dimanche 30 octobre 2011

JESUS (bis)

J’ai recommandé il y a trois semaines le Jésus de Jean-Christian Petitfils après une lecture cursive – ce qui ne veut pas dire : superficielle : ma formation m’a appris à jauger un livre de cette façon.


J’ai maintenant achevé de le lire ligne à ligne, je peux même dire de le déguster. Et je persiste plus que jamais dans mon conseil : lisez-le et faites-le lire !

Il ne faut pas se dissimuler que l’auteur a un parti-pris. Le fameux poncif sur l’objectivité de l’historien est une blague à laquelle personne ne croit – expers sum, c’est-à-dire que je m’y connais. Je pose même en principe qu’un historien qui n’a pas de sympathie, c’est-à-dire de compréhension par l’intérieur, pour ce qu’il étudie, ne peut faire qu’un mauvais travail. Ce serait par exemple mon cas si j’étudiais Robespierre, ce monstre froid et sanguinaire. Là où, en revanche, l’objectivité est non seulement possible mais indispensable, c’est dans la recherche et le traitement des documents.

Jean-Christian Petitfils remplit parfaitement les conditions que je viens d’énoncer. Il éprouve une admiration sans failles pour Jésus, admiration qui est celle de l’historien, même si celle du croyant n’est pas loin derrière. Mais cette admiration est étayée par une foule impressionnante de documents : sa bibliographie est impressionnante (21 pages du livre) et l’on voit bien à la teneur des très nombreuses notes que cette bibliographie a été utilisée (contrairement à certains travaux universitaires qui proposent pour la parade une bibliographie fournie dont l’auteur n’a pas utilisé le dixième…)

La narration de Petitfils suit donc les évangiles (dont il prouve l’authenticité testimoniale), et singulièrement celui de saint Jean, qu’il affirme être le plus fiable historiquement et géographiquement. Cette thèse n’est pas nouvelle, je l’avais découverte jadis sous la plume d’une historienne juive, Jacqueline Genot-Bismuth dans son ouvrage Jérusalem ressuscitée, La Bible hébraïque et l’Évangile de Jean à l’épreuve de l’archéologie nouvelle, F.-X. de Guibert, 1992. Sa thèse se résume en ceci : « L’Évangile de Jean correspond de façon absolument photographique à la situation des années 20-30, y compris les termes utilisés pendant le procès de Jésus, qui sont très fiables. » L’amusant est que le site Wikipédia qui reprend cette phrase (extraite d’une interview de J. Genot-Bismuth par Markos Zafiropoulos et Bertrand Meheust dans la revue Synapse ) agrémente ces propos de cette indication : « Cet ouvrage n'a aucune réception dans les milieux académiques et scientifiques spécialisés. » Ce qui prouve quoi ? que lesdits milieux sont congénitalement bornés, et c’est vrai dans tous les domaines.

Quoi qu’il en soit, Petitfils adopte les thèses de J. Genot-Bismuth, y compris celle, qui a d’abord heurté mes convictions reçues, selon laquelle Jean l’évangéliste n’était pas le fils de Zébédée le pêcheur et le frère de Jacques, mais un (jeune) prêtre du Temple, appartenant à une famille aristocratique ecclésiale. J’avoue que les arguments avancés sont plutôt convaincants (pp. 524 à 528).

Qu’on n’aille pas croire que Petitfils reçoive tous les textes évangéliques comme… paroles d’Evangile. Il en fait un examen critique assez poussé ; mais il s’appuis sur l’exégèse la plus récente qui, à la faveur des nombreuses découvertes archéologiques et épigraphiques de ces dernières années, conclut de plus en plus à une rédaction précoce des évangiles, en tout cas avant la destruction de Jérusalem par Titus en 70. L’exégèse qui repoussait très tard dans le temps cette rédaction est complètement dépassée et poussiéreuse ; c’est malheureusement la seule que connaissent nos journalistes autoproclamés exégètes, qui sont tout simplement mal informés… Dur pour des journalistes !

Je n’entrerai pas dans le détail de tout ce que moi, qui ne suis pourtant pas totalement ignare, ai appris à la lecture de ce grand bouquin. Je ne veux pourtant pas terminer sans parler des sept annexes où l’auteur étudie les sources antiques (juives et latines), analyse les évangiles apocryphes, expose ses hypothèses sur la généalogie et la datation des évangiles synoptiques, analyse l’évangile de Jean, met en valeur l’historicité des évangiles, expose l’état de la recherche sur Qûram et les manuscrits de la mer Morte, et enfin inventorie les « reliques de la Passion », c’est-à-dire le linceul de Turin (le Saint Suaire), la tunique d’Argenteuil et le suaire d’Oviedo, dont il prouve, à l’aide d’arguments empruntés à la médecine légale la plus avancée, la parfaite authenticité. Qui qu’en grogne ! Et malgré la couardise (pardon !) de l’Eglise catholique romaine qui s’était laissé impressionner par une pseudo-expertise au carbone 14 en octobre 1988 – l’Eglise romaine mais pas le pape Jean XXIII.

En bref, ne laissez pas passer cette occasion de vous instruire. Vous convaincre, c’est autre chose, ce n’est pas le labeur de l’historien, c’est l’action douce et puissante de la grâce.


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