Cet intitulé est de plus en plus inapproprié, car
si les contre-ténors (et les hautes-contre, voir la différence dans mon billet
du 13 décembre) contemporains chantent souvent des airs exécutés par les
castrats du XVIIIe siècle ou même composés pour eux (comme dans les disques
référencés dans mes billets du 17 septembre, du 22 octobre et du 28 octobre
derniers), ils chantent aussi des airs exécutés par des cantatrices, comme c’est
le cas pour le présent disque. Donc, cette rubrique deviendra désormais : L’art des contre-ténors.
Ce disque s’intitule « Duetti ».
Il met en scène Philippe Jaroussky et Max Emanuel
Cencic, et l’orchestre « Les Arts Florissants » en petite formation (deux
violons, un violoncelle, un théorbe et un luth, un clavecin et un orgue), le
tout dirigé (évidemment) par William Christie.
Six compositeurs de la fin du XVIIe siècle et du
début du XVIIIe siècle : Giovanni Bononcini, Francesco Mancini, Francesco
Bartolomeo Conti, Nicole Porpora (sorti de l’oubli par le fameux enregistrement
de Jaroussky consacré à Farinelli, cf. le billet du 17 septembre), Benedetto
Marcello et Alessandro Scarlatti.
Les airs enregistrés sont des duetti da camera, « duos de chambre », et des « cantates en duo », deux genres qui eurent dans l’Italie de l’ère baroque un immense succès au point qu’on en composa des milliers, où rivalisèrent musiciens professionnels et amateurs éclairés. L’exécution de ces morceaux faisait les beaux jours des « académies », ces cercles artistiques et philosophiques qui se réunissaient autour de puissants mécènes (un peu l’équivalent des « salons » parisiens) ; la plus célèbre fut l’Accademia dell’Arcadia formée autour de la reine Christine de Suède.
Les airs enregistrés sont des duetti da camera, « duos de chambre », et des « cantates en duo », deux genres qui eurent dans l’Italie de l’ère baroque un immense succès au point qu’on en composa des milliers, où rivalisèrent musiciens professionnels et amateurs éclairés. L’exécution de ces morceaux faisait les beaux jours des « académies », ces cercles artistiques et philosophiques qui se réunissaient autour de puissants mécènes (un peu l’équivalent des « salons » parisiens) ; la plus célèbre fut l’Accademia dell’Arcadia formée autour de la reine Christine de Suède.
Les livrets de ces duos parlent bien sûr toujours
d’amours (même lorsqu’ils ont été écrits par des cardinaux !), amours toujours
malheureuses entre bergers épris et bergères insensibles ou infidèles. Beaux
prétextes à des airs tantôt tendres et languissants, tantôt enfiévrés et enflammés,
sous forme tantôt de monologue (recitativo,
récitatif), et tantôt de dialogue (aria,
air). Sur les huit œuvres présentées, on compte six duos, et deux solos, un
pour chacun de nos artistes, Jaroussky et Cencic.
Venons-en au disque. C’est, je n’hésite pas à l’écrire,
un des plus jubilatoires que je
connaisse. D’abord, la mise en œuvre est d’une absolue perfection, car l’enregistrement
(réalisé en janvier 2011) fut l’aboutissement, comme le signale William
Christie, d’une longue série de concerts « couronnée d’un grand succès »,
au cours desquels ont eu maintes occasions de parfaire leur ajustement les deux protagonistes, on peut
même dire les trois protagonistes , car le rôle de William Christie est fondamental
au sens propre, puisque c’est sur son accompagnement que repose l’équilibre de l’ensemble.
Cet ajustement ne peut être surpassé. Ce n’est pas
assez de dire, au sujet des voix de ces
deux contre-ténors (qui sont, on le sait, de toutes, celles que je préfère), qu’elles
s’harmonisent : non, elles se marient
avec une ductilité, une langueur, une vivacité et parfois une fièvre qui
transportent l’auditeur. Les timbres, oui, se marient étonnamment, celui de
soprano de Philippe Jaroussky et celui d’alto de Max Emanuel Cencic, de telle
façon que seules les différencient, suffisamment mais point trop, les couleurs
des voix (plus cristalline chez Jaroussky, plus charnue chez Cencic), car elles
ont la même étendue dans l’aigu et dans le grave, la même agilité dans les prouesses
pyrotechniques des duos (et quelle précision dans l’entente !
on a envie de crier : salut ! les artistes !), la même tendresse
et le même enlacement dans les dialogues lyriques… Pareil accomplissement n’a été possible qu’à
la suite de ces nombreux concerts déjà mentionnés. Et aussi (ce n’est pas un secret) que grâce à une
entente très amicale entre ces deux artistes d’exception, ces deux vedettes,
qui auraient pu, à l’instar des castrats du XVIIIe siècle, se jalouser et rivaliser.
C’est William Christie qui a au départ repéré,
avec son ouïe infaillible, les possibilités qu’offrait le mariage de ces deux voix au milieu de l’ensemble de huit
contre-ténors ( !) de la représentation d’Il Sant’Alessio de Landi, en 2007, et qui les a en 2010 distribués
dans les rôles titres du Couronnement de
Poppée de Monteverdi. L’expérience du « Saint Alexis » devait
être renouvelée avec la recréation et l’enregistrement, par les soins du grand
Diego Fasolis dirigeant le fameux Concerto Köln, de l’Artaserse de Leonardo Vinci (ne pas confondre avec le peintre !),
encore un musicien et une œuvre sortis de l’oubli (alors que l’un et l’autre
étaient célébrissimes au XVIIIe siècle). On n’y comptait pas moins de cinq
contre-ténors : dans les rôles titres Philippe Jaroussky et Max Emanuel Cencic,
puis Franco Fagioli, Valer Barna-Sabadus et Yuriy Mynenko, et un ténor (excellent)
Daniel Behle. J’y reviendrai peut-être.
Pour en terminer avec Duetti, si vous êtes épris des belles voix et du beau style, procurez-vous
le à tout prix. « A tout prix » n’est d’ailleurs pas la bonne
formule, car, à l’approche des fêtes, il y a des offres avantageuses.
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