mardi 14 février 2012

Constantinople et l'Europe



Allocution du patriarche Bartholomée Ier
au dîner-débat de l'Institut français des relations internationales
le 12 février 2012
(extraits)
[…]
Après deux guerres mondiales, l’Europe, elle-même victime de son propre dynamisme, a cherché à se dépasser et à se réinventer à travers le processus de la construction européenne. Avec la fin de la guerre froide, la réussite de ce projet est devenue indéniable. Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas.

Devant les nouvelles crises d’aujourd’hui, l’Europe est à nouveau appelée à faire preuve de courage moral et intellectuel.

On peut certes espérer que les problèmes internes à l’Europe qui ont conduit aux deux grandes guerres sont largement dépassés. Pourtant, des nouvelles difficultés apparaissent avec le changement de l’environnement géopolitique, géoéconomique et géoculturel. Les analyses des spécialistes des relations internationales, vos analyses, montrent que nous nous orientons vers des réalités inédites. Unifié économiquement, organisé autour de plusieurs pôles et géré par une communauté internationale qui cherche ses valeurs et ses modes d’action, le nouveau siècle s’éloigne de l’image simple d’un ensemble d’États souverains à laquelle nous nous étions habitués.

C’est dans ce contexte d’instabilité et de fluidité que l’Europe est invitée à découvrir une nouvelle voie qui lui permettra de faire face aux défis contradictoires de l’inégalité générationnelle et de l’inégalité géographique, sans succomber aux tentations de l’exclusion et de l’hégémonisme, sans rechuter dans des cycles de conflits et de violence.

La question des valeurs de la civilisation européenne ne peut plus être éludée. Le moment est venu pour repenser l’histoire européenne. Il faudrait peut-être revenir sur la bifurcation que nous avons considérée au début comme son point de départ. En définissant comme origine de l’Europe la rencontre entre Athènes, Jérusalem et Rome, plutôt que l’empire de Charlemagne ou le Schisme de 1054, il serait possible de renouer avec des valeurs souvent oubliées en faveur d’un utilitarisme qui ne pouvait que conduire aux impasses environnementales et géopolitiques actuelles.

Un tel changement d’échelle temporelle conduira forcement à un changement d’échelle géographique. L’ouverture de l’Europe à tous les héritiers d’un patrimoine historique élargi lui permettra de s’approcher encore plus aux autres Chrétiens, ainsi qu’aux Musulmans et aux Juifs et de contribuer à leur réconciliation. Elle le leur doit, puisque l’introduction de sa modernité a déclenché les crises qui ont brisé leur cohabitation traditionnelle.

Certes pour les Européens, un tel changement ne peut-être que douloureux du point de vue identitaire. Pour beaucoup il serait ressenti comme un reniement de leur tradition. Il suffit de suivre les débats actuels sur la place des Musulmans en Europe ou encore sur la demande d’adhésion de la Turquie en Union européenne pour se rendre compte des crispations identitaires et des tensions politiques que provoquent ces débats. Les difficultés et même les risques de dérives politiques ne peuvent pas être sous-estimés. Pourtant, est-ce possible d’éviter ou même de retarder ce débat ?

La réconciliation franco-allemande a démontré que l’Europe est capable de changer profondément.

Suite aux traumatismes de deux guerres fratricides et devant les nouvelles configurations qui ont résulté de la deuxième guerre mondiale, l’Europe a réussi à fortement nuancer les frontières mentales qui séparaient ses nations. En prenant conscience des changements tectoniques du siècle nouveau et des nouveaux défis, elle doit avancer plus loin sur cette voie. Il s’agit maintenant de rendre moins étanches les murs d’altérité qui la séparent des peuples de son voisinage.

Dans cette nouvelle aventure européenne, le monde orthodoxe désire apporter sa contribution.

Proche à l’Europe et à son devenir historique, elle a néanmoins préservé certains éléments de l’héritage commun, grâce auxquels il est possible de réinvestir des valeurs sans doute trop rapidement abandonnées.

Si renouer avec les valeurs qui permettaient une relation plus harmonieuse avec la nature peut constituer un apport de l’Église orthodoxe à l’Europe, sa proximité, son expérience de cohabitation et ses affinités culturelles avec les peuples du Moyen Orient et de l’Afrique lui permettent de contribuer à l’échange, au dialogue, au pansement de plaies créées par une présence européenne perçue souvent comme trop agressive. […]

Constantinople, aujourd’hui Istanbul, grand carrefour géographique et historique, espère participer activement à cet effort de renouveau en tant que lien de l’Europe institutionnelle avec les Orthodoxes du monde entier, ainsi qu’avec les peuples de notre voisinage géographique traditionnel.

Pendant le grand tournant que nous vivons, l’Europe a intérêt à défendre et à développer toutes les ressources qu’elle devra mobiliser pour démentir la prévision de son déclin.

pour le texte intégral voir 
 http://www.la-croix.com/Religion/Approfondir/Documents/Allocution-du-patriarche-Bartholomeos-Ier-au-diner-debat-de-l-Ifri-_NG_-2011-05-01-586624




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