vendredi 31 décembre 2010

AU NOM DE JESUS

Qu’au Nom de JESUS
tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers,
Et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père,
que JESUS-CHRIST est SEIGNEUR  (Phil 2, 10-11)


Quiconque invoquera le NOM du SEIGNEUR sera sauvé
(Rom 10, 13)



Que le Nom de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ

Vous garde toute l’année dans la paix, la joie et l’amour.

mardi 28 décembre 2010

Incarnation et Déification selon S. Maxime le Confesseur

Saint Maxime le Confesseur a écrit :

« La ferme assurance des choses à venir concernant l’espérance de la déification de la nature humaine repose sur l’incarnation de Dieu, faisant de l’homme un dieu au même degré que Dieu lui-même est devenu homme… Laissez-nous devenir l’image du Dieu unique, ne portant rien de terrestre en nous-mêmes, afin que nous puissions côtoyer Dieu et devenir des dieux, recevant de Dieu notre existence comme dieux. Car il est clair que celui qui s’est fait homme sans péchés (cf. Hébreux 4.15) divinisera la nature humaine sans la changer en nature divine, et l’élèvera au même degré qu’il s’est lui-même abaissé pour l’homme. C’est ce que saint Paul enseigne de manière mystique lorsqu’il dit : ‘‘ … que dans les siècles à venir, il puisse manifester la richesse débordante de sa grâce ’’ » (Ephésiens 2.7). » (Philocalie, Vol. II, p. 178).

Repris de l’excellent site    http://www.epistheo.com/

mercredi 22 décembre 2010

Le sens théologique de Noël




NATIVITÉ DE NOTRE SEIGNEUR
DIEU ET SAUVEUR
JESUS-CHRIST

         Quand, à l'apogée de son règne, César Auguste, le premier empereur romain, après avoir soumis tous les peuples du monde connu sous une seule autorité, décida de procéder à un vaste recensement de ses sujets, il devint sans le vouloir le docile instrument de la réalisation du dessein de Dieu. Rassemblant en effet dans l'unité et l'harmonie de son immense empire tant de peuples aux mœurs et aux langues si variées, il les préparait à recevoir la révélation du Dieu unique en trois Personnes et ouvrait ainsi la voie à la proclamation universelle de l'Evangile, selon la promesse divine : « Je te donnerai les nations en héritage » (Ps 2:8): si bien que ce premier recensement devint l'annonce prophétique de l'inscription des élus dans le Livre de vie (cf. Phil. 4:3; Apoc. 21:27).

Par ailleurs, le décret de l'empereur, parvenu en Palestine alors que Quirinus était gouverneur de la province de Syrie, permit la réalisation de la prophétie selon laquelle le Messie devait naître de la lignée de Juda, à Bethléem, la patrie du roi David (Michée 5:1; Malachie 2:6). Car Joseph, qui se trouvait alors avec Marie à Nazareth en Galilée, dut prendre la route pour se faire inscrire dans la patrie de ses pères, Bethléem, malgré l'état avancé de la grossesse de celle qui passait aux yeux de tous pour son épouse.

Quand ils parvinrent à destination, ceux qui étaient comme eux venus de toutes parts pour le recensement étaient en si grand nombre qu'ils ne purent trouver à se loger dans l'hôtellerie, et furent contraints de se réfugier pour la nuit, un peu en-dehors du bourg, dans une grotte qui servait d'étable pour les animaux. Marie sentit alors que le moment de sa délivrance était venu. Joseph l'installa comme il put dans la paille, auprès de l'âne et du bœuf qu'ils avaient trouvés là.

Lorsque l’Enfant fut né, la Toute Sainte le déposa dans la mangeoire après l'avoir emmailloté et s’assit auprès. Joseph contemplait et adorait en silence ce petit enfant couché dans la paille comme le Messie attendu et annoncé par ses pères depuis tant de générations. Quoi de plus stupéfiant en effet que ce spectacle et comment l'exprimer par des paroles?

Le Dieu Tout Puissant et Créateur de tout se fait créature humble et fragile, Il devient petit enfant étranger et sans toit, sans pour cela cesser d'être Dieu infini. Le Verbe divin s'appesantit de la chair et revêt notre humanité pour s'en faire un ornement royal. Celui que l'univers entier ne peut contenir, qui est assis impassiblement sur son trône céleste et que glorifie sans cesse la cour innombrable des puissances célestes, se laisse contenir dans une grotte étroite et obscure, objet du rebus et du mépris de tous. Lui qui est de « condition divine » s'humilie, « s'anéantit Lui-même en prenant la condition d'esclave et devenant semblable aux hommes » (Phil. 2:7), afin de relever par son humilité ceux qui étaient tombés. Il se fait pauvre « pour nous enrichir par sa pauvreté » (II Cor. 8:9). L'Intangible accepte d'être enveloppé de langes pour délier nos péchés et pour couvrir de gloire divine ceux qui étaient dans la honte. Le Fils Unique de Dieu, Celui qui est de toute éternité dans le sein du Père, devient Fils de l'homme et fils de la Vierge sans cesser d'être Dieu, afin de devenir « le premier-né d'un grand nombre de frères » (Rom. 8:29), rendant aux hommes la dignité de fils adoptifs de Dieu (Jn 1:11; Luc 6:35; Gal. 4:4-7 etc.).

Il est couché dans une crèche et contemplé par l'âne et le bœuf, accomplissant ainsi les prophéties qui annonçaient: «Entre deux animaux tu seras connu» (Habac. 3:2 d'après la Septante), «Le bœuf connaît celui qui l'a créé et l'âne la mangeoire de son Seigneur» (Isaïe 1:3 d'après les Septante). Celui qui nourrit tout être par sa providence est étendu dans la mangeoire de ces animaux sans raison, symboles des deux peuples juifs et païens, pour guérir les hommes de leur déraison, pour réconcilier ceux qui étaient divisés par la haine (Ephés. 2:16), en s'offrant à tous en nourriture comme le vrai Pain de vie (Jn. 6:51).

Dans cette scène on pouvait contempler, disent les saints Pères, une image de l'Eglise : la crèche est le calice contenant Celui qui se fait chair aujourd'hui et se donne en nourriture pour la vie du monde, la Vierge est à la fois son Trône et l'Autel du sacrifice, la grotte, un Temple ; les Anges, Joseph et les bergers servent de diacres et d'acolytes, et le Seigneur Lui-même est le Grand-Prêtre qui célèbre cette Divine Liturgie.
Ce prodige extraordinaire, accompli aujourd'hui dans l'humble grotte de Bethléem, est l'accomplissement de tous les oracles accordés aux Prophètes d'Israël, l'aboutissement de tant de siècles d'une patiente préparation de l'humanité depuis David, Abraham, Noé et Adam. En ce jour, en « ces temps qui sont les derniers », Dieu nous envoie son Fils Unique, « par qui Il a fait tous les siècles » (Heb. 1:2) et révèle ainsi au monde le grand mystère de notre salut, enveloppé de silence et tenu secret en Dieu, dans le conseil ineffable des trois Personnes de la Divine Trinité, bien avant la création du monde (cf. Rom. 16:25; 1 Cor. 2:7; Ephes. 3:5, 10; Col. 1:26).

C'est pour voir luire ce jour, que le soleil, la voûte du ciel, la surface de la terre et tous les êtres ont été créés. Mystère étrange, incompréhensible, insaisissable à toute pensée humaine et même à l'intelligence des anges : « Le Verbe s'est fait chair et Il a habité parmi nous » (Jn. 1:14). Lui, qui est Dieu par nature, prend sur lui notre humanité, l'assume dans le sein de la Vierge, s'en revêt comme d'un vêtement pour nous faire communier à sa divinité : Dieu et homme, une seule Personne, Jésus-Christ, « connue en deux natures » qui sont unies en Lui « sans mélange, sans division et sans séparation ».

Dieu se fait homme aujourd'hui dans la grotte de Bethléem, pour que l'homme devienne Dieu. Voilà la fin et le but ultime pour lequel Dieu a fait sortir toutes choses du néant et les a amenées à l'existence : pour que le Verbe, la Seconde Personne de la Sainte Trinité, descende jusqu'à nous, prenne sur Lui notre humanité vieillie et déformée par le péché, pour qu'Il guérisse nos blessures par ses souffrances, pour qu'Il purifie son image souillée, pour qu'Il nous rénove en Lui (Eph. 2:15), nous relève du gouffre de la mort où nous étions tombés et nous fasse monter dans les hauteurs, plus haut que toutes les puissances célestes, jusqu'à nous faire siéger avec Lui en Dieu (Eph. 1:22). Jésus-Christ, le Sauveur, l'Emmanuel, « Dieu avec nous » (Isaïe 7:14; Mat. 1:23), naît en ce jour comme un fragile nourrisson sur qui les anges se penchent avec admiration. « La Lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1:9) luit dans l'obscurité d'une pauvre étable, et le temps de la mort et de la corruption touche à sa fin. Salomon n'a plus de raison de se lamenter en s'écriant : « Rien de nouveau sous le soleil » (Ecclésiaste 1:9), car ce petit enfant est le second Adam qui vient inaugurer une nouvelle création, un homme nouveau (II Cor. 5:17). Désormais, en suivant le Christ, en obéissant à ses commandements, en souffrant avec Lui pour ressusciter par Lui, les hommes sont appelés à jouir de l'immortalité.

Le Verbe se fait chair, Il prend sur Lui notre infirmité, Il compatit à notre faiblesse, mais sans pour autant participer à notre faute. Il se revêt d'un corps et d'une âme mortels ; petit enfant, il se soumet aux lois de notre monde déchu : la croissance, la faim, la soif, le sommeil, l'ignorance relative ; sans toutefois commettre de péché. Lui seul est sans péché (Rom. 5:21) et Il vient habiter dans la chair soumise au péché et à la mort, « pour que la chair devienne Verbe ». Il prend sur Lui ce corps voué au tombeau pour le couvrir de gloire et de lumière en lui faisant partager son immortalité. En Lui « habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col. 2:9), de sorte que, pour ceux qui le suivent par la foi, rien en eux ne soit privé de la communion à cette plénitude : ni leur esprit, ni leur âme, ni leur corps.

En célébrant aujourd'hui la descente de Dieu parmi les hommes, l'Incarnation du Verbe, nous confessons l'accomplissement de tout le mystère de notre rédemption : le Christ naît, et déjà l'homme devient héritier de sa gloire. Certes, on ne contemple encore qu'un petit enfant dans la crèche, mais les saints Pères nous ont appris à discerner dans l'humble grotte de Bethléem les signes de l'accomplissement final du mystère du Christ. La fête de la Nativité et la Fête des fêtes, Pâques, ne sont en fait qu'une seule solennité. La grotte annonce le tombeau, les langes figurent les bandelettes; ici le Christ apparaît dans le monde sans porter atteinte à la virginité de sa mère, là Il triomphe de la mort et sort du tombeau sans briser les scellés ; à Bethléem un ange est envoyé aux bergers, à Jérusalem un ange resplendissant annonce la résurrection aux femmes myrrhophores. Partout et toujours un seul Christ, devenu homme comme nous jusque dans la mort, afin que la transgression commise par un homme, Adam, soit redressée par un homme, le second Adam (I Cor. 15:45). « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme Lui-même, qui s'est livré en rançon pour nous » (I Tim. 2:5). C'est Lui le Sauveur, qui est le Seigneur devant qui se prosternent et exultent de joie aujourd'hui tous les êtres de l'univers réconciliés par Lui avec Dieu dans son Corps, la Sainte Eglise : «Plénitude de Celui qui remplit tout en tout (Eph. 1:23).




mercredi 1 décembre 2010

Où Guénon s'en tire bien... ou : Une occasion perdue



Ceux qui me connaissent bien savent ce que je pense de Guénon : c'est le plus grand hérésiarque des temps modernes, et le plus pernicieux. Aussi étais-je alléché par l'annonce de l'ouvrage de Jean van Win, Contre Guénon (Editions de la Hutte, 2010) Je n'aurais pas mieux demandé que de le recommander chaudement. Hélas, je ne le peux pas. Ce n'est pas un bon ouvrage.

Que Guénon soit insupportable à un maçon de la tendance « libérale » et « antidogmatique », je le comprends aisément. Mais cela ne suffit pas à fonder une argumentation. Que Guénon accumule les approximations, les contre-vérités, les affirmations sans preuve, voire les mensonges, nul plus que moi n'en est convaincu. Encore faut-il le prouver. Or les dénonciations à coups d'épithètes ne tiennent pas lieu de démonstrations. Aussi le discours tourne-t-il en rond sans vraiment progresser.

Au surplus, l'ouvrage est mal construit. Il est pour l'essentiel constitué de fiches souvent mal cousues ensemble, d'où des redites, des « copiés-collés » en assez grand nombre.

Le texte comporte quelques détails qui ne sont pas dépourvus d'intérêt mais sans grande importance. En revanche on y découvre des erreurs assez étonnantes, comme le fait qu'Origène était évêque (!!!) et qu'il fut « déposé » (!!!) pour « avoir été castré par souci de chasteté évangélique (page 184) ! Les spécialistes de l'histoire ecclésiastique seront heureux d'apprendre cette information sensationnelle ! De même, il est proprement ébouriffant de lire que Guénon aurait « emprunté » sa notion du Roi du monde à ... Louis-Claude de Saint-Martin (pages 140 à 142) ! Cela au prix d'un superbe contre-sens sur la signification de cette notion chez le Philosophe Inconnu...

La bibliographie dont le texte est assorti est fragmentaire. L'ouvrage de Jean-Marc Vivenza René Guénon et le Rite écossais rectifié (Editions du Simorgh, 2007) n'y figure pas. Dommage : cela aurait permis d'éviter cette affirmation aussi péremptoire qu'inexacte du prière d'insérer de la quatrième de couverture : « Pour la première fois enfin, quelqu'un s'attelle à radiographier sans concession l'œuvre et la personne du paradoxal auteur du Roi du Monde ».

Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'une bonne partie des références guénoniennes soient de seconde main. Il se peut que l'auteur ait effectivement lu La Crise du monde moderne, Le Règne de la quantité et les signes des temps, Le Roi du monde, peut-être les Aperçus sur l'initiation, mais la plupart des autres références et citations semblent provenir des ouvrages de Marie-France James, Esotérisme et christianisme autour de René Guénon, de Jeannine Fink-Bernard, L'Apport spirituel de René Guénon, et de Daniel Béresniak, Les Bas-fonds de l'imaginaire, qui sont abondamment appelés en notes.

Ce n'est pas encore cette fois qu'on pourra renverser l'idole Guénon !

Bref, au total, une occasion perdue.

mardi 23 novembre 2010

La quasi perfection du premier Adam et sa chute selon S. Irénée de Lyon

11. Quant à l’homme, c’est de ses propres mains que Dieu le modela, en prenant, de la terre, ce qu’elle avait de plus pur et de plus fin et en mélangeant, dans la mesure qui convenait, sa puissance avec la terre. D’une part, en effet, il revêtit de ses propres traits l’ouvrage ainsi modelé, afin que ce qui apparaîtrait aux regards fût de forme divine : car c’est après avoir été modelé à l’image de Dieu que l’homme fut placé sur la terre. D’autre part, pour que l’homme devînt vivant, « Dieu insuffla sur sa face un souffle de vie », de telle sorte que, à la fois selon le souffle et selon l’ouvrage modelé, l’homme fût semblable à Dieu. Il était donc libre et maître de ses actes, ayant été fait par Dieu dans le but de commander à tous les êtres qui se trouvaient sur la terre. Et cette vaste création préparée par Dieu avant le modelage de l’homme fut donnée à l’homme comme un domaine renfermant toutes choses. Il y avait également dans ce domaine, y exerçant leur activité, les serviteurs du Dieu qui avait créé l’univers, et un intendant, mis à la tête de ses compagnons de service, régissait ce domaine : ces serviteurs étaient des anges, et l’intendant était un archange.
12. Ayant donc fait l’homme maître de la terre et de tout ce qu’elle renfermait, Dieu, secrètement, l’établit aussi comme maître des serviteurs qui s’y trouvaient. Cependant ceux-ci étaient dans leur état adulte, tandis que le maître, à savoir l’homme, était tout petit, car il n’était encore qu’un enfant, et il lui fallait, en grandissante, parvenir à l’état adulte. Par ailleurs, afin que son éducation et sa croissance se fassent dans les délices, il lui fut préparé un séjour meilleur que ce monde, l’emportant sur lui par l’air, la beauté, la lumière, la nourriture, les plantes, les fruits, les eaux et toutes les choses nécessaires à la vie : cet endroit avait nom Paradis. Telles étant la beauté et l’excellence de ce Paradis, le Verbe de Dieu s’y promenait assidûment et s’y entretenait avec l’homme, préfigurant de la sorte ce qui était à venir, à savoir qu’il habiterait avec les hommes, s’entretiendrait avec eux et se rendrait présent à eux pour leur enseigner la justice. Mais l’homme n’était alors qu’un petit enfant, n’ayant point encore le jugement mûr : c’est d’ailleurs pourquoi il fut facilement trompé par le séducteur.
13. Tandis que l’homme séjournait dans le Paradis, Dieu lui amena tous les animaux et lui ordonna de leur imposer des noms à tous « et tout nom dont Adam appela quelque être vivant, ce fut son nom ». Mais Dieu jugea bon de faire également une aide pour l’homme, car il parla ainsi : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons-lui une aide en rapport avec lui » ; car, parmi tous les animaux, il ne se trouvait pas d’aide égale et semblable à Adam. Dieu lui-même fit donc tomber une extase sur Adam et l’endormit : pour qu’à partir d’une œuvre pût se réaliser une autre œuvre, le sommeil, qui n’existait pas au Paradis, survint sur Adam par la volonté de Dieu. Dieu prit alors une des côtes d’Adam et la remplaça par de la chair ; puis, de la côte qu’il avait prise, il bâtit une femme et l’amena de la sorte à Adam. A sa vue, celui-ci dit : « C’est maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair ; elle sera appelée femme, parce que c’est de son mari qu’elle a été prise ».
14. Adam et Eve – car tel était le nom de la femme – « étaient nus et n’en avaient point honte », car il y avait en eux un esprit ingénu et enfantin et il leur était impossible de concevoir aucune de ces pensées que, d’une manière perverse, fait naître dans l’âme le désir des honteuses jouissances. Car ils gardaient alors en son intégrité leur nature, parce que ce qui avait été insufflé dans l’ouvrage modelé était un souffle de vie. Tant qu’il demeurait dans son rang et dans sa force, ce souffle ne pouvait concevoir ce qui est mal. Aussi n’avaient-ils point honte de se baiser et s’enlacer l’un à l’autre chastement à la manière des enfants.
15. Mais, de peur que l’homme ne s’enorgueillît et ne s’élevât, comme s’il n’avait pas de Maître, et que, à cause du pouvoir qui lui avait été donné et de l’assurance qu’il possédait à l’égard de Dieu son Créateur, il n’en vînt à pécher en dépassant la mesure qui lui avait été impartie et qu’en se complaisant ainsi en lui-même il ne conçût des pensées d’orgueil contre Dieu, une loi lui fut donnée par Dieu, afin qu’il sût qu’il avait pour Maître le Seigneur de toutes choses. Dieu lui imposa certaines bornes, de telle sorte que, s’il gardait le commandement de Dieu, il demeurât toujours tel qu’il était, c’est-à-dire immortel, mais que, s’il ne le gardait pas, il devînt mortel, c’est-à-dire voué à se dissoudre dans la terre d’où avait été pris son corps. Ce commandement était le suivant : « Tu prendras ta nourriture de tout arbre qui se trouve dans le Paradis, mais, pour ce qui est du seul arbre de la connaissance du bien et du mal, vous n’en mangerez pas : car, le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort ».
16. Ce commandement, l’homme ne le garda pas, mais il désobéit à Dieu : il fut égaré par l’ange, qui, jaloux de l’homme à cause des nombreux dons que Dieu lui avait accordés, tout ensemble se corrompit lui-même et rendit l’homme pécheur en le persuadant de désobéir au commandement de Dieu. Devenu ainsi l’initiateur du péché par son mensonge, l’ange fut lui-même rejeté pour avoir offensé Dieu et il fit expulser l’homme hors du Paradis. Parce que, de son propre mouvement, il se détacha de Dieu, il fut appelé Satan en hébreu, c’est-à-dire apostat, mais il est également appelé du nom de Diable. Dieu maudit donc le serpent qui avait porté le Diable : cette malédiction atteignit, avec l’animal lui-même, l’ange qui s’y trouvait caché, à savoir Satan ; quant à l’homme, Dieu l’éloigna de sa face et le fit habiter aux alentours du Paradis en ce temps-là, car le Paradis ne peut recevoir de pécheur.

Démonstrationde la prédication apostolique § 11 à 16

jeudi 11 novembre 2010

La perfection du premier Adam selon S. Séraphim de Sarov


Sur la condition du premier Adam, l’Homme paradisiaque, beaucoup d’approximations et d’incertitudes sont proférées, tant nos facultés intellectuelles sont inaptes à appréhender réellement ce qu’elle fut. En effet, ce n’est qu’en apparence que notre intellect est illimité. Il le paraît relativement à nos facultés corporelles ; néanmoins il est tributaire de conditionnements tels le temps et l’espace, qui sont hérités de la chute. Non que le temps ni l’espace n’existassent point dans l’existence paradisiaque, mais ce n’étaient ni notre espace géographiquement borné ni notre temps chronologiquement mesuré. C’étaient un méta-espace et un méta-temps (ce dernier probablement analogue au « temps des anges ») dont on peut seulement dire qu’ils étaient, sans plus, puisqu’ils nous sont, au sens propre, inconcevables.  
La raison est donc impuissante à nous dire là-dessus quoi que ce soit d’assuré. La raison, oui ; mais la sagesse venue de Dieu, l’illumination du Saint-Esprit ? Le Saint-Esprit, selon la promesse du Christ, « [nous] enseignera toutes choses » (Jn, 14, 26).
Ecoutons donc ceux dont l’esprit illuminé par l’Esprit a eu la révélation des mystères cachés aux intelligents. Ceux-là sont les saints, dont la parole n’est pas verbiage mais est inspirée en-haut.
Ecoutons ce que le Saint-Esprit nous révèle à travers les propos de saint Séraphim de Sarov.

Entretien avec Motovilov

« Le Seigneur Dieu a créé Adam de la glaise du sol dans l’état dont parle l’apôtre Paul quand il affirme : ‘‘Que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaits à l’avènement du Seigneur Jésus-Christ’’ (1 Th 5, 23).
« Toutes ces trois parties de notre être furent créées de la glaise du sol. Adam ne fut pas créé mort, mais créature animale agissante, semblable aux autres créatures vivant sur terre et animées par Dieu. Mais voilà qui est important. Si Dieu n’avait pas insufflé ensuite dans la face d’Adam ce souffle de vie, c’est-à-dire la grâce du Saint-Esprit procédant du Père et reposant sur le Fils et envoyé dans le monde à cause de lui, tout parfait qu’il était et supérieur aux autres créatures, Adam serait resté privé de l’Esprit déifiant et serait semblable à toutes les créatures ayant chair, âme et esprit conformément à leur espèce, mais privées à l’intérieur de l’Esprit-Saint qui apparente à Dieu. A partir du moment où Dieu lui donna un souffle de vie, Adam devint, d’après Moïse, une âme vivante¸c’est-à-dire en tout semblable à Dieu, éternellement immortel. Adam avait été créé invulnérable. Aucun des éléments n’avait pouvoir sur lui. L’eau ne pouvait pas le noyer, le feu ne pouvait pas le brûler, la terre ne pouvait pas l’engloutir et l’air ne pouvait pas lui nuire. Tout lui était soumis comme au préféré de Dieu, comme au propriétaire et roi des créatures. Il était la perfection même, la couronne des œuvres de Dieu et admiré comme tel.
« Le souffle de vie qu’Adam reçut du Créateur le remplit de sagesse au point que jamais il n’y eut sur terre et que probablement jamais il n’y aura un homme aussi rempli de connaissance et de savoir que lui. Quand Dieu lui ordonna de donner des noms à toutes les créatures, il les nomma selon les qualités, les forces et les propriétés de chacune conférées par Dieu.
« Ce don de la grâce divine supranaturelle, venant du souffle de vie qu’il avait reçu, permettait à Adam de voir Dieu se promener dans le paradis et de comprendre ses paroles, ainsi que la conversation des saints anges et le langage de toutes les créatures, des oiseaux, des reptiles vivant sur la terre, tout ce qui est nous dissimulé, à nous, pécheurs, depuis la chute mais qui, avant la chute, était tout à fait clair pour Adam.
« La même sagesse, la même force et le même pouvoir, ainsi que toute autre sainte et bonne qualité, avaient été conférés par Dieu à Eve, au moment de sa création, non de la glaise du sol, mais de la côte d’Adam dans l’Eden des délices, au paradis éclos au milieu de la terre.
« Afin qu’Adam et Eve puissent toujours commodément entretenir en eux leurs propriétés immortelles, parfaites et divines venant du souffle de vie, Dieu planta au milieu du paradis l’arbre de vie, dans les fruits duquel il enferma toute la substance et la plénitude des dons de son divin souffle. Si Adam et Eve n’avaient pas péché, ils auraient pu, eux et leurs descendants, en mangeant des fruits de cet arbre, entretenir en eux la force vivifiante de la grâce divine, ainsi qu’une plénitude immortelle, éternellement renouvelée, des forces corporelles, psychiques et spirituelles, un non-vieillissement perpétuel, un état de béatitude qu’actuellement notre imagination a de la peine à se représenter.
« Mais ayant goûté au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal avant l’heure et contrairement aux commandements de Dieu, ils connurent la différence entre le bien et le mal et devinrent la proie des désastres qui s’abattirent sur eux après qu’ils eurent enfreint le commandement divin. Ils perdirent le don précieux de la grâce du Saint-Esprit et, jusqu’à la venue sur terre de Jésus-Christ, Dieu-Homme, ‘‘ l’Esprit n’était pas dans le monde, car Jésus n’était pas encore glorifié’’ (Jn 7, 39). »
[…]
« Lorsque notre Seigneur Jésus-Christ acheva son œuvre de salut, ressuscité des morts il souffla sur les apôtres, renouvelant le souffle de vie dont jouissait Adam et leur redonnant la même grâce qu’Adam avait perdue […] »

Extrait de :
Séraphim de Sarov, Sa vie par Irina Goraïnov, Entretien avec Motovilov & Instructions spirituelles, traduit du russe  par Irina Goraïnov (Ed. Abbaye de Bellefontaine , coll. Spiritualité orientale n° 11, 1ère éd. 1973, rééd. 2004), pp. 158 à 160).

PS Je venais d'insérer ce billet lorsque j'ai constaté que l'excellent site "Les Amis de Martines de Pasqually" a fait paraître hier un autre extrait du même entretien. Heureux concours de circonstance !


samedi 6 novembre 2010

Du bon usage de l'exégèse


Du bon usage de l’exégèse

Citations extraites de
 La lecture chrétienne de la Bible
Par Dom Célestin Charlier
(Livre de Vie, 1957)

A la suite d'intéressants échanges qui sont parus sur l'excellent blog de l'Institut Eléazar http://www.institut-eleazar.fr/  il m'a paru bon de faire paraître une mise au point sur l'usage, bon ou mauvais, de l'exégèse. Je l'ai demandée à l'un des meilleurs exégètes de la deuxième moitié du XXe siècle, dom Célestin Charlier, moine de Maredsous.
Je lui cède la plume.


« (…) La seconde période, dite documentaire, marque un progrès notable [sur la période philosophique]. Faisant appel à une méthode plus objective et scientifique, des critiques comme Graff et Wellhausen s’efforcent de dégager les sources littéraires qu’ils mettent à la base de la composition du Pentateuque (1889). A leur suite, une foule de savants s’appliquent, avec plus ou moins de bonheur, à un examen minutieux des moindres particularités linguistiques ou littéraires des Livres saints. Ce dépeçage aboutit à un émiettement des textes, qui a rarement le mérite d’être universellement accepté. Il reste surtout entaché du préjugé anti-surnaturel de la période précédente, et vicié par l’esprit de système. Néanmoins de ces efforts, se dégagé un ensemble de conclusions qu’il n’a plus été possible de méconnaître. La critique littéraire a dès lors conquis droit de cité en histoire.
« Une autre méthode, née vers la fin du siècle, serait heureusement venue corriger ce que la précédente avait de trop rigide, si elle n’avait constitué par ailleurs un fâcheux retour au subjectivisme de la période philosophique. L’histoire des religions a provoqué la naissance de trois ou quatre écoles bibliques principales. (…)En tout ceci, beaucoup de science, beaucoup d’imagination, mais souvent trop peu d’objectivité et de bon sens. On manie les textes et les faits avec désinvolture.
« Malgré cela, ou peut-être à cause de cela, les répercussions de cet immense effort furent incalculables. Sur le protestantisme d’abord. L’élite intellectuelle croyante y laissa ses derniers dogmes, et ne sauva sa vie religieuse qu’en la dégageant de toute révélation trop précise. De nobles personnalités comme A.Harnack et M. Goguel ont donné un éclat réel à cette position du protestantisme libéral. Mais le christianisme n’est plus, semble-t-il, pour eux que la plus belle religion naturelle, et Jésus la plus pure figure de l’Humanité.
« Dans le catholicisme, la crise éclata plus tardivement mais plus brusquement et avec une extrême violence. Durant la plus grande partie du XIXe siècle, la majorité des représentants de la pensée catholique s’était tenue à l’écart du mouvement des idées qui transformait le monde, et se cantonnait dans une attitude défensive. Jamais dans l’histoire de l’Eglise l’exégèse biblique, en particulier, ne tint positions plus délibérément conservatrices, voire rétrogrades. De la critique d’Outre-Rhin on ne connaissait guère que les outrances, et la Vie de Jésus de Renan, en faisant sombrer la foi de toute une jeunesse intellectuelle, vint accroître encore cette défense systématique. Tout était rejeté en bloc, au nom d’une tradition trop souvent compromise avec des conceptions figées et étroites. Mais la puissante personnalité de Léon XIII vint élargir ces horizons trop fermés. Plusieurs esprits remarquables trouvèrent dans son encyclique Providentissimus (1893) un encouragement à aborder de front les thèses de la critique indépendante et s’y initièrent rapidement. En 1890, le Père Lagrange fonde à Jérusalem une Ecole biblique qui cherche, avec courage et confiance, à introduire en exégèse une saine  méthode historique, et le Congrès catholique de Fribourg marque à son tour un vigoureux effort dans cette voie ;
«  Malheureusement, la plupart des esprits étaient mal préparés à une aussi rapide adaptation. L’écart était si grand entre les positions confortables de la veille et les hardiesses d’une certain critique, qu’un malais devait inévitablement en résulter. Une sorte de vertige saisit tous ceux qu’un jugement ferme et une théologie ouverte ne protégeaient pas. La majorité prit peur et se replia hâtivement sur une défensive volontiers soupçonneuse : ce fut l’Ecole stricte. Le reste, baptisé Ecole large, n’était pas homogène. A côté d’esprits solides et ferment attachés à leur foi, que soutenait la confiance dans la vérité, tels le Père Lagrange et ses disciples, se rencontraient des intellectuels hardis et pénétrants mais qui n’avaient pas su éviter l’écueil du rationalisme. Eblouis par les thèses critiques insuffisamment digérées, dépourvus de culture philosophique et théologique profonde, ils ne virent de salut que dans l’établissement d’une cloison étanche entre les domaines respectifs de la Foi et de l’Histoire. Dans son fameux « petit livre », L’Evangile et l’Eglise, paru en 1902, l’abbé Loisy croyait sincèrement mettre le catholicisme à l’abri de l’exégèse naturaliste de Harnack. Mais, en faisant de la Résurrection du Christ une vérité de foi dépourvue de toute réalité historique vérifiable, il rejoignait par un autre biais la pensée philosophique de son adversaire et volatilisait la révélation en lui refusant toute incarnation tangible.
(pp. 30-32)
« A moins d’un demi-siècle de distance, nous avons peine à comprendre le désarroi où ces événements plongèrent une génération de croyants. L’explication doit sans doute en être cherchée dans ce brusque effet de contraste dont nous parlions il y a un instant ; on ouvrait sans transition à des esprits trop souvent restés enfermés jusque là dans des cadres désuets, les perspectives illimitées d’une science nouvelle, où voisinaient pêle-mêle des conclusions rigoureusement scientifiques et des hypothèses arbitraires. Une sorte d’indigestion intellectuelle s’en suivit, où périt la foi d’une jeunesse brillante.
« Le fait est à souligner, car il garde une valeur d’avertissement. L’Eglise a toujours trouvé odieuse, surtout aux périodes glorieuses de son histoire, la prétention de ceux qui cherchent à compromettre les réactions saines et légitimes de son sens traditionnel, avec les pusillanimités de l’esprit humain que n’élargit pas suffisamment une foi vraiment confiante. En ce domaine, un conservatisme imperméable est aussi nocif qu’un libéralisme présomptueux. En voulant protéger la foi d’une manière toute négative, certains représentants de la pensée catholique au XIXe siècle l’ont plutôt compromise. Ils sont en partie responsables de l’équivoque moderniste.
(pp. 32-33)
(…)
« Le débat récent sur l’interprétation spirituelle de la Bible a toutefois mis en relief une lacune particulièrement regrettable de beaucoup de ces publications exégétiques. Même les ouvrages de vulgarisation s’avèrent souvent impuissants à satisfaire en profondeur le besoin de vérité authentique et vivante qui anime les courants jeunes du catholicisme moderne. Cette impuissance est certes en partie l’effet presque inévitable de la spécialisation scientifiques qui amis en relief l’importance indéniable des problèmes techniques. Mais la véritable cause du mal est ailleurs.
« Elle est à la fois d’ordre philosophique et théologique. En adoptant sans retouche et sans transposition suffisantes, comme allant de soi, les normes logiques de la dialectique occidentale et les méthodes des sciences expérimentales,  ces exégètes ont généralement admis ce postulat qu’il n’y avait pas d’autre manière de penser, pour l’homme universel, que celle qui leur était familière et qui s’est exprimée dans les formes aristotélicienne, cartésienne ou kantienne, qui ont moulé leur esprit dès l’enfance. On a cru pouvoir se contenter d’appliquer à des textes nés dans une autre ambiance mentale les lois de la philosophie, de la psychologie et de la logique d’Occident. On n’a pa assez soupçonné de façon vivante et concrète, l’existence de mondes de pensée et de sensibilité radicalement différents des nôtres, et surtout on n’a pa assez cherché à y pénétrer par le dedans. Du mémé coup, on s’est fermé l’accès aux véritables sources de la vitalité religieuse de la Bible.
« Car on n’arrange rien en ajoutant quelques paragraphes « pieux » aux exposés desséchants d’une science qui semble se croire d’autant plus objective et impartiale qu’elle réduit davantage l’intervention de la foi à un rôle de contrôle tout externe. 
(p. 34)
(…)
« Ainsi donc, on s’apercevra peut-être bientôt qu’une part notable des productions bibliques de ce demi-siècle sont devenues caduques parce qu’elles ont méconnu cette loi fondamentale de toute interprétation saine : un texte ne se comprend en profondeur que par une redécouverte intime de l’attitude mentale qui l’a inspiré, c’est-à-dire par une véritable communion à son génie propre. Le génie de la Bible est un génie d’engagement, et d’engagement religieux. En n’en tenant pas assez compte, une certaine  exégèse moderne n’a pas seulement déçu l’attente de ceux qui veulent vivre de la vérité, mais elle a commis une erreur de méthode sur son propre plan technique. »
(pp.35-36)

Les passages mis en rouge le sont évidemment par moi


mercredi 3 novembre 2010

Lectures en vrac

Voici les titres des ouvrages dont je recommande la lecture, en attendant de vous en dire  plus sur chacun dès que j'aurai un peu de loisir pour cela :

- Raimon Panikkar  La Trinité, une expérience humaine primordiale (tr. fr. Cerf, 2003)
- id.  L'expérience de Dieu, icônes du Mystère (tr. fr. Albin Michel 2002)
                                     (cf. mon billet du 13 octobre)
- Hiérothée Vlachos  Entretiens avec un ermite de la Sainte Montagne sur la prière du coeur (tr. fr.   Le Seuil, 1988, rééd. coll. Points Sagesse 1994)
                                    (un grand classique)
- Pierre Teilhard de Chardin  Science et Christ (Le Seuil, même coll. 1999)
                                    (une collection d'essais datés de 1919 à 1955 dûs à ce jésuite aussi célèbre que controversé)
- Marguerite Harl  La Bible en Sorbonne ou la revanche d'Erasme (Cerf, 2004)
                                    (par l'initiatrice de la grande entreprise de traduction en français de "La Bible d'Alexandrie, i.e. la Septante, qui se poursuit depuis un quart de siècle)
- Jean Meyendorff  Le Christ dans la théologie byzantine (Cerf, 1969, rééd. 2010)
- id.  Initiation à la théologie byzantine, l'histoire et la doctrine (Cerf, 1975, rééd. 2010)
                                    (deux grands classiques enfin réédités)
- Pierre Perrier & Xavier Walter  Thomas fonde l'Eglise en Chine (65-68 ap. J.-C.) (Ed. du Jubilé 2008)
- Saint Jean de Shanghaï et de San Francisco (1896-1966), Thaumaturge, Témpoignages rassemblés et édités par la Fraternité Saint-Herman-de-l'Alaska (Ed. F.-X. de Guibert, 2007)
- Catherine Lassagne  Le curé d'Ars au quotidien par un témoin privilégié (Ed. Parole et Silence 2003)

A chacun son choix !

vendredi 29 octobre 2010

PROMOTIONS A LA PROCURE

Alerte aux aficionados de lectures spirituelles :

La Procure propose jusqu'au 30 novembre une promotion de 50 % sur toute une série de titre s'inscrivant sous la rubrique "Le Carmel et la spiritualité", à la fois d'auteurs anciens et d'auteurs contemporains. Le choix est alléchant...

Venez voir par vous-mêmes ou consultez le site http://www.laprocure.com/informations/Bonnes_affaires.html

dimanche 24 octobre 2010

Dieu et César


Dieu et César
22e dimanche après la Pentecôte

Quelles leçons tirer de cet évangile ? Qu'il faut payer ses impôts ? Question d'actualité, en ce temps de tiers provisionnel !
La réponse est : oui !
Dans l'Evangile, il est question deux fois de payer l'impôt. Dans cet épisode-ci, qui est relaté par les trois évangiles synoptiques, de Matthieu, de Marc et de Luc ; et dans un autre, relaté par Matthieu seul. (Par manière de plaisanterie, on pourrait dire qu'il est normal que Matthieu insiste sur le paiement des impôts, puisqu'il est un ancien publicain, c'est-à-dire un ancien percepteur !)
Ce deuxième épisode est celui de la pièce de monnaie, du statère, que Jésus demande Pierre de prendre dans la bouche du premier poisson qu'il pêchera, afin de payer l'impôt dû au temple. Il y a un écho de cet épisode dans les antiennes du deuxième et du troisième psaumes des vêpres, ainsi que dans la préface et dans l'immolatio d'aujourd'hui.
Ces deux épisodes nous donnent deux fois la même réponse : oui, il faut payer l'impôt, aussi bien au temple qu'à César. Pas de grève fiscale au nom de Dieu ! - Vous en aurez l'explication un peu plus tard.
" Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu " : cette distinction est passée en proverbe, mais avec quelles conséquences sur le comportement quotidien ?
Cela revient à faire, de Dieu d'une part, de César d'autre part, deux souverains, deux potentats, ayant chacun son domaine, son territoire propre, et aucun ne devant empiéter sur la propriété de l'autre. À Dieu le soin des âmes, à César le soin de tout le reste, qui constitue l'existence quotidienne dans la cité : vie sociale, politique, professionnelle, loisirs, etc., etc. Et comme l'existence quotidienne est de plus en plus prenante, absorbe de plus en plus de temps et d'énergie, exige de plus en plus qu'on s'y implique, on enferme Dieu dans un placard, ou dans un tabernacle, ou dans une église - dans la conscience collective, c'est la même chose - dont on le sort de temps en temps, en fait de plus en plus rarement. Donc, l'existence quotidienne - dont il est pourtant le créateur, le conservateur, le moteur - lui échappe de plus en plus. Il n'en est certes pas absent, car, si c'était le cas, cette existence imploserait, s'anéantirait. Mais nous l'en absentons, nous l'en expulsons. Et cela au nom de cette sorte de Yalta en quoi nous avons transformé cette dichotomie Dieu et César, comme si c'étaient, je le répète, deux égaux, qui rivalisent ou qui coopèrent, selon le cas.
Quand je vous décris les conséquences réelles de cette vision, vous voyez bien qu'elle est fausse. Et elle est fausse dans ses conséquences parce qu'elle est fausse dans ses prémisses. Elle est fausse parce qu'elle est dualiste, alors que toute réalité est un écho, un reflet, plus ou moins affaibli de la Trinité. Toute réalité, à un degré supérieur et accompli, est trinitaire ; et, à un degré inférieur, est triadique - ce qui n'est pas tout à fait la même chose - Monseigneur Jean a admirablement développé cela dans son cours sur la Trinité.
Et, de fait, il n'y a pas deux pouvoirs à l'œuvre dans ce monde, il y en a trois. Il y a Dieu, le vrai Maître du monde, parce que " Maître de tout ", Pantocrator ; il y a César, qui se veut maître du monde ; et il y a un troisième larron, celui que le Christ appelle le " Prince de ce monde ".
De la même façon - selon les Pères, relayés par monseigneur Jean - il y a trois volontés qui agissent : la volonté divine, la volonté humaine et celle de l'Ennemi du genre humain. La volonté humaine n'est, en soi, ni bonne ni mauvaise ; elle est bonne quand elle se conforme, librement, à la volonté divine ; elle est mauvaise quand elle se laisse entraîner par celle du Tentateur ; le plus souvent, elle est entre les deux, elle oscille de l'une à l'autre, elle est un mélange des deux - d'où ces combats intérieurs décrits par saint Paul et vécus par chacun de nous.
Il en va exactement de même pour César, c'est-à-dire le pouvoir, les pouvoirs, temporels. C'est un entre-deux, ni bon en soi, ni mauvais en soi, qui peut être bon, ou mauvais, ou mixte, par ses œuvres.
Ceci est une première chose. Mais il y a quelque chose de plus que je veux souligner : le précepte évangélique selon lequel " tout pouvoir vient d'en haut "(vous avez entendu la même chose dans le passage de l’Ecclésiastique qui vous a été lu tout à l’heure). C'est ce que le Christ dit crûment à Pilate tout à la fin de sa comparution - et ce n’est pas par coïncidence fortuite que l’évangile lu hier relate cet épisode : " Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi s'il ne t'avait été donné d'en-haut " (Jean 19/11). Cela signifie que tout pouvoir, même lorsqu'il va au mal, vient de Dieu.
Ce propos vous paraît peut-être provocant, choquant, blasphématoire ?
Comprenez bien : il y a trois choses dans ce que je vous dis.
Premièrement : tous les pouvoirs que l'homme possède, il ne les tient pas de lui-même, il les a reçus de Dieu. Lorsque Dieu l'a créé " à son image et à selon sa ressemblance ", il l'a créé puissant.
Deuxièmement : ses pouvoirs, il les exerce en toute liberté, liberté qui est elle-même un don de Dieu. La liberté originelle de l'homme premier, du premier Adam, c'était son adhésion volontaire et sans restriction à la volonté divine. Cette adhésion, elle est toujours possible, mais beaucoup plus difficilement depuis la chute : avant, c'était une harmonie en quelque sorte préétablie, maintenant, ce doit être une harmonie reconquise, au prix de beaucoup d'efforts et de luttes.
En effet, parce que cette liberté donnée par Dieu à l'homme était une liberté sans condition, elle comportait même la possibilité de se couper de Dieu et de le renier. Ce qui a entraîné que ces pouvoirs - que Dieu, dans sa miséricorde, a diminués, mais qu'il n'a pas ôtés totalement à l'homme et, en particulier, le pouvoir, terriblement redoutable, de disposer de la vie d'autrui - ces pouvoirs, Dieu permet que l'homme en use librement, y compris pour le mal, comme l'atteste l'épisode de Caïn et d'Abel.
Mais, troisièmement, tout cela n'est possible que parce que Dieu permet ou consent. Voyez l'histoire de Job : Dieu consent que Job soit éprouvé, et même terriblement éprouvé, mais il pose une limite. Il permet ou consent, mais dans de certaines limites. Et celles-ci sont toujours à l’exacte mesure des capacités de celui qu’elles concernent. Ces limites, il les pose, parce qu'il ne veut pas livrer le monde - innocents et coupables ensemble - à la domination totale et exclusive du Prince des ténèbres, sous l'empire et l'esclavage de qui le monde est tombé à cause de la chute.
Autrement dit, Dieu ne veut la damnation de personne. Mais, question terrible et terrifiante : qu'advient-il de ceux qui cherchent obstinément la damnation ? C'est un mystère qui n'appartient qu'à Dieu....
Or, la domination du Prince de ce monde, déjà et définitivement, est détruite : le Prince de ce monde - le Christ l'a annoncé – est " jugé ", il a été " jeté dehors ". C'est-à-dire que ne restent sous sa domination que des esclaves volontaires ! Ce que nous sommes tous en partie : nous sommes à la fois libres et esclaves, à la fois justes et pécheurs.
Et comment le Prince de ce monde a-t-il été jugé, vaincu, jeté dehors ? Parce que le Christ, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, " s'est fait obéissant jusqu'à la mort, à la mort même de la croix ". Or la mort, c'est l'instrument ultime de la domination et de l'empire de l'Ennemi. Ainsi le Christ s'est fait totalement obéissant à l'Ennemi du genre humain ; et c'est cette obéissance qui a fait exploser la prison dans laquelle le genre humain était enfermé et enchaîné.
De tout cela, les premiers chrétiens avaient entièrement conscience. Ils respectaient tous les pouvoirs établis, même mauvais, même méchants, même persécuteurs, et ils leur obéissaient, comme les en instruisait l'apôtre Pierre dans sa première épître : " Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes ". Et ils leur payaient l'impôt - vous avez là votre réponse. Ils étaient des modèles d'obéissance et de soumission, à une seule exception, celle de la foi : là-dessus ils étaient intraitables.
Pourquoi agissaient-ils ainsi ? Parce que ces autorités établies le sont de par Dieu, soit que Dieu veuille, soit que Dieu consente - même quand elles font le mal. Car c'est une conviction absolue que nous devons avoir, que Dieu permet parfois un mal pour qu'il en sorte un plus grand bien. Mais trop souvent nous refusons cela, parce que nous raisonnons comme si notre vie était limitée à cette terre, comme si nous ne croyions pas vraiment à la vie éternelle. Et je crains bien que nous ne sacrifiions souvent notre foi à notre vie terrestre quotidienne - pas besoin de grandes persécutions pour cela. !
Les premiers chrétiens, non seulement obéissaient à ces Césars, même méchants, mais ils priaient pour eux : ils priaient pour Néron, par exemple. Tertullien, dans son Apologie adressée à l'empereur en défense des chrétiens, lui dit en substance : " Tu as en nous les meilleurs et les plus fidèles de tes sujets, puisque non seulement nous t'obéissons, comme Dieu nous le commande - sauf quand tu nous ordonnes de désobéir à Dieu - mais encore nous prions pour toi, même quand tu nous punis injustement ".
Si les premiers chrétiens agissaient ainsi, c'était pour se faire " les imitateurs du Christ ", comme dit saint Paul, pour " suivre ses traces ", comme dit saint Pierre, parce que souffrir, comme le Christ, injustement est, affirme-t-il, une " grâce devant Dieu " - et je vous renvoie au passage de sa première épître où il développe ce thème (1 Pierre 2/13-41).
En agissant comme le Christ, nous nous faisons " petits christs " - c'est le sens de « chrétiens » - et ainsi nous contribuons et participons à faire voler en éclats les portes de l'enfer, notre prison.
Et ainsi, aussi, nous reconquérons notre gloire première.
Car, en définitive, ou plutôt à l'origine, mais aussi en définitive, qui est le Maître de toutes choses, le Pantocrator ? Dieu, oui, mais il a en quelque sorte délégué cette fonction au Verbe Créateur, Fils de Dieu et Dieu lui-même. Et qui le Verbe a-t-il établi César ou Roi du monde ? L'Homme. L'autre, le Prince de ce monde, n'est qu'un usurpateur et un tyran.
Dieu veut qu'il soit mis fin à son usurpation et à sa tyrannie. Le seul moyen d'y parvenir - mais d'une efficacité absolue - parce que cette usurpation est fondée sur l'orgueil, la domination et la violence, c'est d'être, comme notre vrai Maître, " doux et humble de cœur " et de pratiquer l'amour des ennemis. L'amour des ennemis chasse à coup sûr celui qui ne vit que de la haine, par la haine et pour la haine !
Et ainsi l'Homme-César, l'Homme-Roi prendra place, ou plutôt reprendra la place qui lui est due et qui l'attend, dans la gloire éternelle du Dieu Tri-Unique, qui l'a aimé, qui l'aime et qui l'aimera d'un amour sans limites. A Lui soit honneur et actions de grâces dans les siècles des siècles. Amen.

Homélie prêchée ce matin 24 octobre 2010

 

samedi 23 octobre 2010

La convenance réciproque entre Dieu et l'homme, selon S. François de Sales


SAINT FRANÇOIS DE SALES. TRAITÉ DE L'AMOUR DE DIEU

Livre premier. Chapitre 15
Sitôt que l'homme pense un peu attentivement à la Divinité, il sent une certaine douce émotion de cœur, qui témoigne que Dieu est Dieu du cœur humain ; et jamais notre entendement n'a tant de plaisir qu'en cette pensée de la Divinité [...]
Ce plaisir, cette confiance que le cœur humain prend naturellement en Dieu, ne peut provenir que de la bonne convenance qu'il y a entre cette divine bonté et notre âme. Convenance grande mais secrète ; convenance que chacun connaît, et que peu de gens entendent ; convenance qu'on ne peut nier, mais qu'on ne peut bien pénétrer. Nous sommes créés à l'image et ressemblance de Dieu ; qu'est-ce à dire cela, sinon que nous avons une extrême convenance avec la divine Majesté ?[...]
Outre cette convenance de similitude, il y a une correspondance non pareille entre Dieu et l'homme, par leur réciproque perfection ; non que Dieu puisse recevoir aucune perfection de l'homme ; mais parce que, comme l'homme ne peut être perfectionné que par la divine Bonté, ainsi la divine Bonté ne peut bonnement si bien exercer sa perfection hors de soi qu'à l'endroit de notre humanité. L'un a grand besoin et grande capacité de recevoir du bien, et l'autre grande abondance et grande inclination pour en donner. Rien n'est si à propos pour l'indigence, qu'une libérale affluence, rien si agréable à une libérale affluence qu'une nécessiteuse indigence ; et plus le bien a d'affluence, plus l'inclination de se répandre et communiquer est forte, plus l'indigent est nécessiteux, plus il est avide de recevoir, comme un vide de se remplir. C'est donc un doux et désirable rencontre que celui de l'affluence et de l'indigence ; et ne saurait-on presque dire qui a le plus de contentement, ou le bien abondant, à se répandre et communiquer, ou le bien défaillant et indigent, à recevoir et tirer, si Notre Seigneur n'avait dit que c'est chose plus heureuse de donner que de recevoir. Or, où il y a plus de bonheur, il y a plus de satisfaction ; la divine Bonté a donc plus de plaisir à donner ses grâces que nous à les recevoir [...]
Ainsi, notre défaillance a besoin de l'abondance divine par disette et nécessité ; mais l'affluence divine n'a besoin de notre indigence que par excellence de perfection et bonté ; bonté qui néanmoins ne devient pas meilleure en se communiquant, car elle n'acquiert rien en se répandant hors de soi, au contraire elle donne ; mais notre indigence demeurerait manquante et misérable, si l'abondance de la bonté ne la secourait.
Notre âme donc, [...] voyant que son entendement a une inclination infinie de savoir toujours davantage et sa volonté un appétit insatiable d'aimer et trouver du bien, n'a-t-elle pas raison d'exclamer : « Ah ! Donc, je ne suis pas faite pour ce monde ! Il y a quelque souverain bien duquel je dépends, et quelque ouvrier infini qui a imprimé en moi cet interminable désir de savoir, et cet appétit qui ne peut être assouvi ; c'est pourquoi il faut que je tende et m'étende vers lui, pour m'unir et joindre à sa bonté, à laquelle j'appartiens et suis. » Telle est la convenance que nous avons avec Dieu.
Livre premier. Chapitre 16
S'il se trouvait des hommes qui fussent en l'intégrité et droiture originelle en laquelle Adam se trouva lors de sa création, bien que d'ailleurs ils n'eussent aucune autre assistance de Dieu que celle qu'il donne à chaque créature, afin qu'elle puisse faire les actions qui lui sont convenables, non seulement ils auraient l'inclination d'aimer Dieu sur toutes choses, mais aussi ils pourraient naturellement exécuter cette si juste inclination.[...]
Or, bien que l'état de notre nature humaine ne soit pas maintenant doué de la santé et droiture originelle que le premier homme avait en sa création, et qu'au contraire nous soyons grandement dépravés par le péché, toutefois la sainte inclination d'aimer Dieu sur toutes choses nous est demeurée, comme aussi la lumière naturelle par laquelle nous connaissons que sa souveraine bonté est aimable sur toutes choses. [...]
Livre premier. Chapitre 17
Nos esprits, animés d'une sainte inclination naturelle envers la Divinité, ont bien plus de clarté en l'entendement pour voir combien elle est aimable que de force en la volonté pour l'aimer ; car le péché a beaucoup plus débilité la volonté humaine qu'il n'a offusqué l'entendement. [...]
Car ainsi, notre cœur humain produit bien naturellement certains commencements d'amour envers Dieu ; mais d'en venir jusques à l'aimer sur toutes choses, ce qui est la vraie maturité de l'amour dû à cette suprême Bonté, cela n'appartient qu'aux cœurs animés et assistés de la grâce céleste, et qui sont en l'état de la sainte charité ; et ce petit amour imparfait, duquel la nature en elle-même sent les élans, ce n'est qu'un certain vouloir sans vouloir, un vouloir qu'il voudrait, mais qui ne veut pas, un vouloir stérile, qui ne produit point de vrais effets, un vouloir paralytique, qui voit la piscine salutaire du saint amour, mais qui n'a pas la force de se jeter ; et enfin, ce vouloir est un avorton de le bonne volonté, qui n'a pas la vie de la généreuse vigueur requise pour en effet préférer Dieu à toutes choses ; d'où l'Apôtre, parlant en la personne du pécheur s'écrie : Le vouloir est bien en moi, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir (Rom 7, 18).
Livre premier. Chapitre 18
Mais si nous ne pouvons pas naturellement aimer Dieu sur toutes choses, pourquoi donc avons-nous naturellement inclination à cela ? La nature n'est-elle pas vaine, de nous inciter à un amour qu'elle ne nous peut donner ? Pourquoi nous donne-t-elle la soif d'une eau si précieuse, puisqu'elle ne peut nous en abreuver ? Ha ! Que Dieu nous a été bon ! La perfidie que nous avions commise en l'offensant méritait certes qu'il nous privât de toutes les marques de sa bienveillance et de la faveur qu'il, avait exercée envers notre nature, lorsqu'il imprima sur elle la lumière de son divin visage [...]
Mais cette infinie débonnaireté ne sut jamais être si rigoureuse envers l'ouvrage de ses mains. [...] Selon les entrailles de sa miséricorde, il ne nous voulut pas entièrement ruiner, ni nous ôter le signe de sa grâce perdue ; afin que le regardant et sentant en nous cette alliance et propension à l'aimer, nous tâchassions de ce faire [...] Car, encore que, par la seule inclination naturelle, nous ne puissions pas parvenir au bonheur d'aimer Dieu comme il faut, cependant, si nous l'employions fidèlement, la douceur de la piété divine nous donnerait quelque secours par le moyen duquel nous pourrions passer plus avant.[...]
L'inclination d'aimer Dieu sur toutes choses, que nous avons par nature, ne demeure pas pour néant dans notre cœur ; car, quant à Dieu, il s'en sert comme d'une anse, pour nous pouvoir plus suavement prendre et retirer à soi, et semble que, par cette impression, la divine Bonté tienne en quelque façon attachés nos cœurs comme des petits oiseaux par un filet, par lequel il nous puisse tirer quand il plaît à sa miséricorde d'avoir pitié de nous ; et quant à nous, elle nous est un indice et mémorial de notre premier principe et Créateur, à l'amour duquel elle nous incite, nous donnant secret avertissement que nous appartenons à sa divine Bonté. [...]
Certes, l'honorable inclination que Dieu a mise en nos âmes fait connaître à nos amis et à nos ennemis que non seulement nous avons été à notre Créateur, mais encore que si bien il nous a laissés et lâchés à la merci de notre franc-arbitre, néanmoins nous lui appartenons, et il s'est réservé le droit de nous reprendre à soi pour nous sauver, selon que la sainte et suave Providence le requerra. C'est pourquoi le grand Prophète royal appelle cette inclination non seulement lumière, parce qu'elle nous fait voir où nous devons tendre, mais aussi joie et allégresse (Ps 4, 7-8), parce qu'elle nous console en notre égarement, nous donnant espérance que celui qui nous a empreint et laissé cette belle marque de notre origine prétend encore et désire de nous y ramener et réduire, si nous sommes si heureux que de nous laisser reprendre à sa divine bonté.
Livre deuxième. Chapitre 4
Dieu [...] considérant qu'entre toutes les façons de se communiquer, il n'y avait rien de si excellent que de se joindre à quelque nature créée, en telle sorte que la créature fût comme entée et insérée en la Divinité pour ne faire avec elle qu'une seule personne, son infinie bonté [...] se résolut et détermina d'en faire une de cette manière, afin que, comme éternellement il y a une communication essentielle en Dieu, par laquelle le Père communique toute son infinie et indivisible divinité au Fils en le produisant, et le Père et le Fils ensemble produisant le Saint-Esprit, lui communiquant aussi leur propre unique divinité, de même cette souveraine douceur fut aussi communiquée si parfaitement hors de soi à une créature, que la nature créée et la Divinité, gardant une chacune leurs propriétés, fussent néanmoins tellement unies ensemble qu'elles ne fussent qu'une même personne.
Or, entre toutes les créatures que cette souveraine toute-puissance pouvait produire, elle trouva bon de choisir la même humanité qui, depuis, par effet fut jointe à la personne de Dieu le Fils, à laquelle elle destina cet honneur incomparable de l'union personnelle à sa divine Majesté, afin qu'éternellement elle jouît par excellence des trésors de sa gloire infinie.[...]
Bien que Dieu voulût créer tant les anges que les hommes avec le franc-arbitre, libres de choisir le bien et le mal, cependant, pour témoigner que de la part de la Bonté divine ils étaient dédiés au bien et à la gloire, elle les créa tous en justice originelle, laquelle n'était autre chose qu'un amour très suave qui les disposait, contournait et acheminait à la félicité éternelle.[...]
Il prévit [...] que le premier homme abuserait de sa liberté et que, quittant la grâce, il perdrait la gloire ; mais il ne voulut pas traiter si rigoureusement la nature humaine, comme il délibéra de traiter l'angélique.[...] Il regarda notre nature en pitié et résolut de la prendre à merci.[...]
Mais afin que la douceur de sa miséricorde fût ornée de la beauté de sa justice, il délibéra de sauver l'homme par voie de rédemption rigoureuse, laquelle ne se pouvant bien faire que par son Fils, il établit que celui-ci rachèterait les hommes, non seulement par une de ses actions amoureuses qui eût été plus que très suffisante à racheter mille millions de mondes, mais encore par toutes les innumérables actions amoureuses et passions douloureuses qu'il ferait et souffrirait jusques à la mort, et la mort de la croix, à laquelle il le destina, voulant qu'ainsi il se rendît compagnon de nos misères pour nous rendre ensuite compagnons de sa gloire ; montrant en cette sorte les richesses de sa bonté, par cette rédemption copieuse (Ps 130, 7), abondante, surabondante, magnifique et excessive, laquelle nous a acquis et comme reconquis tous les moyens pour parvenir à la gloire [...].
Livre deuxième. Chapitre 5
[Le Sauveur] est mort pour tous parce que tous étaient morts ; et sa miséricorde a été plus salutaire pour racheter la race des hommes que la misère d'Adam n'avait été vénéneuse pour la perdre. Et tant s'en faut que le péché d'Adam ait surmonté la débonnaireté divine que tout au contraire il l'a excitée et provoquée ; si que, par une suave et très amoureuse antipéristase 1 et contention, elle s'est ravigorée à la présence de son adversaire et comme ramassant ses forces pour vaincre, elle a fait surabonder la grâce où l'iniquité avait abondé (Rom 5, 20) ; de sorte que la sainte Eglise, par un saint excès d'admiration, s'écrie la veille de Pâques : O péché d'Adam, à la vérité nécessaire, qui a été effacé par la mort de Jésus-Christ ! O coulpe bienheureuse, qui a mérité d'avoir un tel et si grand Rédempteur ! [...] Notre perte nous a été à profit, puisqu'en effet la nature humaine a reçu plus de grâces par la rédemption du Sauveur, qu'elle n'en eût jamais reçu par l'innocence d'Adam, s'il y eût persévéré.[...]
La rédemption de Notre Seigneur touchant nos misères, elle les rend plus utiles et aimables que n'eût jamais été l'innocence originelle. Les anges ont plus de joie au ciel, dit le Sauveur, sur un pécheur pénitent que sur nonante-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence (Luc 15, 7). Et de même l'état de la rédemption vaut cent fois mieux que celui de l'innocence.

(à suivre)

NB Les italiques sont dans l'édition que je reproduis.





1 Réaction contraire