mardi 14 août 2012

Dormition & Assomption de la Toute Sainte Mère de Dieu (Panaghia Theotokos)


LA DORMITION DE LA TOUTE SAINTE MÈRE DE DIEU
par Vladimir Lossky


icône de la Dormition  galerie Tretyakov Moscou

La fête de la Dormition de la Mère de Dieu, connue en Occident sous le nom de l’Assomption, comprend deux moments distincts mais inséparables pour la foi de l’Église : la mort et l’ensevelissement de la Mère de Dieu ; et sa résurrection et son ascension. L’Orient orthodoxe a su respecter le caractère mystérieux de cet événement qui, contrairement à la résurrection du Christ, n’a pas fait l’objet de la prédication apostolique. En effet, il s’agit d’un mystère qui n’est pas destiné aux oreilles de « ceux de l’extérieur », mais se révèle à la conscience intérieure de l’Église. Pour ceux qui sont affermis dans la foi en la résurrection et l’ascension du Seigneur, il est évident que, si le Fils de Dieu avait assumé sa nature humaine dans le sein de la Vierge, celle qui a servi à l’Incarnation devait à son tour être assumée dans la gloire de son Fils ressuscité et montéE au ciel. « Ressuscite, Seigneur, en ton repos, toi et l’Arche de ta sainteté » (Ps 131, 8, qui revient à maintes reprises dans l’office de la Dormition). « Le cercueil et la mort » n’ont pas pu retenir « la Mère de la vie » car son Fils l’a transférée dans la vie du siècle futur (kondakion).

La glorification de la Mère est une conséquence directe de l’humiliation volontaire du Fils : le Fils de Dieu s’incarne de la Vierge Marie et se fait « Fils de l’homme », capable de mourir, tandis que Marie, en devenant Mère de Dieu, reçoit la « gloire qui convient à Dieu » (vêpres, ton 1) et participe, la première parmi les êtres humains, à la déification finale de la créature. « Dieu se fit homme, pour que l’homme soit déifié » (S. Irénée, S. Athanase, S. Grégoire de Nazianze, S. Grégoire de Nysse [PG 7, 1120 ; 25, 192 ; 37, 465 ; 45, 65] et d’autres Pères de l’Église). La portée de l’incarnation du Verbe apparaît ainsi dans la fin de la vie terrestre de Marie. « La Sagesse est justifiée par ses enfants » (Lc 7, 35) : la gloire du siècle à venir, la fin dernière de l’homme est déjà réalisée, non seulement dans une hypostase divine incarnée, mais aussi dans une personne humaine déifiée. Ce passage de la mort à la vie, du temps à l’éternité, de la condition terrestre à la béatitude céleste, établit la Mère de Dieu au-delà de la résurrection générale et du jugement dernier, au-delà de la parousie qui mettra fin à l’histoire du monde. La fête du 15 août est une seconde Pâque mystérieuse, puisque l’Église y célèbre, avant la fin des temps, les prémices secrètes de sa consommation eschatologique. Ceci explique la sobriété des textes liturgiques qui laissent entrevoir, dans l’office de la Dormition, la gloire ineffable de l’Assomption de la Mère de Dieu (l’office de « l’Ensevelissement de la Mère de Dieu », 17 août, d’origine très tardive, est au contraire trop explicite : il est calqué sur les matines du Samedi saint («Ensevelissement du Christ»).

La fête de la Dormition est probablement d’origine hiérosolymitaine. Cependant, à la fin du IVe siècle, Éthérie ne la connaît pas encore. On peut supposer néanmoins que cette solennité n’a pas tardé à apparaître, puisque au VIe siècle, elle est déjà répandue partout : S. Grégoire de Tours est le premier témoin de la fête de l’Assomption en Occident (De gloria martyrum, Miracula I, 4 et 9 - PL 71, 708 et 713), où elle était célébrée primitivement en janvier (le missel de Bobbio et le sacramentaire gallican indiquent la date du 18 janvier). Sous l’empereur Maurice (582-602) la date de la fête est définitivement fixée au 15 août (Nicéphore Calliste, Hist. Eccles., 1. XVII, c. 28 - PG, 147, 292).

Parmi les premiers monuments iconographiques de l’Assomption, il faut signaler le sarcophage de Santa Engracia à Saragosse (début du IVe siècle) avec une scène qui est très probablement celle de l’Assomption (Dom Cabrol, Dict. d’archéol. chrét., I, 2990-94) et un relief du VIe siècle, dans la basilique de Bolnis-Kapanakéi, en Georgie, qui représente l’Ascension de la Mère de Dieu et fait pendant au relief avec l’Ascension du Christ (S. Amiranaschwili, Histoire de l’art géorgien (en russe, Moscou, 1950), p. 128 ). Le récit apocryphe qui circulait sous le nom de S. Méliton (IIe siècle), n’est pas antérieur au commencement du Ve siècle (PG, 5, 1231-1240). Il abonde en détails légendaires sur la mort, la résurrection et l’ascension de la Mère de Dieu, informations douteuses que l’Église prendra soin d’écarter. Ainsi, S. Modeste de Jérusalem (+634), dans son « Éloge à la Dormition » - (Encomium, PG 86, 3277-3312), est très sobre dans les détails qu’il donne : il signale la présence des Apôtres « amenés de loin, par une inspiration d’en haut », l’apparition du Christ, venu pour recevoir l’âme de sa Mère, enfin, le retour à la vie de la Mère de Dieu, « afin de participer corporellement à l’incorruption éternelle de celui qui l’a fait sortir du tombeau et qui l’a attirée à lui, de la manière que lui seul connaît ». (Patrologia Orientalis, XIX, 375-438.) L’homélie de S. Jean de Thessalonique (+vers 630) ainsi que d’autres homélies plus récentes – de S. André de Crète, de S. Germain de Constantinople, de S. Jean Damascène (PG 97, 1045-1109 ; 98, 340-372 ; 96, 700-761) – sont plus riches en détails qui entreront aussi bien dans la liturgie que dans l’iconographie de la Dormition de la Mère de Dieu.

Le type classique de la Dormition dans l’iconographie orthodoxe se borne, habituellement, à représenter la Mère de Dieu couchée sur son lit de mort, au milieu des Apôtres, et le Christ en gloire recevant dans ses bras l’âme de sa Mère. Cependant, quelquefois, on a voulu signaler également le moment de l’assomption corporelle : on y voit alors, en haut de l’icône, au-dessus de la scène de Dormition, la Mère de Dieu assise sur un trône dans la mandorle, que les anges portent vers les cieux.

Sur notre icône (Paris, XXe siècle), le Christ glorieux entouré de mandorle regarde le corps de sa Mère étendu sur un lit de parade. Il tient sur son bras gauche une figurine enfantine revêtue de blanc et couronnée de nimbe : c’est « l’âme toute lumineuse » (vêpres, stichère du ton 5) qu’il vient de recueillir. Les douze Apôtres « se tenant autour du lit, assistent avec effroi » (vêpres, stichère du ton 6) au trépas de la Mère de Dieu. On reconnaît facilement, au premier plan, S. Pierre et S. Paul, des deux côtés du lit. Sur quelques icônes, on représente en haut, dans le ciel, le moment de l’arrivée miraculeuse des Apôtres, rassemblés « des confins de la terre sur les nues » (kondakion, ton 2). La multitude d’anges présents à la Dormition forme parfois une bordure extérieure autour de la mandorle du Christ. Sur notre icône, les vertus célestes qui accompagnent le Christ sont signalées par un séraphin à six ailes. Trois évêques nimbés se tiennent derrière les Apôtres. Ce sont S. Jacques, « le frère du Seigneur », premier évêque de Jérusalem, et deux disciples des Apôtres : Hiérothée et Denys l’Aréopagite, venus avec S. Paul (kondakion, ton 2 ; voir le passage des Noms divins du Pseudo-Denys sur la Dormition : III, 2 PG, 3, 681). Au dernier plan, deux groupes de femmes représentent les fidèles de Jérusalem qui, avec les 633 évêques et les Apôtres, forment le cercle intérieur de l’Église où s’accomplit le mystère de la Dormition de la Mère de Dieu.

L’épisode d’Athonius, un Juif fanatique qui eut les deux mains coupées par le glaive angélique, pour avoir osé toucher à la couche funèbre de la Mère de Dieu, figure sur la plupart des icônes de la Dormition. La présence de ce détail apocryphe dans la liturgie (tropaire de l’ode 3) et l’iconographie de la fête doit rappeler que la fin de la vie terrestre de la Mère de Dieu est un mystère intime de l’Église qui ne doit pas être exposé à la profanation : inaccessible aux regards de ceux de l’extérieur, la gloire de la Dormition de Marie ne peut être contemplée que dans la lumière intérieure de la Tradition.

Article paru dans Le Messager de l’Exarcat du Patriarcat russe en Europe occidentale, n° 27, juillet-septembre 1957.

N.B.L'icône reproduite ci-dessus n'est pas exactement celle que décrit Vladimir Lossky mais en est très proche.

3 commentaires:

  1. la sainte mére de dieu ,l incarnation de la sophia sur terre.paix et amour en christ.

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    1. Ah ! la Sophia ! Mon très cher père et frère Robert Amadou devait écrire, et avait commencé à écrire là-dessus un volume qui hélas est resté inachevé...
      La Sophia est un grand mystère. Pour certains Pères de l'Eglise, c'est le Fils ; pour d'autres (saint Irénée) c'est le Saint-Esprit ; pour le père Boulgakov, c'était l'activité mystérieuse pré laquelle la création coopérait à sa propres création, car il y a une Sophia créée et une Sophia incréée; pour beaucoup de théologiens catholiques, c'est, comme tu le dit, Marie la toute sainte qui l'a incarnée sur terre (conception qui est assez analogue à celle de Boulgakov).
      Bref, il faut la vénérer.
      Mais il faut vénérer glorieusement la Toute Sainte car, sans son "fiat", l'Incarnation n'aurait pas été possible...
      Merci et paix à toi, mon frère.

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