jeudi 6 janvier 2011

Sur les rois mages

Courts  propos sur les Rois Mages

            Ceux que l’on fête aujourd’hui, la tradition les appelle « les Rois mages ». Dans un pays laïcisé comme la France, ils sont quasiment oubliés et leur mémoire inconsciente ne survit plus que par les galettes.
           
            En revanche,  dans une région comme la Catalogne, Los Reyes est une des plus grandes fêtes de l’année. « Les Rois » abordent dans leurs galères avec leur cour et leurs équipages, ils sont reçus solennellement par l’alcade et la municipalité, ils prononcent un discours au balcon de l’hôtel de ville et font ensuite le tour de la cité dans de somptueuses limousines, acclamés par la foule, salués par des orchestres qui jouent aux carrefours et des feux d’artifice tirés sur les hauteurs. C’est particulièrement la fête des enfants, à qui l’on distribue, et les Rois les premiers, friandises et cadeaux.
           
            Ceci pour dire que la « fête des Rois » est une tradition anciennement ancrée en Occident. Mais point en Europe centrale et orientale – laquelle commence, de ce point de vue, en Lorraine et en Alsace – où c’est saint Nicolas qui prédomine.
           
            Qui étaient, historiquement, les rois mages ? Aucune importance. Ce qui importe, c’est leur signification symbolique et religieuse ;
           
            Que faut-il retenir ? Premièrement, qu’ils viennent « pour adorer le roi des Juifs qui vient de naître ». C’est ce qu’ils annoncent à Hérode (Matthieu 2, 2), et l’usurpateur qu’il était en fut grandement troublé. « Roi des Juifs », ce titre qui est donné à Jésus à sa nativité le sera de nouveau à sa mort sur la croix puisque c’est celui que Pilate fera inscrire sur l’écriteau, le titulum, fixé sur la croix : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs », Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, INRI.
           
            Pourquoi ce titre ? Parce que Jésus est juif, intégralement juif – en tant qu’homme. Certes, mais c’est très insuffisant. La raison profonde est que les Juifs ont une mission particulière que Dieu leur a confiée. Un rabbin a eu un jour une parole très juste au cours d’une émission de télévision consacrée à Jérusalem : « Dieu nous a choisis pour être un peuple de rois et de prêtres, et cela non pour nous, mais pour le monde entier ». Parole inspirée. Dieu a en effet choisi, « élu » les Juifs pour, selon les termes de saint Irénée de Lyon, accoutumer Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, et, lorsque les temps furent accomplis, engendrer Dieu dans sa chair. Pour devenir, selon une formule de notre évêque, « le peuple mère de Dieu ». Et, par là, le communiquer au monde entier lorsque l’Israël selon la loi sera devenu connaturel à l’Israël selon la grâce.
           
            C’est de ce peuple « mère de Dieu » que Jésus est le roi en même temps qu’il en est le fils, en même temps qu’il est le Fils de Dieu. Ce que prophétise le psaume que l’Eglise chante au temps de la Nativité et que cite aussi l’épître aux Hébreux (psaume 2, 7-10) :

            « Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui.
            Il te donnera les nations pour héritage,
            et l’empire jusqu’aux extrémités de la terre.
            Et maintenant, princes et rois, comprenez,
            soyez avertis, puissants de la terre. »

            Tout cela trouvera son accomplissement dans la Jérusalem nouvelle descendue du haut des cieux (Apocalypse 21) :

            « Les nations marcheront à sa lumière [= de l’Agneau] et les rois de la terre y apporteront leur gloire(…) on y apportera la gloire et l’honneur des nations. »

            Reportons-nous aussi au prophète Isaïe (60, 1-3) :

            « Lève-toi et resplendis ! car ta lumière paraît,
            et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.
            (…)
            Les nations marchent vers ta lumière,
            et les rois vers la clarté de ton lever.
            (…)
            Les richesses de la mer se dirigeront vers toi,
            les trésors des nations viendront à toi.
            Des multitudes de chameaux te couvriront,
            les dromadaires de Madian et d’Epha ;
            tous ceux de Saba viendront,
            ils apporteront de l’or et de l’encens,
            et publieront les louanges du Seigneur. »

            C’est cet événement final et grandiose que préfigure et anticipe la venue de ces mages que la tradition qualifie de « rois », parce qu’ils sont les représentants des nations, ces nations entre lesquelles se répartit la totalité de l’humanité et auxquelles le Christ a commandé à ses disciples d’aller annoncer la Bonne Nouvelle (Matthieu 28, 19).
           
            C’est donc le « Roi des rois » (Apocalypse 17, 14), le « Roi des nations » (Jérémie 10, 7 – 6e Nom divin) devant qui les représentants des nations viennent se prosterner : en grec proskênusai, qui est l’acte physique de l’adoration. C’est l’humanité qui se prosterne devant son Créateur.
           
            Raison pourquoi la tradition a vu dans les trois rois mages les figures représentatives des trois fils de Noé : Sem, Cham et Japhet et des trois races mythiques issues d’eux.
           
            En outre, selon une exégèse symbolique qui ne contredit pas la précédente, les offrandes des rois mages à Jésus font référence à ses trois qualités :
            - l’or, comme roi ;
            - l’encens, comme Dieu ;
            - la myrrhe, comme homme, sujet à la mort – par anticipation de son embaumement avant sa mise au tombeau. Car la mort du Christ est déjà présente dans l’icône de sa nativité : la grotte préfigure le tombeau, les langes, les bandelettes qui envelopperont son corps.
           
            Selon une autre exégèse qui vient en complément des précédentes, les mages personnifient la sagesse humaine, cette sagesse qui, selon l’apôtre Paul, sait scruter les choses visibles pour y voir les signes des choses invisibles et sait déceler dans l’univers « ses perfections invisibles, son éternelle puissance et sa divinité » (cf. Romains 1, 19 et suiv.)  Car la sagesse humaine, lorsqu’elle est droitement conduite, a une étonnante capacité à s’élever loin et haut. Toute sagesse vient de Dieu. Celle-ci n’a rien de commun avec la sagesse chutée et devenue folle, qui, comme un coursier à qui la rêne est lâchée, galope en tous sens selon ses impulsions. Elle est, cette sagesse, le miroir de la Sagesse prééternelle, de la sainte Sophia. Fidèle à sa nature innée, elle veut, et peut, conquérir par la patience et la docilité, avec le temps, ce que les cœurs simples reçoivent instantanément par révélation. Ces derniers, ce sont les bergers ; les premiers, les mages ; mais tous parviennent auprès de l’Enfant roi, de l’architecte des mondes couché dans la mangeoire.
           
            Règle : seule la simplicité rapproche de Dieu. Il est des cœurs simples par nature, il est des esprits qui se simplifient par le travail de la sagesse : les deux sont des voies de la grâce, les deux sont des voies par quoi Dieu se révèle. Nul n’est oublié.
           
            Chantons donc comme dans la grande antienne :
           
            « Ta naissance, ô Christ, notre Dieu,
            a fait resplendir dans le monde la lumière de l’intelligence.
            Ceux qui servaient les astres sont instruits par l’astre
            de t’adorer, Soleil de justice,
            et te contempler, Orient venant des hauteurs.
            Seigneur, gloire à toi ! »

+ Jean-François Var
6 janvier A.D. 2011

           

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