous leurs regards, alleluia.

Ts. Et une nuée Le déroba à leurs yeux, alleluia, alleluia.

Le diacre éteint le cierge et dit :

Dia. Pourquoi fixez-vous vos regards au ciel, alleluia.

Il le replace sur le piédestal.

Ts. Ce Jésus qui fut enlevé au ciel, viendra de la même manière, alleluia, alleluia.

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PREFACE AUX FIDELES

Ayant accompli l'économie divine, Jésus-Christ notre Dieu et Seigneur, né de la Vierge Marie, baptisé par Jean, reçu par le publicain, écouté par la prostituée, haï par les prêtres de son peuple, confessé par les enfants, trahi par son apôtre, renié par Pierre, abandonné des siens, crucifié par ceux qu'Il aimait ; Il a brisé l'orgueil de l'ennemi, rempli de sa lumière l'enfer, libéré les prisonniers ; Il est ressuscité le troisième jour, et Il S'est manifesté pendant quarante jours à ses amis, les initiant aux mystères du salut. Aujourd'hui, Il revient vers son Père qu'Il n'a jamais quitté. L’anneau de feu se referme, tout est inondé par sa présence, le ciel, la terre et l'enfer ; partout est proclamé : Dieu est devenu homme, l'homme est déifié !

Bien-aimés frères, invoquez avec moi l'Esprit que le Christ nous a promis en exaltant notre nature par son Ascension, afin qu'Il me communique sa vertu ineffable, et que moi, prêtre indigne, j’ose apporter la sainte oblation de notre Seigneur Jésus-Christ, car en vérité c’est Lui qui offre et qui est offert, qui reçoit et qui Se distribue, Lui, co-éternel au Père et à l’Esprit-Saint, aux siècles des siècles.

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IMMOLATIO

Il est vraiment digne et juste, équitable et salutaire de Te rendre grâces en tout temps et en tous lieux, Seigneur saint, Père tout-puissant et éternel. Nous Te bénissons pour ta création, nous Te glorifions pour notre rédemption, nous T'adorons pour la richesse de ta gloire que Tu as réservée à tes saints et à tous ceux qui croient à la grandeur infinie de ta puissance ; en effet, Tu n'as pas dédaigné notre nature, que Tu as ressuscitée en Christ, la faisant monter à ta droite au-dessus de toutes dominations, toutes autorités, toutes forces, toutes dignités.
O étrange Ascension ! Les anges voient s'élever le Fils de l'homme et poussent des cris d'admiration. Ouvrez-vous, portes célestes, livrez passage avec révérence au héros puissant, au guerrier qui a fracassé les portes de la mort ! Son butin est avec Lui : celui qui a péché est sauvé, le dernier qui fut créé est le premier invité du Père ! Ouvrez-vous largement, portes célestes, ouvrez-vous à deux battants devant le Roi de gloire ! Il vient de Bosra, vêtu de rouge éclatant ; Dieu vêtu de chair vient pour régner éternellement.
Unis aux acclamations angéliques, nous Te supplions, Père, laisse-nous élever nos chants d'espérance et Te confesser en disant :

Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu Sabaoth. Les cieux et la terre sont remplis de ta gloire. Hosanna au plus haut des cieux. Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux !

!

Cette fête est la fête du triomphe de l'humanité !

Cette humanité, notre nature humaine que le Fils de Dieu a faite sienne en prenant corps de la Toute Sainte Vierge Marie, cette nature contaminée et souillée par le péché, il l'a sauvée et libérée du péché et de la mort ; et non seulement cela, il l'a glorifiée ; et non seulement cela, il l'a déifiée en la replaçant amoureusement au coeur de la Divinité d'où elle était issue à la création du monde.

Oui, Satan est vaincu, il a perdu la partie

Mais il nous reste à réussir notre propre accomplissement, faire que nos individualités se réunissent chacune pour sa part à cette nature glorieuse qui nous est commune, et que d'individus multiples que nous sommes encore, nous devenions des personnes uniques devant la Face de Dieu.

mardi 15 mai 2012

Le racisme détruit l'Eglise

Je publie ici la suite de cette importante étude théologique sur le racisme empruntée au remarquable site http://www.incommunion.org, qui est le "website of the Orthodox Peace Fellowship". J'ai déjà  recommandé dans mon billet précédent cette organisation et ce site, et je les recommande de nouveau vivement. Je répète ce que j'ai dit précédemment : travailler pour la paix est le seul comportement évangélique, et la seule réponse aux maux de notre temps, quoi qu'en disent les sceptiques.

Cette étude aborde cette fois la question sous l'angle ecclésiologique :


Le principe racial sape le système gouvernemental sacré de l'Eglise.

Dans une église organisée selon des critères de race, l'église du diocèse local n'a pas de zone qui lui soit propre, mais les juridictions ethniques des autorités suprêmes ecclésiastiques sont étendues ou restreintes en fonction du flux et du reflux des peuples sans cesse déplacés ou en fonction de la migration en groupe ou individuellement…

Si le principal racial est appliqué, il n'y a pas d'église diocésaine ou patriarcale, pas d'église provinciale ou métropolitaine, aucune église épiscopale, pas même une simple paroisse, qu'il s'agisse de l'église de village, de petite ville ou de banlieue : aucune ne peut exister en fonction de son lieu propre ou sa région propre, et réunir en son sein tous ceux qui partagent la même foi. Le Christ se trouve ainsi divisé, comme il le fut chez les Corinthiens, entre ceux qui disaient: "Je suis de Paul, je suis d'Apollo, je suis de Céphas» (1 Cor 1:12.

Aucun concile œcuménique ne trouverait juste ni conforme aux intérêts de la chrétienté dans son ensemble d'admettre une réforme ecclésiastique fondée sur l'identité ethnique, qui ne ferait que servir les particularités éphémères des passions humaines et des basses préoccupations: outre le fait que cela annulerait les acquis législatifs de tant de grands Conciles œcuméniques, cela entraînerait d'autres résultats nocifs à la fois manifestes et potentiels. Et d'abord, l’introduction d’un exclusivisme de type judaïque, où la notion de race serait vue comme une condition sine qua non pour être chrétien, en particulier dans la structure hiérarchique. Chaque non-grec, par exemple, serait donc légalement exclu de ce qui serait appelé l'Eglise grecque et de sa hiérarchie, tous les non-bulgares de l'Eglise bulgare, et ainsi de suite. En tant que Juif, saint Paul, l'Apôtre des Gentils, ne pourrait avoir été pasteur que dans une nation, la communauté juive. De même, saints Cyrille et Méthode, d'origine grecque, n'auraient pas été acceptés chez les Slaves. Quelle perte pour l'Eglise!...

Dans cette perspective, le sacré et le divin sont rendus tout à fait humains, l'intérêt séculaire est placé au-dessus des préoccupations spirituelles et religieuses, chacune des églises étant fondée sur la race, et réservée aux siens. De la sorte la doctrine de la foi dans "l'Église une, sainte, catholique et apostolique" reçoit un coup mortel. Si tout cela se produit, le racisme entre en conflit ouvert avec l'esprit et l'enseignement du Christ.
  
D’après la version française de Claude Lopez-Ginisty
  
J'ajouterai ici quelques commentaires personnels. Le mal existe déjà ! Le deuxième paragraphe du texte décrit très exactement la situation présente des Eglises orthodoxes de la diaspora en Europe occidentale. En France, par exemple, il y a une Eglise des Roumains, une Eglise des Serbes, une Eglise des Grecs, et même, pour comble, une Eglise des Russes dépendante de Moscou et une Eglise des Russes dépendante de Constantinople, tristes reliques de la révolution soviétique. D'où la coexistence à Nice, par exemple, de quatre ou cinq évêques orthodoxes, ce qui est totalement anticanonique. 

Ces différentes Eglises admettent des Français, mais à titre pour ainsi dire subsidiaire, car elles conservent soigneusement leur caractère "national" ou ethnique.

Il existe même, ce qui est pire que tout, un racisme interne à certaines Eglises. Ainsi dans l'Eglise orthodoxe de Jérusalem, dont les fidèles sont tous arabes, la haute hiérarchie est réservée à des Grecs, exclusivement. C'est la situation décrite au paragraphe 4, mais à l'intérieur d'une même Eglise. L'Eglise de Rome, quant à elle, a depuis longtemps ouvert sa hiérarchie orientale, même au plus haut niveau (patriarches), à des ecclésiastiques du cru.

Pour excuser ces situations choquantes, on invoque les séquelles de l'histoire, ce qui est vrai. Mais depuis quand l'Evangile, depuis quand l'Eglise du Christ sont-ils prisonniers de l'histoire ? Qu'il y a de progrès à faire encore pour conquérir cette liberté qui doit caractériser les disciples du Christ !