mardi 17 septembre 2013

L'art des castrats : Farinelli par Jaroussky

J'ai décidé d'élargir un peu la palette de ce blogue en faisant écho à l'enthousiasme que j'ai pu éprouver à l'écoute ou à la vue de certaines œuvres d'art. Car enfin, quelle est la source de la beauté ? Dieu lui-même. Platon l'a justement dit : le Beau, le Bon et le Vrai sont de Dieu. Se réjouir de la beauté créée par l'homme, c'est aussi (qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou non) rendre grâce au Créateur de toutes choses. Ayant fait l'homme à son image et selon sa ressemblance, il l'a fait capable de beauté.
Mes choix seront personnels, donc partisans. Je ne ferai un sort qu'aux œuvres qui ont réussi à m'élever l'âme.
Voici le premier : le dernier album, qui vient de sortir, du célébrissime et (pourtant) admirable contre-ténor Philippe Jaroussky consacré à une sélection d'airs chantés au XVIIIe siècle par l’admirable et célébrissime castrat Farinelli.







Cet album, somptueux, l'est de plusieurs façons. L'emballage, d'abord, est luxueux, il comporte en particulier un livret de 112 pages (avec de nombreuses photos) dont je reparlerai.

Mais il l'est plus encore par le contenu. C'est l'un des plus beaux, pour ne pas dire le plus beau que notre génial contre-ténor a enregistré. La demi-année sabbatique qu'il a prise lui a bien profité. Sa voix, qui auparavant accusait parfois quelque fatigue à la suite d'un calendrier de concerts très pesant, a retrouvé toute la pureté, le legato, la ductilité, dirai-je, de ses 20 ans - les progrès techniques en plus.

Cet album permet de redécouvrir un musicien qui fut un maître de chant très célèbre, et injustement oublié : Porpora. Porpora découvrit celui qui devait devenir le célébrissime castrat Farinelli lorsque celui-ci était encore adolescent. Subjugué par ses dons naturels, il le forma durant des années avant et après sa castration et fut à l’origine de son éblouissante carrière. Il lui servit de père de substitution (le sien étant mort) et il lui voua une profonde affection. C'est pour Farinelli, disent les spécialistes, qu'il écrivit ses plus belles pages de musique car elles étaient totalement appropriées à la voix de son élève. Celles, en tout cas, de l'album, sont magnifiques, que ce soit dans la pyrotechnie vocale ou au contraire dans l'expressivité la plus tendre.

Jaroussky avoue qu'il lui a fallu attendre des années avant d'attaquer le répertoire redoutable de Farinelli. Il faut avouer que parvenu à la pleine maturité de ses 35 ans, et après une carrière déjà longue de 14 ans, il y réussit admirablement. Ses prouesses vocales, avec un timbre jamais altéré, et les pages de langueur qu'il rend avec une sensibilité passionnée, font les unes et les autres frissonner de plaisir.

C'est un virtuose, chacun le sait : à un moment, il rend une note tenue sans respirer durant 20 secondes : c'est long, très long ! Mais il indique modestement que Farinelli pouvait tenir le double, voire le triple : une miinute entière, puis enchaîner sur une vocalise sans respirer ! Mais en outre, on le sait aussi, il donne à ce qu'il chante des couleurs très variées et toujours belles : tantôt héroïques, tantôt tendres, tantôt sombres, tantôt claires... Du suprême grand art ! Car ce n'est pas de la mécanique vocale (comme la poupée des Contes d’Hoffmann) , c'est du chant, vraiment.

L'orchestre baroque de Venise (intitulé en anglais !!! Venice Baroque Orchestra), que je ne connaissais pas, et son chef Andrea Marcon, sont excellents et accompagnent à merveille. (Ce qui n'est pas toujours le cas avec les orchestres baroques).

Et puis il y a, en guest star, la grande Cecilia Bartoli. Les deux duos qu'elle chante avec Philippe Jaroussky, surtout le second "La gioia qh'io sento" de Mitridate, sont de pures merveilles : quelle entente, quelle complicité, ces voix qui se marient miraculeusement... C'est sublime !

Le livret, très complet, comporte une étude extrêmement documentée de Frédéric Delaméa sur Porpora et Farinelli pendant les 20 ans de leurs relations. Elle s'arrête au départ de Farinelli pour l'Espagne en 1737, qui marque une nouvelle étape décisive dans la vie de celui qui était devenu un éminent personnage, et c'est bien dommage. J'en dirai donc quelques mots.

Il devint vite le favori du roi Philippe V qu'il tirait par son chant de son hypocondrie, puis du fils de ce dernier Ferdinand VI . Il avait une influence qui l'apparentait presque à un vice premier ministre, et il l'exerça toujours, ô rareté, pour le bien. Il est vrai que sa carrière l'avait rendu prodigieusement riche. Il resta dans cette position privilégiée durant 22 ans, jusqu'à l'avènement de Charles III en 1759.

Il se retira alors à Bologne où il s'était fait bâtir une demeure somptueuse, remplie d’œuvres d'art, car c'était un grand amateur d'art. Il était très cultivé, et sa conversation était très recherchée. Il était d'ailleurs d'origine noble, contrairement aux autres castrats, et les rois d'Espagne lui avaient conféré les ordres les plus distingués du royaume. Aussi la bonne société le recherchait-elle.

Chose importante, il était extrêmement pieux et très munificent en œuvres charitables.

C'est pourquoi, si j'ai admiré l'esthétique raffinée du film Farinelli de Gérard Corbiau, les violentes entorses infligées à la vérité historique, notamment sur la personnalité de Farinelli, lequel est tout bonnement calomnié, m'ont grandement indigné.

P. S. J'ai eu la curiosité d'écouter de suite avant le présent disque celui qu'avait consacré il y a six ans, en 2007, Philippe Jaroussky au grand rival de Farinelli le castrat Carestini. Cette comparaison confirme ce que j'ai écrit plus haut : sa voix qui, certaines fois m'avait donné quelques inquiétudes (tout en restant exceptionnelle), a retrouvé toute sa fraîcheur, sa pureté, sa suavité dans les airs élégiaques, sa clarté mordante dans les airs de bravoure. Dieu soit loué !




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