mardi 22 octobre 2013

L'art des castrats (2) : Caffarelli par Franco Fagioli



Le 9 septembre dernier Le Figaro publiait, sous le titre un peu raccrocheur mais exact quant au fond "Farinelli-Caffarelli : le duel des castrats", un article consacré à la double parution le même jour du disque de Philippe Jarousski que j'ai commenté le 17 septembre et de celui de Franco Fagioli que je présente aujourd'hui.
"Duel des castrats". Le journaliste ajoutait ceci :  "Les contre-ténors Philippe Jaroussky  et Franco Fagioli font renaître la rivalité qui opposait,  au XVIIIe siècle, les deux vedettes de l'opéra." Parmi un grands nombre de castrats à la mode (c'est au XVIIIe siècle que les castrats s'évadent de la chapelle Sixtine pour se produire sur les scènes des opéras et dans les cours royales), Farinelli et Caffarelli furent sans doute les plus réputés et les plus appréciés (et les mieux payés).
Duel ? Pas vraiment. Les deux hommes étaient aux antipodes l'un de l'autre. Ils avaient eu l'un et l'autre le même professeur, Porpora, et tous ceux étaient...castrés. Là s'arrête la similitude. Caffarelli était, lâchons le mot, une vraie peste. Vaniteux, envieux, coléreux, capricieux, égoïste... il rendait la vie impossible aux autres artistes qui se produisaient avec lui et, bien sûr, aux directeurs de théâtre qui devaient tant bien que mal gérer ses foucades imprévisibles. On a dit de lui qu'il était la "rock star" de son époque. Il était de plus très amateur de femmes, et particulièrement de femmes mariées (car contrairement à l'opinion commune la castration ne rend pas impuissant).
Bref, il était le contraire de Farinelli, ayant autant de défauts que ce dernier avait de qualités (voir mon billet du 17 septembre).
Un mot maintenant de Franco Fagioli, dont c'est le premier disque de récital. Un peu plus jeune que Philippe Jaroussky (32 ans contre 35 ans),ce contre-ténor argentin a été révélé en 2012 par le superbe opéra de Leonardo Vinci "Artaserse" (1730) dont les rôles masculins comme féminins, tous tenus par des hommes (comme au XVIIIe siècle en Italie), ne groupaient pas moins de 5 contre-ténors : les inévitables et admirables Philippe Jaroussky et Max-Emmanuel Cencic dans les rôles titres, auxquels s'ajoutaient Franco Fagioli, Valer Barna-Sabadus et Yuriy Mynenko, ainsi que, autre rôle titre, le ténor Daniel Behle. Au passage, je recommande vivement ce disque très excitant réalisé par Diego Fasolis à la tête du Concerto Köln et du chœur de la radiotélévision suisse de Lugano.
Franco Fagioli a ensuite participé à un enregistrement d’œuvres religieuses d'Agostino Steffani (1654-1728) réalisé par le même Diego Fasolis à la tête de son orchestre I Barocchisti et du même chœur de Lugano et paru au début de l'année - avec la participation de bien du beau monde : Cecilia Bartoli, Nuria Rial (admirable soprano), Daniel Behle, Julian Prégardien...entre autres. On y trouve en particulier des duos entre Cecilia Bartoli et Franco Fagioli où on dirait que ce dernier est l'écho de la diva jusque dans ses tics (le léger trémolo...). Bref, c'est très bien. Et les œuvres de ce prêtre compositeur contemporain de Vivaldi, très apprécié à son époque et complètement oublié de nos jours, sont admirables - et admirablement interprétées. Découvrez-les, vous ne le regretterez pas.
Venons-en au présent disque. J'ai lu à son sujet des commentaires enthousiastes. Je l'ai donc écouté à plusieurs reprises pour conforter mon opinion. Eh bien, je dois avouer que je me suis ennuyé à chaque fois ! Oh, bien sûr, Fagioli a une très belle technique, il réussit parfaitement les vocalises. L'ennui, c'est qu'il chante tout en force ; même ses acrobaties vocales sont "musclées". A plusieurs reprises il rivalise dans ses duos avec une trompette : eh bien sa voix est aussi éclatante, je dirai explosive, qu'elle.
Ce qui n'arrange rien, c'est que l'orchestre "Il pomo d'oro" dirigé par Riccardo Minasi joue lui aussi en force.Ce doit être un parti pris car, dans l'enregistrement de Max-Emmanuel Cencic initulé "Venezia" (2013 aussi),  le même chef et le même orchestre jouent d'une façon beaucoup plus nuancée.
Je sais bien que les castrats, du fait de leur conformation physique particulière, avaient une grande puissance vocale. Mais à ce point, et tout le temps, c'est fatigant !
Au surplus, je dois l'avouer, je n'aime pas cette voix...Jaroussky a une voix cristalline de soprano coloratura (bien qu'il puisse descendre assez bas lorsqu'il passe de sa voix de tête à sa voix de poitrine qui est celle d'un baryton). Cencic a une voix de mezzo-soprano, plus charnue, mais capable elle aussi de belles envolées aiguës. Celle de Fagioli est d'un contralto, beaucoup plus grave, ce qui n'est pas en soi un défaut ; mais elle est à mon goût trop épaisse, comme mal dégrossie. Cencic est capable de chanter aussi fort et de descendre aussi bas, mais c'est toujours très raffiné.
Bref, une déception. Ce que je regrette fort. J'aime bien faire des découvertes qui me plaisent, j'aime bien admirer. Ici, ce n'est pas le cas. dommage !
P.S. Le livre-disque est somptueux :  76 pages de texte assorti de nombreuses reproductions en couleurs.

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