dimanche 14 juillet 2013

Contre l’Homophobie et toutes les autres Phobies

Contre l’Homophobie et toutes les autres Phobies

Les phobies dont il va être question ne sont pas ces peurs innocentes que sont la phobie des araignées ou celles des guêpes, des moustiques, des serpents… Il s’agit des phobies qui portent sur des hommes[1] ou des groupes d’hommes à cause de leurs
caractéristiques propres. Ce sont, et l’énumération n’est pas limitative, l’homophobie – dont il est présentement beaucoup question – mais aussi l’hétérophobie[2], la christianophobie, la judéophobie[3], l’islamophobie, la germanophobie, l’anglophobie, l’américanophobie, généralement parlant la xénophobie… ; et j’oserai ajouter (je me risque) la « lepenophobie », etc.

Pourquoi me refusé-je à traiter à part l’homophobie ? Parce que toutes ces phobies sont une même et unique réaction passionnelle et irrationnelle, quel que soit l’objet auquel elles s’appliquent. Lui faire un sort particulier serait l’enfermer dans un ghetto conceptuel, ce qui est précisément ce contre quoi les homosexuels s’insurgent. Analysons un peu.

C’est un même sentiment qui s’applique à des objets très variés : appartenance sexuelle, appartenance religieuse, appartenance nationale, appartenance politique…et, d’une façon générale, à l’altérité : à celui qui est autre, qui est différent. On peut dire que la xénophobie est le fond commun de toutes ces phobies. A noter, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, que la xénophobie, tradition ancestrale, coexiste avec une autre tradition ancestrale, l’hospitalité envers l’étranger de passage ; mais mieux vaudrait dire « coexistait » car cette tradition hospitalière est en voie de disparition accélérée.

Phobie vient du grec phobos qui signifie « crainte », « frayeur », « effroi », « épouvante », d’où « fuite (par peur) » ; il existait même dans la Grèce antique un dieu Phobos, dieu de l’épouvante, dieu de la terreur (cf. l’Iliade, Eschyle, Plutarque). En bref, les deux sensations dominantes sont l’épouvante, et la fuite à cause de cette épouvante. Ce qui a été ajouté au cours des âges, et qui n’est que le développement de ce qui précède, c’est le côté maladif de cette crainte : le dictionnaire philosophique de Lalande[4] définit ainsi la phobie : « Crainte morbide d’une certaine sorte d’objets ou d’actes » ; et le Larousse universel[5] : « Peur irraisonnée, obsédante et angoissante, que certains malades éprouvent dans des circonstances déterminées » - définition à la fois plus précise et plus englobante. Nous disposons ainsi de tous les éléments nécessaires à notre réflexion.

La phobie est une maladie. La réflexion n’y entre pour rien. Ou, si elle y entre, c’est pour justifier a posteriori cette passion (au sens précis du terme), passion de l’âme qui peut envahir le cœur et obscurcir le cerveau. Car une chose est flagrante, ces justifications prétendues sont complètement dépourvues de rationalité.

Cette passion qui fait déraisonner même lorsqu’on croit raisonner se traduit ainsi par une peur qui tient aux racines de l’être, peur panique (ici encore au sens précis du terme), qui produit un réflexe de fuite lui aussi panique ; à moins que, par une inversion fréquente et bien connue en psychologie, ce réflexe se mue en son contraire, une agressivité folle. Les deux, fuite et agressivité, sont les deux faces d’un même comportement : le refus, la répulsion.

Pourquoi cette peur, pourquoi cette répulsion, pourquoi cette passion sinon incontrôlable (aucune passion ne l’est) du moins incontrôlée ? Un jeune et brillant internaute, écrivant récemment (10 juillet) sur l’homophobie, a mis en avant « le dégoût de voir deux personnes du même sexe s’aimer ». Sans doute y a-t-il du dégoût, mais ce n’est sûrement pas le moteur premier, ce serait plutôt une conséquence. Le moteur premier, c’est la peur de l’autre, du différent, et cette peur est amplifiée lorsque cette altérité se dissimule sous une similitude apparente. Un homme ressemble par nature à un autre homme, même s’il y des différences physiques aussi minimes que la couleur de la peau, la contexture des cheveux, la forme de la tête, etc. Mais quand ces différences portent sur des valeurs considérées comme vitales, telles les croyances ou la sexualité, alors on a instinctivement la sensation d’être dupé – et alors, dans quel but ? sinon dans un but néfaste. D’où la peur et la haine.

Soyons plus explicite. Rien ne ressemble plus à un hétérosexuel qu’un homosexuel –hormis le cas des gays qui s’affichent par provocation, des drag queens et autres « grandes folles ». Or si je découvre, par exemple, que mon meilleur ami est gay, c’est tout mon univers « normal » qui bascule et j’éprouve un double sentiment de trahison, par rapport à moi, à mes relations amicales qui risquent d’être faussées, et par rapport à la « normalité ». Il ne faut pas sous-estimer le poids social et psychologique de la normalité. Ainsi, pour sortir du domaine de la sexualité, qu’est-ce que la normalité en pays d’Islam, Dar es-Islam ? Eh bien, c’est tout simplement l’Islam et son application sociale, la charia. Les non-musulmans, en d’autres termes les « insoumis » (muslim signifiant « soumis ») sont des anormaux. Et quel doit être leur sort ? d’être éliminés.

Tout corps social bâti autour d’une normalité forte tend irréversiblement à l’élimination plus ou moins radicale de ceux qui ne se plient pas à cette normalité. A noter que je n’ai pas dit « tout corps social majoritaire ». Il est des minorités fortes et dures qui, face à des majorités faibles et molles, tendent à les dissoudre et y parviennent souvent : ce sont les « minorités agissantes » chères à Lénine. Tel fut le cas des communautés chrétiennes dans l’Empire romain décadent, tel est le cas des communautés islamiques dans les cultures occidentales décadentes.

Ce schéma  explicatif ne s’applique pas seulement au fait religieux, il s’applique à tous les faits que j’ai énoncés plus haut. La tolérance, cet avatar affadi de la vertu chrétienne de l’amour du prochain, n’est ni innée ni spontanée. Elle résulte d’un effort raisonné et appliqué. Ce qui est inné et spontané, c’est l’intolérance, qui est un autre terme pour désigner le refus haineux de l’altérité décrit plus haut. En notre temps, où la spontanéité a pris le pas sur le contrôle exercé sur soi-même en vertu de valeurs qui transcendent l’individu, où l’individualisme est la seule règle, règle anarchique d’ailleurs puisque par définition elle ne régit rien et laisse les individualismes se heurter les uns les autres, et c’est le plus fort qui gagne – et comme je l’ai dit plus haut, le plus fort n’est pas forcément le plus nombreux – le respect d’autrui est le grand perdant. Il perd à tout coup.

Or le respect d’autrui dans son identité, de l’autre tel qu’il est et non pas tel que je voudrais qu’il soit, c’est lui l’obstacle majeur à toutes les phobies que j’ai énumérées. Mais cet obstacle a quasiment disparu, non seulement dans l’esprit du plus grand nombre, mais encore, et cela est très grave, dans l’esprit et dans la conduite des gouvernants. Ils ne respectent pas le peuple dont ils sont censés être issus, et le peuple, qui le voit bien, ne les respecte pas non plus. C’est de cette façon qu’une société se décompose. Nous y sommes !

Je lisais tout récemment des posts sur les réseaux sociaux, où l’on affirmait tout uniment que Louis XIV était un horrible despote. Louis XIV n’était certes pas un tendre dans sa façon de gouverner, quoiqu’il eût une grande sensibilité et même de l’émotivité dans ses rapports privés. Mais un point qui fait l’unanimité chez tous ceux qui l’ont approché, même chez un ennemi féroce comme le duc de Saint-Simon, c’est son absolu respect et même son exquise courtoisie envers toutes les personnes sans exception, y compris les plus humbles. Et, bien entendu, chacun, à la cour, s’efforçait de l’imiter. C’est cela qui fait qu’une société est civilisée. Et j’ajouterai sans crainte d’être contredit que le général de Gaulle avait exactement les mêmes manières.

Tout cela est loin derrière nous. Nous progressons chaque  jour un peu plus dans la destruction de la civilisation. La floraison de l’homophobie et de toutes les autres, c’est l’annonce des nouveaux temps barbares.

14 juillet 2013




[1] Que j’entends au sens classique d’« êtres humains ».
[2] J’aimerais faire remarquer que ces deux termes sont de construction très fautive et signifient le contraire de ce qu’ils devraient signifier : l’homophobie devrait désigner l’hostilité à ce qui est semblable (à soi) et l’hétérophobie l’hostilité à ce qui est différent. Or c’est tout le contraire. Mais, comme disait à peu près le grand Vaugelas, l’usage est roi.
[3] Terme bien préférable à celui d’antisémitisme, car on oublie que les Arabes sont des Sémites tout autant que les Juifs.
[4] André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie Paris, Presses universitaires de France , 13e édition, 1980, p. 777.
[5]  Nouveau Larousse illustré, Dictionnaire universel encyclopédique, Paris s.d.[1905] tome VI, p.104

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