A propos de la Profession
Il est des sujets qui reviennent périodiquement, ici, là ou ailleurs. Ils sembleraient devoir être épuisés tant on a apporté de précisions, tant fait de mises au point, tant dénoncé d'erreurs. Rien n'y fait. Et toujours reviennent les idées fausses, les imputations mensongères, les contre-vérités flagrantes. Sans parler des comportements aberrants. Ainsi, un Grand Prieuré rectifié que par charité je ne nommerai pas, a purement et simplement interdit en son sein la Profession et le Grande Profession, ce qui n'est autre chose qu’une trahison envers Willermoz dont c'était le chef-d'oeuvre auquel il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Ainsi encore, une obédience maçonnique que je ne nommerai pas davantage a créé une multitude de collèges de Grands Profès auxquels elle a remis la direction de l'ensemble de cette même obédience, en violation des statuts élaborés avec soin par Willermoz de manière à traduire précisément et expressément sa pensée : autre trahison. D'autres enfin, jaloux de défendre la doctrine chrétienne contre les atteintes supposées que Willermoz lui aurait portées, ou jettent l'anathème sur les enseignements qu'il propose dans les Instructions, ou s'emploient à les corriger, on n'ose pas dire à les rectifier.
Il se révèle donc nécessaire de remettre une fois encore les choses au clair. Et à qui mieux s'adresser qu'à l'auteur lui-même, Jean-Baptiste Willermoz ? C'est ce que j'avais fait dans le tome 2 de mon ouvrage La franc-maçonnerie à la lumière du Verbe, en publiant des extraits significatifs d'une lettre de Willermoz (Annexe E, pages 232 à 235). Je les reprends ici, en omettant mon introduction.
J'ai mis en gras les passages sur lesquels il m'a paru bon d'attirer l'attention.
On remarquera, j'espère, outre le talent pédagogique hors du commun et bien connu de Willermoz, la subtilité presque casuistique de ses distinctions. Hormis quoi, la conclusion est nette et sans appel : la (Grande) Profession est, par ses Instructions, un instrument de la foi chrétienne.
Rien de gnostique là-dedans, si ce n'est la vraie gnose au sens de saint Clément d'Alexandrie et de saint Irénée de Lyon.
[…]
La septième et dernière classe qui complète le Régime Rectifié et doit
rester ignorée des six précédentes jusqu'à ce qu'on y appelle
individuellement chacun de ceux qui sont jugés propres à y entrer, est une
initiation particulière qui consiste en diverses instructions écrites dans lesquelles
on développe les principes et les bases fondamentales de l'Ordre, et dans
lesquelles on explique les emblèmes, symboles et cérémonies de la maçonnerie
symbolique ; mais cette initiation toute lumineuse qu'elle est, reste
imparfaite, insuffisante, peut même occasionner des erreurs par les fausses
interprétations auxquelles on se livre trop souvent, si elle n'est pas
accompagnée d'autres instructions explicatives qui, n'étant point écrites, ne
se donnent que verbalement par ceux qui, par de longs travaux et méditations
sont parvenus en état de les distribuer à chacun convenablement, selon ses
besoins, son aptitude et dans la juste mesure qui lui est nécessaire. Elles ont
été transmises de temps immémorial par une tradition orale qui a traversé les
siècles et appuyées sur de bons témoignages. Voilà pourquoi on doit laisser
ignorer cette classe et en fermer l'entrée à ceux en qui on ne découvre pas
l'aptitude nécessaire pour en bien profiter ; ainsi qu'à ceux qui, trop
pressés par leurs affaires personnelles ou par des soucis temporels, ne peuvent
pas y apporter la liberté d'esprit qu'elle exige, ni accorder le temps
nécessaire pour la connaître dans la plénitude : et vous devez sentir
que ce temps ne peut pas être court. Vous devez sentir aussi que, parmi ceux qui
la reçoivent d'une manière suffisante à leur instruction personnelle, il y en a
bien peu qui deviennent en état de la vouloir distribuer aux autres comme il
faut, car c'est l'effet d'une disposition et d'une vocation particulière ;
voilà pourquoi le dépôt de ces instructions est rarement confié dans des lieux
où il ne se trouve pas des hommes assez forts pour les expliquer et les faire
valoir. De
plus cette initiation ne peut pas convenir également à tous les chevaliers,
quoique tous y ayant un droit égal si les dispositions personnelles de chacun
sont égales. Elle est inutile et très inutile à un grand nombre. Elle a
des dangers pour quelques-uns. Elle est utile à beaucoup, et pour
quelques autres elle est nécessaire et très nécessaire. Je reprends ces quatre
distinctions qu'il importe que vous saisissiez bien. 1°)
Elle est inutile à la multitude de ces hommes bons, simples,
privilégiés, dont toute la science est dans leur cœur, qui ont le bonheur de
croire religieusement et sans examen tout ce qu'il est nécessaire qu'ils
croient pour leur tranquillité et leur bonheur présent et futur, et de le
croire de cette foi implicite que l'on nomme vulgairement la foi du charbonnier ; pour ceux-là la
profession de foi des chevaliers suffit absolument. Ce serait sans aucun
profit pour eux qu'on leur présenterait d'autres objets qui ne pourraient que fatiguer
ou exalter leur imagination et troubler leur jouissance actuelle, d'autant
plus que pour l'ordinaire, l'intelligence de ceux-là n'est ni bien active, ni
bien pénétrante. 2°)
Elle peut avoir des dangers pour ceux qui, soit par l'effet de leur
éducation religieuse, ou par leur disposition naturelle, se sont fait un devoir
d'étouffer leur propre raison pour adopter aveuglement toutes les prétentions,
opinions et décisions ultramontaines, et par conséquent l'esprit d'intolérance
qui les a toujours accompagnées au grand préjudice de la religion, qui a tant
souffert et qui souffre encore tant de ces fatales entreprises suggérées par
l'esprit d'orgueil, d'ambition, de domination et du plus sordide intérêt. Pour
ceux qui veulent exiger pour des décisions humaines, souvent intéressées,
variables et de simple discipline momentanée, le même degré de foi absolue
qui est due essentiellement aux dogmes fondamentaux de la religion établis par
Jésus-Christ et ses apôtres, constamment professés, soutenus et confirmés
par l'Eglise universelle dans ses conciles généraux. Pour ceux qui, prenant
textuellement et à la lettre tous les mots et expressions qui sont employés
dans la Genèse et
plusieurs autres Livres saints, sans chercher à pénétrer jusqu'à l'esprit qui
est voilé sous la lettre, sont toujours prêts à se scandaliser de toute
interprétation ou explication qui ne s'accorderait pas parfaitement avec le
sens particulier qu'ils y attachent. Ce serait les exposer sans fruit à un
travail aussi ingrat qu'il leur serait pénible, d'autant plus que, quand ces
idées se sont une fois assises dans l'intelligence humaine, elles en sortent
rarement et je crains fort qu'il y en ait plus d'un de cette classe parmi vos
frères chevaliers. 3°) Elle est bien utile au grand nombre de
ceux qui croient, mais faiblement, les vérités fondamentales de la religion
chrétienne, qui sentent un besoin intérieur de croire plus fermement, mais qu'à
défaut de connaître la vraie nature originelle de l'homme, sa destination
primitive dans l'univers créé, le genre de sa prévarication, sa chute, sa
dégradation et les terribles effets qu'elle a produits dans la nature, ne
trouvent point en eux ni hors d'eux d'appuis assez solides pour fixer
invariablement leur croyance, désirent plus de croire qu'ils ne croient en
effet, et voient écouter [sic pour écouler ?] leur vie dans le
trouble et les anxiétés d'une pénible incertitude. Pour ceux-là, il faut en
convenir, elle est d'un grand secours, puisqu'elle leur rend le calme et la foi
qu'ils désirent. 4°) Enfin l'initiation est non seulement utile,
mais très nécessaire à cette classe d'hommes de bonne foi, bien plus
nombreuse qu'on ne pense, qui croient fermement à l'existence d'un Dieu
créateur de toute chose, bon, juste, qui punit et récompense ; mais qui, à
défaut d'avoir des connaissances suffisantes sur les points de doctrine
primitive déjà cités dans l'article précédent, ont peine à concevoir la
divinité de Jésus-Christ et encore plus la nécessité de la rédemption par
l'incarnation d'un Dieu fait homme. A ces hommes méditatifs pour qui les
démonstrations théologiques les plus usitées, présentées ordinairement comme
des preuves irrésistibles, mais qui sont si souvent combattues, ne sont pas des
preuves suffisantes ; pour qui enfin tous les lieux communs qui
retentissent habituellement dans les chaires sont insuffisants pour leur
conviction. Oui, c'est à ceux-là qu'elle est très nécessaire, et auxquels elle
doit être spécialement destinée. Je ne puis en douter, ayant été souvent témoin
de ses heureux résultats, car ces hommes de bonne foi, une fois convaincus et
repliés sur eux-mêmes par la force des conséquences immédiates des points de
doctrine qui leur étaient présentés, ont fait éclater leur changement par des
larmes d'amour et de reconnaissance envers Celui qu'ils avaient eu jusque-là le
malheur de méconnaître, et sont devenus dès lors jusques à leur fin des
colonnes inébranlables de la Foi chrétienne.
Voilà
pourquoi l'Ordre exige pour les hauts-grades une croyance absolue en l'Unité de
Dieu, l'immortalité de l'âme humaine, et l'exige moins absolue pour la personne
divine de Jésus-Christ, et on voit que, même dans la Profession de foi des
chevaliers comme dans plusieurs autres actes relatifs, il se montre plus indulgent
à cet égard et se contente presque d'une bonne et ferme volonté de croire aux
vérités qui lui sont montrées nécessaires. C’est parce qu'il sait qu'il a des
moyens particuliers d'amener à cette croyance et de convaincre de cette
importante vérité les hommes de bonne foi. Voilà pourquoi aussi il exige de
tous ses membres une tolérance universelle dont il fait un principe et un
devoir absolu à tous ; et en cela il imite l'exemple de celui qui a dit :
Je ne suis pas venu dans ce monde pour les hommes qui se portent bien, mais j'y
suis venu pour soulager et guérir ceux qui sont malades. Et comme Jésus-Christ
au milieu de cette foule de malades ne rejeta hors de lui ni les ignorants, ni
les savants, ni les pharisiens, ni les publicains, et les accueillit tous avec
la même bonté, faut-il s'étonner que l'Ordre à son exemple accueille dans son
sein avec la même charité tous les chrétiens bien disposés, quoique divisés d'opinions et formant des sectes
différentes sur des points de doctrine plus ou moins importants. Après les
avoir amenés par l'Instruction à la croyance religieuse fondamentale et
nécessaire, il laisse à la grâce divine le soin d'opérer en eux les
changements intérieurs ou extérieurs qu'elle juge nécessaire au dessein de sa
providence. L'Ordre s'interdit de juger et encore plus de condamner aucun
de ceux qui restent fermement attachés aux vrais principes et abandonne le
jugement à Celui qui peut seul juger dans la vérité les pensées et les
intentions des hommes. Vous
voyez par cet exposé, mon Bien Aimé Frère, que l'initiation est spécialement
réservée aux frères malades c'est-à-dire à ceux qui sentent vivement les
souffrances et la cause de leur maladie et désirent sincèrement en guérir. Elle
est inutile aux autres et ne ferait le plus souvent qu'un nouvel aliment à
l'orgueil, à la vanité et à la curiosité humaine. Vous voyez donc aussi combien
ce choix est délicat et combiens il exige, avec ceux que l'on ne connaît pas,
de temps et de précaution pour le bien faire. […]
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