mardi 19 juin 2012

Quelques propos sur les anges









DIEU n’est pas seul !

N’est-il pas paradoxal de affirmer cela, alors que, nous, chrétiens, quand nous confessons notre foi dans Credo, le « Symbole de la foi », nous proclamons : « Je crois en un seul Dieu… » ? Oui : un seul Dieu, mais pas un Dieu seul !

Dieu n’est pas seul.

a) Il ne l’est pas en soi, il ne l’est pas personnellement : Il est Trinité de Personnes, Il est Tri-Unique.

b) En outre, Il est toujours accompagné et environné d’anges. Les anges sont la cour divine, la « céleste cour ». Ils sont « le plérôme du monde spirituel » (Jean Daniélou). Le pl»rwma, le plérôme, c’est ce qui est rempli à ras bord : c’est la plénitude sans faille, sans vide, du monde de l’esprit. L’esprit en effet est plein, et il n’y a pas place pour autre chose ; la matière au contraire est vide, elle est faite d’une succession de vides.

Une façon de décrire cette plénitude, ce plérôme, c’est la formule bien connue : « tout est plein d’anges ». On trouve dans les psaumes, les prophètes et, à leur suite, dans la liturgie chrétienne, cette autre formule, que nous reverrons : « Pleni sunt caeli et terra gloria tua ».


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*    *


Les anges sont, disions-nous, la cour de Dieu.

Que sont les courtisans ?

Ils sont :             
-         adulateurs ;
-         soumis.

Que sont, a contrario, les anges ?
-         adorateurs ;
-         obéissants.
-          
Ou encore :
-         liturges ;
-         serviteurs.

A – Les anges sont serviteurs :
« Il fait des souffles ses anges, des flammes de feu ses serviteurs » (psaume 104).

1.     Ils sont humbles et obéissants.

Ils ne sont pas « musulmans », c’est-à-dire soumis. Ils sont humbles par « crainte de Dieu », laquelle est tout autre chose que la peur ou la terreur : c’est le sentiment contemplatif de l’immensité de la majesté divine, qui engendre, non la terreur, mais l’amour jubilant.

Ils sont donc obéissants par amour. Ils n’ont pas une mentalité d’esclaves, mais de fils. Dans la Septante, l’équivalence est fréquente entre « anges de Dieu » et « fils de Dieu » : cf. les psaumes et, par exemple, le début du Livre de Job.

2.     Ils sont lumineux et illuminants, à cause de leur humilité.

N’ayant pas en eux la moindre ombre d’égoïsme, ils s’effacent devant Celui qu’ils aiment. Raison pourquoi, dans l’iconographie, saint Jean Baptiste le Précurseur est souvent représenté sous forme d’ange, à cause de sa caractéristique spirituelle : il s’efface (« il faut qu’Il croisse et que je diminue »).

D’où vient qu’ils sont translucides : transparents à la Lumière divine. Plus encore, ils sont photophores : ils portent et rayonnent la Lumière divine.


3.     Ils sont puissants parce que remplis de la Puissance divine
-  qu’ils portent,
-  qu’ils exécutent,
-  qu’ils communiquent.

4.     Ils sont remplis de la Sainteté, qui est la caractéristique propre de Dieu  (« Un seul est Saint »).

5.     Ces trois :
- Lumière,
- Puissance,
- Sainteté,
sont une même réalité, désignée par un nom : Gloire (כבד KaBoD).

Les anges sont donc porteurs de la Gloire divine :
-         « ils sont le rayonnement de la Gloire divine » (Daniélou) ;
-         « ils sont la gloire créée de la Gloire incréée » (Boulgakov).
Autrement dit : Ils sont le rayonnement créé de cette Gloire incréée :

Or la Gloire est la Présence divine dans sa manifestation tangible, concrète, expérimentable. Les anges sont donc porteurs, vecteurs, véhicules des énergies divines incréées, ces énergies qui sont puissances, ou vertus au sens premier (les vertus n’ayant pris un sens moral que par dévitalisation et affadissement).

6.         Les anges sont par là porteurs des caractéristiques divines,
même s’ils ne les possèdent pas en propre.

C’est pourquoi ils sont à bon droit appelés divins, car ils sont déiformes et ils se communiquent l’un à l’autre et aux hommes la déiformité (St Denys l’Aréopagite), c’est-à-dire la déification.

C’est aussi la double raison pour laquelle le Logos est « l’Ange du Grand Conseil » :
a) les anges portent la figure de Dieu,
b) et le Verbe-Logos a une figure d’ange.

7.     Enfin ils sont à la fois totalement stables et totalement dynamiques.
L’échelle de Jacob, constitué par les hiérarchies célestes, du ciel à la terre et de la terre au ciel, est une « échelle mobile ».


Elle l’est :
- en elle-même : elle est les anges qui montent et descendent, tout en restant chacun à sa place dans son ordre ;
- dans son usage, que nous verrons.

B - Les anges sont également serviteurs dans un sens plus particulier :
ils sont liturges ; ils accomplissent un service ministériel : la liturgie.

En tant que serviteurs de la liturgie, ils sont diacres. Di£konoi veut dire « serviteurs » ; raison pourquoi l’iconographie traditionnelle revêt les anges d’ornements diaconaux.

Ils sont les co-célébrants de la liturgie divine sous ses divers aspects :
a)    la liturgie céleste, dans le monde spirituel créé,
liturgie qui ne s’interrompt jamais ;

b)    la liturgie cosmique, dans le monde matériel créé,
liturgie qui ne s’interrompt jamais non plus, car les éléments du monde : animaux, végétaux, minéraux même, louent incessamment leur Créateur ;
c)     la liturgie ecclésiale, dans cette société divino-humaine, incréée-créée, qu’est l’Eglise,
liturgie qui, à cause de notre faiblesse, s’interrompt parfois.

Ainsi, les anges :
-         concélèbrent avec les hommes la liturgie ecclésiale ;
-         concélèbrent avec les hommes (là où il y en a) et aussi avec les animaux, végétaux, minéraux… la liturgie cosmique ;
-         ont admis des hommes à concélébrer leur propre liturgie céleste, depuis qu’il y a des hommes aux cieux (et même lorsqu’ils sont encore physiquement sur cette terre !), et ces hommes, ce sont les saints ;
-         concélèbrent aussi avec chaque homme (c’est un des rôles de son ange gardien, « ange bon compagnon »)sa propre liturgie intérieure.

La liturgie céleste, nous en connaissons quelques éléments, mais essentiels, par les prophètes Ezéchiel et Isaïe (cf. St Denys l’Aréopagite, Hiérarchies Célestes  202 A-B [1]). C’est une liturgie de louange, centrée sur la Gloire dont il été question plus haut, savoir la Présence réelle de Dieu :

Ezéchiel (III, 2) : « Bénie soit la Gloire du Seigneur au lieu de son séjour ».
Isaïe (VI,3) : « Saint, Saint, Saint, le Seigneur (Dieu) Sabaoth (= des Armées angéliques), sa Gloire remplit toute la terre » - c’est le Trisagion (« trois fois Saint ») de la liturgie céleste et ecclésiale.

Les psaumes y font très directement écho, qui disent :
« Caeli enarrant Gloriam Dei » (psaume 19 : « les cieux racontent la Gloire de Dieu ») ; « Béni soit à jamais son Nom glorieux, que toute la terre soit remplie de sa Gloire » (ps. 72) ; « Elève-toi au-dessus des cieux, ô Dieu, que ta Gloire brille sur toute la terre » (ps. 57) ; « sa Gloire est au-dessus des cieux » (ps. 113), etc.

La liturgie ecclésiale combine le tout :
« Saint, Saint, Saint (ou : Agios, Sanctus, Saint) le Seigneur Dieu Sabaoth, les cieux et la terre sont remplis de sa Gloire » - («  Sanctus, Sanctus, Sanctus Dominus Deus Sabaoth, pleni sunt caeli et terra Gloria sua »).

Sabaoth, ce sont les « armées » célestes, le plérôme angélique.

Pleni, remplis : nous retrouvons la notion de plénitude. « Tout est plein d’anges ».  La Gloire de Dieu emplit « le ciel et la terre », c’est-à-dire les mondes spirituel et matériel : elle emplit TOUT.

C – La présence de la Gloire, la Gloire qui est Présence, appelle la glorification. Glorifier Dieu, rendre gloire à Dieu, c’est « rendre à Dieu la gloire qui est sienne et dont Il nous a remplis » (Daniélou)

Remplis de la Gloire de Dieu (par laquelle ils sont devenus, chacun à sa mesure, divins ) les anges ne cessent de la Lui rendre par une louange incessante.
« Rendez au Seigneur, fils de Dieu, rendez au Seigneur gloire et honneur » (psaume 29).

I.        Les anges sont des contemplateurs et des adorateurs.

a.            Les plus proches de la fournaise trinitaire (Séraphins, Chérubins, Trônes) contemplent la Face de Dieu, et cette contemplation les rend éblouissants (cf. la face de Moïse) ;

b.           Les inférieurs contemplent leurs supérieurs lumineux, et ainsi de suite tout au long de l’échelle hiérarchique : c’est une cascade de lumières.


c.             Cette contemplation les remplit d’amour et de jubilation, d’où jaillissent adoration et action de grâces.

II.     Chez les anges, contemplation et action sont inséparables.

Ils sont les ministres, les coopérateurs du Dieu tout-puissant :

a.            dans le bel ordonnancement du monde, qui est œuvre de beauté - à quoi renvoie son nom κόσμος, cosmos, qui veut dire « ordonné bellement »  (d’où l’exclamation dont le Créateur ponctue les différentes étapes de la Genèse  טוֹב -כִּי KeToV, c’est-à-dire « que beau ! ») ;
b.           dans l’accomplissement des destinées de l’homme, qui est œuvre de vérité.

Dans ces deux tâches, « ils sont les instruments des œuvres divines » (Daniélou) ; « ils réalisent et révèlent les pensées divines » (Mgr Jean de Saint-Denis).

Ils le font de deux façons :
a.            ils ont une fonction de sauvegarde et de gouvernement ;
b.           ils sont médiateurs et révélateurs : en un mot messagers.

A.         Ils président aux « éléments du monde » : ils sont les lois du monde, les lois naturelles.
Ces lois, établies par Dieu Créateur, sont portées, maintenues et mises en œuvre par les anges.

Axiome : tout ce qui existe dans le monde créé, matériel ou immatériel, a son ange.

Cela veut dire que non seulement tous les éléments de la matière, mais aussi les idées (celles selon Platon et les autres aussi), les pensées, les sentiments, bons ou mauvais, les passions, nobles ou ignobles, tout est véhiculé et distingué par des anges, bons ou mauvais, des esprits de Dieu ou des démons (cf. le psaume de saint Bède le Vénérable : « les sept démons…s’opposent aux sept esprits de Dieu »).

« Tout est plein d’anges » ! Newton, l’inventeur de la mécanique céleste, expliquait l’« attraction » (qu’on ne parvient encore maintenant qu’à constater et mesurer, sans plus) par l’amour mutuel que se portent les anges véhicules des astres…

Autre axiome : les anges sont les principes d’identité de tous les existants.

B.          Ils le sont aussi des communautés humaines.
Ils sont les « archontes des nations » (Origène), comme aussi des Eglises (cf. les anges des sept Eglises dans l’Apocalypse), des villes, des familles, des loges, de l’Ordre de Josué…

Ils président, ils sauvegardent, ils protègent, ils secourent.

C.          Chaque homme a son ange « bon compagnon » qui lui est expressément affecté par Dieu, et qui a partie liée avec lui dans sa destinée spirituelle. Il est, dit Boulgakov, son « moi céleste ».

D.         Autre fonction :
a.            Non seulement ils mettent en œuvre les lois naturelles, mais ils les révèlent. Le fait que des découvertes scientifiques aient lieu simultanément en des lieux distants sans relation entre eux n’a pas d’autre explication : pour des motifs qui nous échappent, les anges ont fait concurremment en plusieurs endroits des révélations identiques.
b.           Ils révèlent aussi la Loi : saint Paul dit expressément que la Loi a été révélée sur le mont Sinaï à Moïse par un ministère angélique (Galates 3/19 ; cf. aussi Actes 7/36 et 53).

En revanche le Christ révèle Lui-même la Loi nouvelle.

c.             Ils révèlent enfin aux hommes non seulement les commandements divins mais aussi les desseins divins : c’est la fonction des anges qui apparaissent, en songe ou non, aux patriarches et aux prophètes – et qui quelquefois sont indiscernables de Dieu lui-même pour la raison qu’ils sont « divins ».

Tout cela relève de la fonction inhérente à leur mission de messagers : leur fonction révélatrice.

E.               Cette fonction fait elle-même partie de leur fonction plus générale de médiateurs. Leur raison d’être, en effet, ou plutôt une de leurs raisons d’être, par rapport aux hommes, est d’être médiateurs entre Dieu et eux.

Ici, il faut apporter une distinction importante :

a.                Sous l’Ancienne Loi, toute médiation et révélation de Dieu aux hommes se fait par les anges.
b.               Depuis l’Incarnation, Dieu est entré en contact direct avec l’homme et l’homme avec Dieu en la personne du Christ.
c.                 Toutefois, le Christ n’a en rien « aboli » ni rendu obsolète les fonctions et les missions des anges. Lui-même, en tant qu’homme, s’est soumis aux anges (cf. St Denys, Hiérarchie céleste IV C [2]), de même qu’Il s’est soumis aux éléments du monde que gouvernent les anges :
 α le dessein suprême de Dieu pour l’homme : l’Incarnation, a été annoncé par l’Ange ;
 β  des anges accompagnent le Christ tout au long de sa vie publique, depuis le début (le Christ tenté au désert) jusqu’à la fin (l’agonie à Gethsémani).
d.               L’accomplissement du dessein divin, la déification, se fait par l’entremise des anges : ils communiquent et transmettent les énergies divines du Saint-Esprit, la grâce déifiante,  par  condescendance, le long de la seule et unique hiérarchie à la fois céleste et humaine qu’est l’échelle de Jacob. « Transmission » ou « tradition » se disent Παράδοσις, Paradosis, qui signifie proprement transmission de dons. Cette Tradition est transmission de grâce en grâce et de lumière en lumière, elle est transmission des actions successives de « purification », d’« illumination »  et de « perfection-union » qui permettent l’élévation jusqu’aux cieux.

Précisons :
e.                Si cette communication est « tradition », c’est parce que Dieu Créateur respecte sa propre création et ses lois ;
f.                  La communication peut parfaitement être, et est parfois, directe, sans intermédiaire : de Dieu à l’homme.
g.                N’oublions jamais, enfin, que :
« Jésus est le principe et la fin de toute hiérarchie » (St Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique I 373 C)

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*     *

Pour ce qui nous concerne :

A.              Célébrons consciemment nos liturgies
-         cosmique
-         ecclésiale
-         intérieure

avec les anges,

Et participons aussi à leur liturgie céleste.

Dans toutes, ils sont nos co-célébrants.
Ils adorent avec nous, ne les adorons pas (voir dans l’Apocalypse la parole de l’Ange à Jean qui veut se prosterner devant lui : « Moi aussi je suis serviteur, je suis ton compagnon de service ». Ap 19/9 et 22/9).

B.               En effet :
« L’idolâtrie provient de ce qu’avec la chute, l’homme a perdu le contact direct avec Dieu mais a conservé le contact avec les anges » (Mgr Germain de Saint-Denis).

Ce contact direct a été rétabli par le Christ, ne faisons pas comme si le Verbe ne s’était pas incarné, comme si le Réparateur n’avait pas œuvré.

C.              Ne séparons donc jamais les anges                 de Jésus,
         les serviteurs               de leur Seigneur,
         la cour                          de son Roi.

Soyons leurs « compagnons de service »,

                   au service d’El Shaddaï, le Pantocrator,  le Tout-Puissant,                                   qui est aussi Emmanuel, « Dieu avec nous ».




[1] « C’est pourquoi la Parole de Dieu a transmis aux habitants de la terre certains hymnes que chante cette première hiérarchie (i.e. les Séraphins) et dans lesquels se manifeste saintement l’éminence de l’illumination, la plus haute de toute, qui lui appartient. Les uns, en effet, traduisant cette illumination en termes sensibles, dans une clameur qui ressemble au mugissement des grandes eaux, s’écrient : Bénie soit la gloire du Seigneur au lieu de son séjour ! ; les autres annoncent cette très célèbre et auguste Parole divine : Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaot, sa gloire remplit toute la terre. »
[2] « Car je constate que Jésus lui-même, cause suressentielle des essences supra-célestes, venu jusqu’à notre niveau sans perdre son immutabilité, ne s’écarte pas non plus de la belle ordonnance,instituée et choisie par lui  selon les convenances humaines, mais se soumet docilement aux desseins de Dieu son Père que lui transmettent des Anges – que, par leur entremise, sont également annoncés à Joseph la retraite d’Egypte en Judée, - et que c’est par la médiation d’un Ange que nous le voyons se soumettre aux saintes décisions paternelles. Car je passe sous silence, puisque tu sais ce qui nous aété exposé par nos traditions sacerdotales, ce qui concerne cet Ange qui réconforta Jésus ou le fait que Jésus lui-même, en raison de l’œuvre bienfaisante qu’il accomplit pour notre salut, ayant pris place, lui aussi, dans l’ordre révélateur, fut appelé Ange du grand conseil. Et,en effet, comme il le dit lui-même,usant des termes qui désignent un messager, tout ce qu’il entendit du Père, il nous l’annonça ». 

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