Contre l’Homophobie et toutes les autres Phobies
Les phobies dont il
va être question ne sont pas ces peurs innocentes que sont la phobie des
araignées ou celles des guêpes, des moustiques, des serpents… Il s’agit des
phobies qui portent sur des hommes[1] ou des
groupes d’hommes à cause de leurs
caractéristiques
propres. Ce sont, et l’énumération n’est pas limitative, l’homophobie – dont il
est présentement beaucoup question – mais aussi l’hétérophobie[2], la christianophobie,
la judéophobie[3],
l’islamophobie, la germanophobie, l’anglophobie, l’américanophobie,
généralement parlant la xénophobie… ; et j’oserai ajouter (je me risque)
la « lepenophobie », etc.
Pourquoi me refusé-je
à traiter à part l’homophobie ? Parce que toutes ces phobies sont une même
et unique réaction passionnelle et irrationnelle, quel que soit l’objet auquel
elles s’appliquent. Lui faire un sort particulier serait l’enfermer dans un ghetto
conceptuel, ce qui est précisément ce contre quoi les homosexuels s’insurgent.
Analysons un peu.
C’est un même
sentiment qui s’applique à des objets très variés : appartenance sexuelle,
appartenance religieuse, appartenance nationale, appartenance politique…et, d’une
façon générale, à l’altérité : à celui qui est autre, qui est différent.
On peut dire que la xénophobie est le fond commun de toutes ces phobies. A
noter, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, que la xénophobie, tradition
ancestrale, coexiste avec une autre tradition ancestrale, l’hospitalité envers
l’étranger de passage ; mais mieux vaudrait dire « coexistait »
car cette tradition hospitalière est en voie de disparition accélérée.
Phobie vient du grec phobos qui signifie « crainte »,
« frayeur », « effroi », « épouvante », d’où « fuite (par
peur) » ; il existait même dans la Grèce antique un dieu Phobos, dieu
de l’épouvante, dieu de la terreur (cf. l’Iliade, Eschyle, Plutarque). En bref,
les deux sensations dominantes sont l’épouvante, et la fuite à cause de cette
épouvante. Ce qui a été ajouté au cours des âges, et qui n’est que le
développement de ce qui précède, c’est le côté maladif de cette crainte : le
dictionnaire philosophique de Lalande[4] définit
ainsi la phobie : « Crainte morbide d’une certaine sorte d’objets ou
d’actes » ; et le Larousse universel[5] : « Peur
irraisonnée, obsédante et angoissante, que certains malades éprouvent dans des
circonstances déterminées » - définition à la fois plus précise et plus
englobante. Nous disposons ainsi de tous les éléments nécessaires à notre réflexion.
La phobie est une
maladie. La réflexion n’y entre pour rien. Ou, si elle y entre, c’est pour
justifier a posteriori cette passion (au
sens précis du terme), passion de l’âme qui peut envahir le cœur et obscurcir
le cerveau. Car une chose est flagrante, ces justifications prétendues sont
complètement dépourvues de rationalité.
Cette passion qui
fait déraisonner même lorsqu’on croit raisonner se traduit ainsi par une peur
qui tient aux racines de l’être, peur panique (ici encore au sens précis du
terme), qui produit un réflexe de fuite lui aussi panique ; à moins que,
par une inversion fréquente et bien connue en psychologie, ce réflexe se mue en
son contraire, une agressivité folle. Les deux, fuite et agressivité, sont les
deux faces d’un même comportement : le refus, la répulsion.
Pourquoi cette peur,
pourquoi cette répulsion, pourquoi cette passion sinon incontrôlable (aucune
passion ne l’est) du moins incontrôlée ? Un jeune et brillant internaute,
écrivant récemment (10 juillet) sur l’homophobie, a mis en avant « le
dégoût de voir deux personnes du même sexe s’aimer ». Sans doute y a-t-il
du dégoût, mais ce n’est sûrement pas le moteur premier, ce serait plutôt une
conséquence. Le moteur premier, c’est la peur de l’autre, du différent, et
cette peur est amplifiée lorsque cette altérité se dissimule sous une similitude apparente. Un homme ressemble
par nature à un autre homme, même s’il
y des différences physiques aussi minimes que la couleur de la peau, la contexture
des cheveux, la forme de la tête, etc. Mais quand ces différences portent sur
des valeurs considérées comme vitales, telles les croyances ou la sexualité,
alors on a instinctivement la sensation d’être dupé – et alors, dans quel but ?
sinon dans un but néfaste. D’où la peur et la haine.
Soyons plus
explicite. Rien ne ressemble plus à un hétérosexuel qu’un homosexuel –hormis le
cas des gays qui s’affichent par provocation, des drag queens et autres « grandes folles ». Or si je
découvre, par exemple, que mon meilleur ami est gay, c’est tout mon univers « normal »
qui bascule et j’éprouve un double sentiment de trahison, par rapport à moi, à
mes relations amicales qui risquent d’être faussées, et par rapport à la « normalité ».
Il ne faut pas sous-estimer le poids social et psychologique de la normalité.
Ainsi, pour sortir du domaine de la sexualité, qu’est-ce que la normalité en
pays d’Islam, Dar es-Islam ? Eh
bien, c’est tout simplement l’Islam et son application sociale, la charia. Les non-musulmans, en d’autres
termes les « insoumis » (muslim
signifiant « soumis ») sont des anormaux. Et quel doit être leur
sort ? d’être éliminés.
Tout corps social
bâti autour d’une normalité forte tend irréversiblement à l’élimination plus ou
moins radicale de ceux qui ne se plient pas à cette normalité. A noter que je n’ai
pas dit « tout corps social majoritaire ». Il est des minorités
fortes et dures qui, face à des majorités faibles et molles, tendent à les
dissoudre et y parviennent souvent : ce sont les « minorités
agissantes » chères à Lénine. Tel fut le cas des communautés chrétiennes
dans l’Empire romain décadent, tel est le cas des communautés islamiques dans
les cultures occidentales décadentes.
Ce schéma explicatif ne s’applique pas seulement au
fait religieux, il s’applique à tous les faits que j’ai énoncés plus haut. La
tolérance, cet avatar affadi de la vertu chrétienne de l’amour du prochain, n’est
ni innée ni spontanée. Elle résulte d’un effort raisonné et appliqué. Ce qui
est inné et spontané, c’est l’intolérance, qui est un autre terme pour désigner
le refus haineux de l’altérité décrit plus haut. En notre temps, où la
spontanéité a pris le pas sur le contrôle exercé sur soi-même en vertu de valeurs
qui transcendent l’individu, où l’individualisme est la seule règle, règle anarchique
d’ailleurs puisque par définition elle ne régit rien et laisse les
individualismes se heurter les uns les autres, et c’est le plus fort qui gagne –
et comme je l’ai dit plus haut, le plus fort n’est pas forcément le plus
nombreux – le respect d’autrui est le grand perdant. Il perd à tout coup.
Or le respect d’autrui
dans son identité, de l’autre tel qu’il est et non pas tel que je voudrais qu’il
soit, c’est lui l’obstacle majeur à toutes les phobies que j’ai énumérées. Mais
cet obstacle a quasiment disparu, non seulement dans l’esprit du plus grand
nombre, mais encore, et cela est très grave, dans l’esprit et dans la conduite
des gouvernants. Ils ne respectent pas le peuple dont ils sont censés être
issus, et le peuple, qui le voit bien, ne les respecte pas non plus. C’est de
cette façon qu’une société se décompose. Nous y sommes !
Je lisais tout
récemment des posts sur les réseaux sociaux, où l’on affirmait tout uniment que
Louis XIV était un horrible despote. Louis XIV n’était certes pas un tendre
dans sa façon de gouverner, quoiqu’il eût une grande sensibilité et même de l’émotivité
dans ses rapports privés. Mais un point qui fait l’unanimité chez tous ceux qui
l’ont approché, même chez un ennemi féroce comme le duc de Saint-Simon, c’est
son absolu respect et même son exquise courtoisie envers toutes les personnes
sans exception, y compris les plus humbles. Et, bien entendu, chacun, à la
cour, s’efforçait de l’imiter. C’est cela qui fait qu’une société est
civilisée. Et j’ajouterai sans crainte d’être contredit que le général de
Gaulle avait exactement les mêmes manières.
Tout cela est loin derrière nous. Nous progressons chaque jour un peu plus dans la destruction de la civilisation. La floraison de l’homophobie et de toutes les autres, c’est l’annonce des nouveaux temps barbares.
Tout cela est loin derrière nous. Nous progressons chaque jour un peu plus dans la destruction de la civilisation. La floraison de l’homophobie et de toutes les autres, c’est l’annonce des nouveaux temps barbares.
14 juillet 2013
[1]
Que j’entends au sens classique d’« êtres humains ».
[2]
J’aimerais faire remarquer que ces deux termes sont de construction très
fautive et signifient le contraire de ce qu’ils devraient signifier : l’homophobie devrait désigner l’hostilité
à ce qui est semblable (à soi) et l’hétérophobie l’hostilité à ce qui est différent. Or c’est tout le contraire.
Mais, comme disait à peu près le grand Vaugelas, l’usage est roi.
[3]
Terme bien préférable à celui d’antisémitisme,
car on oublie que les Arabes sont des Sémites tout autant que les Juifs.
[4] André
Lalande, Vocabulaire technique et
critique de la philosophie Paris, Presses universitaires de France , 13e
édition, 1980, p. 777.
[5] Nouveau Larousse illustré, Dictionnaire
universel encyclopédique, Paris s.d.[1905] tome VI, p.104
Très bonne analyse !!!! J'adhère en tous points !!!
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