mardi 19 juin 2012

Quelques propos sur les anges









DIEU n’est pas seul !

N’est-il pas paradoxal de affirmer cela, alors que, nous, chrétiens, quand nous confessons notre foi dans Credo, le « Symbole de la foi », nous proclamons : « Je crois en un seul Dieu… » ? Oui : un seul Dieu, mais pas un Dieu seul !

Dieu n’est pas seul.

a) Il ne l’est pas en soi, il ne l’est pas personnellement : Il est Trinité de Personnes, Il est Tri-Unique.

b) En outre, Il est toujours accompagné et environné d’anges. Les anges sont la cour divine, la « céleste cour ». Ils sont « le plérôme du monde spirituel » (Jean Daniélou). Le pl»rwma, le plérôme, c’est ce qui est rempli à ras bord : c’est la plénitude sans faille, sans vide, du monde de l’esprit. L’esprit en effet est plein, et il n’y a pas place pour autre chose ; la matière au contraire est vide, elle est faite d’une succession de vides.

Une façon de décrire cette plénitude, ce plérôme, c’est la formule bien connue : « tout est plein d’anges ». On trouve dans les psaumes, les prophètes et, à leur suite, dans la liturgie chrétienne, cette autre formule, que nous reverrons : « Pleni sunt caeli et terra gloria tua ».


*
*    *


Les anges sont, disions-nous, la cour de Dieu.

Que sont les courtisans ?

Ils sont :             
-         adulateurs ;
-         soumis.

Que sont, a contrario, les anges ?
-         adorateurs ;
-         obéissants.
-          
Ou encore :
-         liturges ;
-         serviteurs.

A – Les anges sont serviteurs :
« Il fait des souffles ses anges, des flammes de feu ses serviteurs » (psaume 104).

1.     Ils sont humbles et obéissants.

Ils ne sont pas « musulmans », c’est-à-dire soumis. Ils sont humbles par « crainte de Dieu », laquelle est tout autre chose que la peur ou la terreur : c’est le sentiment contemplatif de l’immensité de la majesté divine, qui engendre, non la terreur, mais l’amour jubilant.

Ils sont donc obéissants par amour. Ils n’ont pas une mentalité d’esclaves, mais de fils. Dans la Septante, l’équivalence est fréquente entre « anges de Dieu » et « fils de Dieu » : cf. les psaumes et, par exemple, le début du Livre de Job.

2.     Ils sont lumineux et illuminants, à cause de leur humilité.

N’ayant pas en eux la moindre ombre d’égoïsme, ils s’effacent devant Celui qu’ils aiment. Raison pourquoi, dans l’iconographie, saint Jean Baptiste le Précurseur est souvent représenté sous forme d’ange, à cause de sa caractéristique spirituelle : il s’efface (« il faut qu’Il croisse et que je diminue »).

D’où vient qu’ils sont translucides : transparents à la Lumière divine. Plus encore, ils sont photophores : ils portent et rayonnent la Lumière divine.


3.     Ils sont puissants parce que remplis de la Puissance divine
-  qu’ils portent,
-  qu’ils exécutent,
-  qu’ils communiquent.

4.     Ils sont remplis de la Sainteté, qui est la caractéristique propre de Dieu  (« Un seul est Saint »).

5.     Ces trois :
- Lumière,
- Puissance,
- Sainteté,
sont une même réalité, désignée par un nom : Gloire (כבד KaBoD).

Les anges sont donc porteurs de la Gloire divine :
-         « ils sont le rayonnement de la Gloire divine » (Daniélou) ;
-         « ils sont la gloire créée de la Gloire incréée » (Boulgakov).
Autrement dit : Ils sont le rayonnement créé de cette Gloire incréée :

Or la Gloire est la Présence divine dans sa manifestation tangible, concrète, expérimentable. Les anges sont donc porteurs, vecteurs, véhicules des énergies divines incréées, ces énergies qui sont puissances, ou vertus au sens premier (les vertus n’ayant pris un sens moral que par dévitalisation et affadissement).

6.         Les anges sont par là porteurs des caractéristiques divines,
même s’ils ne les possèdent pas en propre.

C’est pourquoi ils sont à bon droit appelés divins, car ils sont déiformes et ils se communiquent l’un à l’autre et aux hommes la déiformité (St Denys l’Aréopagite), c’est-à-dire la déification.

C’est aussi la double raison pour laquelle le Logos est « l’Ange du Grand Conseil » :
a) les anges portent la figure de Dieu,
b) et le Verbe-Logos a une figure d’ange.

7.     Enfin ils sont à la fois totalement stables et totalement dynamiques.
L’échelle de Jacob, constitué par les hiérarchies célestes, du ciel à la terre et de la terre au ciel, est une « échelle mobile ».


Elle l’est :
- en elle-même : elle est les anges qui montent et descendent, tout en restant chacun à sa place dans son ordre ;
- dans son usage, que nous verrons.

B - Les anges sont également serviteurs dans un sens plus particulier :
ils sont liturges ; ils accomplissent un service ministériel : la liturgie.

En tant que serviteurs de la liturgie, ils sont diacres. Di£konoi veut dire « serviteurs » ; raison pourquoi l’iconographie traditionnelle revêt les anges d’ornements diaconaux.

Ils sont les co-célébrants de la liturgie divine sous ses divers aspects :
a)    la liturgie céleste, dans le monde spirituel créé,
liturgie qui ne s’interrompt jamais ;

b)    la liturgie cosmique, dans le monde matériel créé,
liturgie qui ne s’interrompt jamais non plus, car les éléments du monde : animaux, végétaux, minéraux même, louent incessamment leur Créateur ;
c)     la liturgie ecclésiale, dans cette société divino-humaine, incréée-créée, qu’est l’Eglise,
liturgie qui, à cause de notre faiblesse, s’interrompt parfois.

Ainsi, les anges :
-         concélèbrent avec les hommes la liturgie ecclésiale ;
-         concélèbrent avec les hommes (là où il y en a) et aussi avec les animaux, végétaux, minéraux… la liturgie cosmique ;
-         ont admis des hommes à concélébrer leur propre liturgie céleste, depuis qu’il y a des hommes aux cieux (et même lorsqu’ils sont encore physiquement sur cette terre !), et ces hommes, ce sont les saints ;
-         concélèbrent aussi avec chaque homme (c’est un des rôles de son ange gardien, « ange bon compagnon »)sa propre liturgie intérieure.

La liturgie céleste, nous en connaissons quelques éléments, mais essentiels, par les prophètes Ezéchiel et Isaïe (cf. St Denys l’Aréopagite, Hiérarchies Célestes  202 A-B [1]). C’est une liturgie de louange, centrée sur la Gloire dont il été question plus haut, savoir la Présence réelle de Dieu :

Ezéchiel (III, 2) : « Bénie soit la Gloire du Seigneur au lieu de son séjour ».
Isaïe (VI,3) : « Saint, Saint, Saint, le Seigneur (Dieu) Sabaoth (= des Armées angéliques), sa Gloire remplit toute la terre » - c’est le Trisagion (« trois fois Saint ») de la liturgie céleste et ecclésiale.

Les psaumes y font très directement écho, qui disent :
« Caeli enarrant Gloriam Dei » (psaume 19 : « les cieux racontent la Gloire de Dieu ») ; « Béni soit à jamais son Nom glorieux, que toute la terre soit remplie de sa Gloire » (ps. 72) ; « Elève-toi au-dessus des cieux, ô Dieu, que ta Gloire brille sur toute la terre » (ps. 57) ; « sa Gloire est au-dessus des cieux » (ps. 113), etc.

La liturgie ecclésiale combine le tout :
« Saint, Saint, Saint (ou : Agios, Sanctus, Saint) le Seigneur Dieu Sabaoth, les cieux et la terre sont remplis de sa Gloire » - («  Sanctus, Sanctus, Sanctus Dominus Deus Sabaoth, pleni sunt caeli et terra Gloria sua »).

Sabaoth, ce sont les « armées » célestes, le plérôme angélique.

Pleni, remplis : nous retrouvons la notion de plénitude. « Tout est plein d’anges ».  La Gloire de Dieu emplit « le ciel et la terre », c’est-à-dire les mondes spirituel et matériel : elle emplit TOUT.

C – La présence de la Gloire, la Gloire qui est Présence, appelle la glorification. Glorifier Dieu, rendre gloire à Dieu, c’est « rendre à Dieu la gloire qui est sienne et dont Il nous a remplis » (Daniélou)

Remplis de la Gloire de Dieu (par laquelle ils sont devenus, chacun à sa mesure, divins ) les anges ne cessent de la Lui rendre par une louange incessante.
« Rendez au Seigneur, fils de Dieu, rendez au Seigneur gloire et honneur » (psaume 29).

I.        Les anges sont des contemplateurs et des adorateurs.

a.            Les plus proches de la fournaise trinitaire (Séraphins, Chérubins, Trônes) contemplent la Face de Dieu, et cette contemplation les rend éblouissants (cf. la face de Moïse) ;

b.           Les inférieurs contemplent leurs supérieurs lumineux, et ainsi de suite tout au long de l’échelle hiérarchique : c’est une cascade de lumières.


c.             Cette contemplation les remplit d’amour et de jubilation, d’où jaillissent adoration et action de grâces.

II.     Chez les anges, contemplation et action sont inséparables.

Ils sont les ministres, les coopérateurs du Dieu tout-puissant :

a.            dans le bel ordonnancement du monde, qui est œuvre de beauté - à quoi renvoie son nom κόσμος, cosmos, qui veut dire « ordonné bellement »  (d’où l’exclamation dont le Créateur ponctue les différentes étapes de la Genèse  טוֹב -כִּי KeToV, c’est-à-dire « que beau ! ») ;
b.           dans l’accomplissement des destinées de l’homme, qui est œuvre de vérité.

Dans ces deux tâches, « ils sont les instruments des œuvres divines » (Daniélou) ; « ils réalisent et révèlent les pensées divines » (Mgr Jean de Saint-Denis).

Ils le font de deux façons :
a.            ils ont une fonction de sauvegarde et de gouvernement ;
b.           ils sont médiateurs et révélateurs : en un mot messagers.

A.         Ils président aux « éléments du monde » : ils sont les lois du monde, les lois naturelles.
Ces lois, établies par Dieu Créateur, sont portées, maintenues et mises en œuvre par les anges.

Axiome : tout ce qui existe dans le monde créé, matériel ou immatériel, a son ange.

Cela veut dire que non seulement tous les éléments de la matière, mais aussi les idées (celles selon Platon et les autres aussi), les pensées, les sentiments, bons ou mauvais, les passions, nobles ou ignobles, tout est véhiculé et distingué par des anges, bons ou mauvais, des esprits de Dieu ou des démons (cf. le psaume de saint Bède le Vénérable : « les sept démons…s’opposent aux sept esprits de Dieu »).

« Tout est plein d’anges » ! Newton, l’inventeur de la mécanique céleste, expliquait l’« attraction » (qu’on ne parvient encore maintenant qu’à constater et mesurer, sans plus) par l’amour mutuel que se portent les anges véhicules des astres…

Autre axiome : les anges sont les principes d’identité de tous les existants.

B.          Ils le sont aussi des communautés humaines.
Ils sont les « archontes des nations » (Origène), comme aussi des Eglises (cf. les anges des sept Eglises dans l’Apocalypse), des villes, des familles, des loges, de l’Ordre de Josué…

Ils président, ils sauvegardent, ils protègent, ils secourent.

C.          Chaque homme a son ange « bon compagnon » qui lui est expressément affecté par Dieu, et qui a partie liée avec lui dans sa destinée spirituelle. Il est, dit Boulgakov, son « moi céleste ».

D.         Autre fonction :
a.            Non seulement ils mettent en œuvre les lois naturelles, mais ils les révèlent. Le fait que des découvertes scientifiques aient lieu simultanément en des lieux distants sans relation entre eux n’a pas d’autre explication : pour des motifs qui nous échappent, les anges ont fait concurremment en plusieurs endroits des révélations identiques.
b.           Ils révèlent aussi la Loi : saint Paul dit expressément que la Loi a été révélée sur le mont Sinaï à Moïse par un ministère angélique (Galates 3/19 ; cf. aussi Actes 7/36 et 53).

En revanche le Christ révèle Lui-même la Loi nouvelle.

c.             Ils révèlent enfin aux hommes non seulement les commandements divins mais aussi les desseins divins : c’est la fonction des anges qui apparaissent, en songe ou non, aux patriarches et aux prophètes – et qui quelquefois sont indiscernables de Dieu lui-même pour la raison qu’ils sont « divins ».

Tout cela relève de la fonction inhérente à leur mission de messagers : leur fonction révélatrice.

E.               Cette fonction fait elle-même partie de leur fonction plus générale de médiateurs. Leur raison d’être, en effet, ou plutôt une de leurs raisons d’être, par rapport aux hommes, est d’être médiateurs entre Dieu et eux.

Ici, il faut apporter une distinction importante :

a.                Sous l’Ancienne Loi, toute médiation et révélation de Dieu aux hommes se fait par les anges.
b.               Depuis l’Incarnation, Dieu est entré en contact direct avec l’homme et l’homme avec Dieu en la personne du Christ.
c.                 Toutefois, le Christ n’a en rien « aboli » ni rendu obsolète les fonctions et les missions des anges. Lui-même, en tant qu’homme, s’est soumis aux anges (cf. St Denys, Hiérarchie céleste IV C [2]), de même qu’Il s’est soumis aux éléments du monde que gouvernent les anges :
 α le dessein suprême de Dieu pour l’homme : l’Incarnation, a été annoncé par l’Ange ;
 β  des anges accompagnent le Christ tout au long de sa vie publique, depuis le début (le Christ tenté au désert) jusqu’à la fin (l’agonie à Gethsémani).
d.               L’accomplissement du dessein divin, la déification, se fait par l’entremise des anges : ils communiquent et transmettent les énergies divines du Saint-Esprit, la grâce déifiante,  par  condescendance, le long de la seule et unique hiérarchie à la fois céleste et humaine qu’est l’échelle de Jacob. « Transmission » ou « tradition » se disent Παράδοσις, Paradosis, qui signifie proprement transmission de dons. Cette Tradition est transmission de grâce en grâce et de lumière en lumière, elle est transmission des actions successives de « purification », d’« illumination »  et de « perfection-union » qui permettent l’élévation jusqu’aux cieux.

Précisons :
e.                Si cette communication est « tradition », c’est parce que Dieu Créateur respecte sa propre création et ses lois ;
f.                  La communication peut parfaitement être, et est parfois, directe, sans intermédiaire : de Dieu à l’homme.
g.                N’oublions jamais, enfin, que :
« Jésus est le principe et la fin de toute hiérarchie » (St Denys l’Aréopagite, Hiérarchie ecclésiastique I 373 C)

*
*     *

Pour ce qui nous concerne :

A.              Célébrons consciemment nos liturgies
-         cosmique
-         ecclésiale
-         intérieure

avec les anges,

Et participons aussi à leur liturgie céleste.

Dans toutes, ils sont nos co-célébrants.
Ils adorent avec nous, ne les adorons pas (voir dans l’Apocalypse la parole de l’Ange à Jean qui veut se prosterner devant lui : « Moi aussi je suis serviteur, je suis ton compagnon de service ». Ap 19/9 et 22/9).

B.               En effet :
« L’idolâtrie provient de ce qu’avec la chute, l’homme a perdu le contact direct avec Dieu mais a conservé le contact avec les anges » (Mgr Germain de Saint-Denis).

Ce contact direct a été rétabli par le Christ, ne faisons pas comme si le Verbe ne s’était pas incarné, comme si le Réparateur n’avait pas œuvré.

C.              Ne séparons donc jamais les anges                 de Jésus,
         les serviteurs               de leur Seigneur,
         la cour                          de son Roi.

Soyons leurs « compagnons de service »,

                   au service d’El Shaddaï, le Pantocrator,  le Tout-Puissant,                                   qui est aussi Emmanuel, « Dieu avec nous ».




[1] « C’est pourquoi la Parole de Dieu a transmis aux habitants de la terre certains hymnes que chante cette première hiérarchie (i.e. les Séraphins) et dans lesquels se manifeste saintement l’éminence de l’illumination, la plus haute de toute, qui lui appartient. Les uns, en effet, traduisant cette illumination en termes sensibles, dans une clameur qui ressemble au mugissement des grandes eaux, s’écrient : Bénie soit la gloire du Seigneur au lieu de son séjour ! ; les autres annoncent cette très célèbre et auguste Parole divine : Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaot, sa gloire remplit toute la terre. »
[2] « Car je constate que Jésus lui-même, cause suressentielle des essences supra-célestes, venu jusqu’à notre niveau sans perdre son immutabilité, ne s’écarte pas non plus de la belle ordonnance,instituée et choisie par lui  selon les convenances humaines, mais se soumet docilement aux desseins de Dieu son Père que lui transmettent des Anges – que, par leur entremise, sont également annoncés à Joseph la retraite d’Egypte en Judée, - et que c’est par la médiation d’un Ange que nous le voyons se soumettre aux saintes décisions paternelles. Car je passe sous silence, puisque tu sais ce qui nous aété exposé par nos traditions sacerdotales, ce qui concerne cet Ange qui réconforta Jésus ou le fait que Jésus lui-même, en raison de l’œuvre bienfaisante qu’il accomplit pour notre salut, ayant pris place, lui aussi, dans l’ordre révélateur, fut appelé Ange du grand conseil. Et,en effet, comme il le dit lui-même,usant des termes qui désignent un messager, tout ce qu’il entendit du Père, il nous l’annonça ». 

lundi 18 juin 2012

AVERTISSEMENT en forme de mise au point

Comme l'indique clairement l'intitulé de ce blog : UN ORTHODOXE D'OCCIDENT, il est destiné à répandre dans un public essentiellement occidental, donc en grande majorité non orthodoxe, la pensée ou, pour mieux dire, la foi de l'Orthodoxie, sur un certain nombre de sujets, majeurs ou mineurs, qui concernent nos contemporains, et cela en leur apportant des messages souvent hors de leurs normes coutumières et qui peuvent, à cause de cela, les intéresser.


C'est la raison pour laquelle je cite abondamment, en "piochant" dans d'autres sites orthodoxes, orientaux ceux-là, des Pères de l'Eglise ou des pères spirituels orthodoxes de notre époque, ceux-ci poursuivant la lignée de ceux-là.


Comme en outre je ne fais pas mystère de mon appartenance à un courant initiatique chrétien, j'applique à ce courant la même grille de lecture,  pour en tirer des aperçus nouveaux que nul n'avait développés auparavant, hormis mon regretté père, frère et ami Robert Amadou, lui aussi prêtre orthodoxe et avec qui je fus en communion étroite.


Il se trouve que, ces temps derniers, j'ai été attaqué avec virulence sur facebook, vilipendé, insulté même, et pourquoi ? à cause de ces idées que je professe et qui n'ont pas eu l'heur de plaire à quelques excités dont l'intolérance et l'extrémisme sont les caractéristiques communes. Certains se sont ingéniés à percer mon pseudonyme, afin de perversement mettre en cause ma personne d'abord, puis, à travers moi, l'Eglise et l'organisme auxquels j'appartiens.


Je ne qualifierai pas cette méthode. Je ne répliquerai pas à mes insulteurs et ils n'auront pour réponse que l'écho de leurs injures.


Cela posé, je veux qu'il soit clairement entendu, une fois pour toutes, ceci :


MES PROPOS N'ENGAGENT QUE MOI, ET MÊME SI J’ESPÈRE QU'ILS SONT CONFORMES A LA TRADITION,  ILS SONT L'EXPRESSION DE MA SEULE PENSÉE ET DE MA SEULE FOI.


Par conséquent, chercher à atteindre à travers moi telle Eglise orthodoxe ou tel ordre initiatique est un procédé, je le répète, inqualifiable.


Mais je le répète aussi : MES PROPOS S'INSCRIVENT DANS LA TRADITION ORTHODOXE. Les appréciations que je porte, par exemple sur saint Augustin - puisque tel a été le déclencheur du hourvari - sont celles mêmes de cette tradition, et qu'il n'est donc pas question que je les infléchisse pour ne pas froisser  la sensibilité de tel ou tel.


A bon entendeur, salut !


Quod scripsi, scripsi, scribo et scribebo.




Paul VI et les orthodoxes


Patrice Mahieu, « Paul VI et les orthodoxes ». Préface du métropolite Emmanuel Adamakis, Paris, Éditions du Cerf, 2012, 304 pages, collection « Orthodoxie ».

Un nouveau volume vient de paraître aux éditions du Cerf dans la collection « Orthodoxie », co-dirigée par l’archiprêtre Jivko Panev et le père Hyacinthe Destivelle, o.p. L’auteur, spécialiste du pape Paul VI (1963-1978), présente les positions et l’activité de celui-ci  en vue de retrouver l’unité perdue entre catholiques et orthodoxes, une activité conjointe avec celles du patriarche Athénagoras Ier et de son successeur le patriarche Dimitrios Ier. Cette étude, qui a pour objet l’histoire des relations œcuméniques entre les deux Églises à l’époque de son apogée, présente successivement et dans le détail :
1) L’évolution des relations catholiques-orthodoxes sous Pie XII et Jean XXIII et les principaux protagonistes.
2) La période du concile Vatican II coïncidant avec le pontificat de Paul VI.
3) Le nouveau climat qui s’est établi (1965-1967).
4) L’Église catholique et l’Église orthodoxe : Église-sœurs jusqu’à quel point ? (1967-1972).
5) Paul VI et Dimitrios Ier : les nouvelles formes du dialogue (1972-1978).
Du côté orthodoxe, l’activité œcuménique fut principalement développée par le patriarcat de Constantinople; l’Église russe fut moins active, et n’occupe donc dans ce livre qu’une place réduite, malgré l’engagement fort du métropolite Nicodème de Léningrad (qui consacra sa thèse de doctorat au pape Jean XXIII et mourut dans le bureau du pape Jean-Paul Ier) et le fait que celui-ci et quelques autres métropolites de renom n'hésitaient pas, dans les années soixante-dix, à donner la communion à des prêtres catholiques, comme le signalent dans leurs mémoires tant Mgr Basile Krivochéine que le théologien catholique Hans Küng.
Le livre comporte quelques informations inédites. L’une d’elle concerne la « commission secrète » dont les travaux se sont tenus à Chambésy puis à Zurich en avril et juin 1970 (p. 194-200). Constituée du côté orthodoxe par le métropolite Damaskinos et Jean Zizioulas, elle émit un avis favorable pour une concélébration eucharistique entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras. Le passage à l’acte ne se fit cependant pas car des deux côtés on craignit que le patriarche fût immédiatement désavoué, voire déposé, ce qui aurait été plus nuisible que profitable à la cause de l'union des Églises.
Le bel enthousiasme dont fait preuve l’auteur de ce livre en se référant au passé contraste avec la lassitude et la fatigue qui accompagnent aujourd’hui le mouvement œcuménique. Ce livre a surtout un intérêt historique, puisque la mesure la plus spectaculaire de l’époque relatée – la levée des anathèmes – est restée sans effet concret ; que les années qui ont accompagné et suivi la chute du communisme ont donné lieu, de la part de l’Église romaine, à un développement du prosélytisme et de l’uniatisme qui a été et reste une source de tensions ; et que plusieurs des avancées réalisées à l’époque ont été dénoncées par le pape Benoît XVI qui, d’une manière générale, a ramené l’Église catholique-romaine à ses positions ecclésiologiques et dogmatiques de la fin du XIXe siècle. À propos de l’expression « Églises-sœurs » sur laquelle l’auteur s’étend longuement pour montrer (p. 158-166) comment elle avait fini par s’imposer dans les années soixante-dix (et que les accords passés à Balamand en 1993 avaient confirmée), une note du Vatican publiée en 2000 précisait notamment : « Il doit toujours rester clair que l’Eglise universelle, une, sainte, catholique et apostolique [sous-entendu l’Église catholique-romaine], n’est pas la sœur, mais la mère de toutes les Églises particulières ». Une autre note publiée en 2007 recadrait le sens d’une expression du concile Vatican II (subsistit in) en précisant que l’unique Église du Christ ne subsiste que dans l’Église catholique-romaine. Une autre note encore, publiée la même année, portant sur l’évangélisation, invitait les catholiques à témoigner de leur foi auprès des chrétiens non-catholiques et à leur « offrir la plénitude des moyens de salut »
Du côté orthodoxe, des positions analogues furent prises. En 2000, le concile épiscopal de l’Église orthodoxe russe promulgait une « Déclaration sur les Principes fonda­mentaux régissant les relations de l’Église ortho­­doxe russe envers l’hétérodoxie » dans laquelle il af­firmait: « L’Église orthodoxe est la véritable Église du Christ, fondée par notre Sei­gneur et Sauveur Lui-même, l’Église que l’Esprit Saint a établie et qu’Il remplit […]. Elle est l’Église Une, Sainte, Universelle et Apos­to­lique, gardienne et dispensatrice des Sacrements saints dans le monde entier, “colonne et fondement de la vérité” (1 Tm 3, 15). Elle porte en plénitude la responsabilité de diffuser la Vérité de l’Évangile du Christ, de même que la plénitude du pouvoir de témoigner de la « foi, transmise aux saints une fois pour toutes » (Jude 3). » Et plus loin: « L’Église orthodoxe est la véritable Église, dans laquelle sont con­ser­­vées inaltérées la Sainte Tradition et la plénitude de la grâce salvatrice de Dieu. Elle a conservé dans leur totalité et dans toute leur pureté l’héritage des Apôtres et des saints Pères. Elle reconnaît l’iden­tité de sa doctrine, de sa structure liturgique et de sa pratique avec la prédication apostolique et la Tradition de l’Église Ancienne. L’Orthodoxie n’est pas un “attribut national et culturel” de l’Église d’Orient. L’Orthodoxie est une qualité interne de l’Église, la conser­vation de la vérité doctrinale, de la structure liturgique et hié­rar­chique et des principes de vie spirituelle, demeurés sans inter­ruption ni changement dans l’Église depuis les temps aposto­liques ». Et en 2007, le métropolite (futur patriarche de Moscou) Kirill déclarait à pro­pos du document du Vatican « Subsistit in » : « L’Église ortho­­doxe est l’héri­tière de plein droit, selon la ligne aposto­lique, de l’Église Une et an­cienne. C’est pourquoi nous rappor­tons avec plein droit à l’Église orthodoxe tout ce qui a été for­mulé dans le document catholique ». Le patriarche œcuménique Bartholomée, n’hésitait pas de son côté à affirmer, dans l’église du Protaton à Karyès (Mont-Athos), le 21 août 2008: « C’est l’Église ortho­doxe qui est la seule Église une, catholique et apostolique ».
L’événement récent constitué par le simulacre de baptême que se sont mutuellement donné à Trêves l’évêque catholique de Speyer et le métropolite du patriarcat de Constantinople Augustinos est un témoignage public du fait que les deux Églises ne reconnaissent pas mutuellement la validité du sacrement du baptême qu’elles confèrent respectivement, contrairement à ce qui a souvent été affirmé par ces deux Églises, et manifeste un recul par rapport à des prises de positions œcuméniques communes passées, comme le BEM, qui fut souvent cité comme référence, mais n’a en vérité jamais constitué un accord engageant les Églises orthodoxes.

Recension par Jean-Claude Larchet / source : http://www.orthodoxie.com

Une prière de saint Philarèthe de Moscou






Mon Seigneur, je ne sais pas ce que je devrais Te demander.
Toi, et Toi seul sait ce dont j'ai besoin.
Tu m'aimes plus que je ne suis capable de t'aimer.
O Père accorde-moi, à moi Ton serviteur,
Tout ce que je ne peux pas demander.
Car je n'ose demander une croix, ni la consolation,
Je n'ose pas me tenir en Ta présence.
Mon cœur T'est ouvert.
Tu vois mes besoins, ceux dont je ne suis pas conscient moi-même.
Vois et relève-moi!

Je me tiens en Ta présence,
Rempli de crainte et silencieux devant Ta volonté et Tes jugements
Que mon esprit ne peut comprendre.

Je m'offre à Toi en sacrifice.
Je n'ai nul autre désir
si ce n'est d'accomplir Ta volonté.

Apprends-moi à prier.
Viens prier en moi !
Amen!



version française Claude Lopez-Ginisty,
d'après le texte anglais 
Dallas,
( Texas) 
USA

dimanche 17 juin 2012

La franc-maçonnerie, à quoi bon ?


Un ami, maçon blanchi sous le harnois, m’a transmis l’allocution suivante qui fut prononcée il y a environ dix ans par un grand orateur provincial. Le message qu’elle contient m’a paru être encore maintenant porteur de vérités bonnes à entendre.

Il y a un peu plus de deux siècles, notre célèbre frère Joseph de Maistre s'interrogeait ainsi : « Quelle est l'origine de ces mystères qui ne couvrent rien, de ces types qui ne représentent rien ? Quoi ! des hommes de tous les pays s'assemblent (peut-être depuis des siècles) pour se ranger par deux lignes, jurer de ne jamais révéler un secret qui n'existe pas, porter la main droite à l'épaule gauche,la ramener vers la droite, et se mettre à table ? Ne peut-on extravaguer, manger et boire avec excès, sans parler d'Hiram, du Temple de Salomon et de l'étoile flamboyante, etc, etc. » 

Questions dérangeantes, questions décapantes ? Questions inévitables ! Mes frères., je plains ceux d'entre nous qui ne se les sont jamais posées ! Je plains ceux qui ne se sont jamais demandé : la franc-maçonnerie, à quoi bon ?

Oserai-je aller plus loin, mes frères ? Oui, je l'oserai. Quel est le jeune maître maçon, ou même le jeune maçon tout court, capable d'un peu d'observation, qui n'ait été fréquemment témoin de spectacles de nature à doucher son enthousiasme de néophyte ? Qui n'ait découvert que la fraternité peut prendre, et pas seulement aux agapes, les traits d'une camaraderie bruyamment et grassement joviale, pas si différente, somme toute, de celle des copains de lycée ou de régiment. Qu'en tenue même, cette recherche de la vérité que nous nous vantons de mener en commun peut fort bien consister dans l'affirmation péremptoire de MA propre vérité et le refus dédaigneux de celle d'autrui, lequel réplique de même ; d'où d'aigres disputes où l'amour fraternel est passablement malmené. Que la règle hautement proclamée de l'égalité n'exclut nullement le souci vaniteux de se pousser en avant au détriment des voisins dans cette course aux honneurs et cette foire aux vanités que dépeint si bien le nom de « cordonnite » Que le principe d'autorité inhérent à un Ordre hiérarchique peut caricaturalement dégénérer en autoritarisme arbitraire, en passion effrénée du pouvoir et de la domination. Que la charité et la bienfaisance donnent usuellement matière à de beaux discours et à d'éloquents panégyriques mais beaucoup plus rarement à des actes concrets et quotidiens, à commencer par les plus humbles : l'attention vigilante portée à notre prochain immédiat -c’est-à-dire les frères de notre propre loge…

Il lui arrive même, à ce jeune frère dont je parle - et je doute que beaucoup échappent à ce sort - de faire l'expérience la plus douloureuse, la plus cruelle qui soit : celle de la trahison fraternelle, celle des « faux frères »...

Des mille et une scènes du théâtre maçonnique qu'il découvre alors, souvent à ses dépens, j'en passe et des meilleures ; Jean Tourniac en fit jadis, dans une planche sarcastique, un portrait à la Daumier ou à la Hogarth, pour ne citer que deux dessinateurs qui « croquèrent » les francs-maçons dans leurs ridicules.

Oui, mes frères, quelle comédie humaine pour la plume d'un Balzac portant tablier ! Quel tableau des travers de l'homme, de ses défauts, voire de ses vices, nous tous tant que nous sommes, présentons-nous à nous-mêmes - car nous en sommes à la fois spectateurs et acteurs.

Et alors mon jeune frère, désappointé, déçu, scandalisé même, de s'écrier avec dépit : la franc-maçonnerie, à quoi bon ? A quoi bon, oui, dépenser tant de temps, tant de peine, tant d'argent - pour cela ?

Mes frères, pourquoi vous le cacherai-je ? Ce jeune frère désillusionné que je vous dépeins, ce fut moi, jadis. Et le maçon que je suis se retournant vers ce maçon que je fus - et que peut-être sont aussi certains parmi ceux qui m'écoutent aujourd'hui - lui tiendra le langage qu'un ancien me tint alors, ancien que son expérience maçonnique avait enrichi d'une sagesse et d'une sérénité acquises malgré les épreuves ou plutôt à cause d'elles. Ce langage était à peu près le suivant :

Mon frère, tout ce que tu dis est vrai, c'est un constat d'évidence, et pourtant tu n'es pas dans le vrai. Tu n'es ni juste ni équitable.

D'abord, ton constat est incomplet, donc partial. Obnubilé par tes fâcheuses découvertes, tu oublies un peu vite tous ces frères si nombreux, remarquables mais qui ne se font pas remarquer, parce qu'ils estiment n'accomplir que leur devoir et qui, par conséquent, ne se mettent pas en avant et se trouvent tout gênés lorsqu'on leur adresse des compliments ; tous ces Frères, dis-je, qui prodiguent au service de l'Ordre et de leurs frères un dévouement infatigable, une charité sans bornes, une science inépuisable, une sagesse lumineuse ; qui se trouvent toujours là au moment opportun pour aider leurs frères, les instruire, les stimuler, les réconforter, les consoler au besoin - les écouter et leur parler avec un tact et une discrétion exemplaires. Autant de frères, d'hommes remarquables, je répète, que, sans la franc-maçonnerie, tu n'aurais jamais eu l'occasion, la chance, de rencontrer de ta vie.

A quoi bon, la franc-maçonnerie ? Eh bien, pour commencer, à être, comme l'écrivit le pasteur James Anderson à l'article 1er des Constitutions qui portent son nom : « Le Centre de l'Union et le moyen de nouer une amitié vraie parmi des personnes qui auraient dû pour toujours rester distantes les unes des autres ». Cela, mon frère, est une expérience que tu as probablement faite déjà et que, dans la négative, tu feras forcément.

Dans ton désir légitime de remise en question, tu es passé, mon frère, d'un extrême à l'autre, de l'illusion de l'optimisme à l'illusion du pessimisme. La lucidité, cette qualité maçonnique par excellence, dont la franc-maçonnerie nous enseigne la nécessité et la pratique, consiste à voir les hommes tels qu'ils sont : ni tout bons, ni tout mauvais. Et quand je dis les hommes, je parle d'autrui, mais aussi de chacun de nous. Nous partageons avec tous les hommes, nos frères, une commune nature : ces travers, ces défauts, ces vices qui nous frappent chez les autres se trouvent aussi, à des degrés variables, en nous-mêmes ; et il en va de même pour les qualités et les vertus.

C'est là une des grandes leçon de la franc-maçonnerie. Celle-ci nous apprend à nous connaître nous-mêmes ; et se connaître soi-même et connaître les autres, c'est tout un. Un des moments les plus saisissants de la cérémonie de réception au grade de compagnon, au rite écossais rectifié, est celui où le candidat se trouve mis face à lui-même et où on lui enjoint : « Voyez-vous donc tel que vous êtes ». Et, dans la cérémonie d'installation selon la pratique du rite Emulation, il est un conseil dont on ne soulignera jamais assez la pertinence et, si on le suit à la lettre, l'efficacité : c'est ce passage de l'exhortation aux surveillants où on leur recommande « d'imiter avec soin ce que vous rencontrerez de louable chez les autres et de corriger en vous ce qui vous paraîtra défectueux chez autrui » Cela, mon frère, c'est une perle de grand prix.

Mais j'irai plus loin. La franc-maçonnerie nous enseigne l'utilité des épreuves, c'est-à-dire que d'un mal, non seulement il peut, mais il doit sortir un bien. Et cela, elle nous l'enseigne, non en paroles, mais effectivement et concrètement par ses rites. J'en veux un seul exemple - sur lequel on comprendra qu'en la circonstance présente je sois moins explicite qu'en m'adressant à ce jeune frère dont j'ai fait mon interlocuteur : sans cette trahison de faux frères qui te fait gémir, ton accession à la maîtrise n'eût pas été possible. Ce qui vient de t'arriver, c'est de vivre existentiellement ce que tu avais vécu rituellement. Cela, c'est quelque chose que tous ceux d'entre nous qui sont chrétiens savent bien : la rédemption par le Christ exige au préalable la trahison de Judas.

Enfin, il faut, mon frère, que tu comprennes bien une chose. Les maçons ne sont pas meilleurs que les autres hommes ; mais ils ne sont pas pires. L'initié n'est pas, n'est jamais un homme supérieur. En quoi se différencie-t-il des autres hommes, que nous appelons profanes ? En ce qu'il possède - condition préalable sine qua non d'un bon recrutement - un vrai désir et une ferme détermination de se perfectionner et de s'améliorer soi-même, et qu'il passe aux actes avec lucidité et courage.

La franc-maçonnerie n'est pas une société parfaite ni une société de parfaits, c'est une école de perfectionnement. De ce perfectionnement, elle fournit les outils et elle en enseigne le mode d'emploi ; à chacun de nous, ensuite, de les mettre en œuvre, ce qui exige de la peine et du temps, de la patience, de la persévérance, du discernement, et beaucoup de constance. Si les difficultés et les obstacles découragent cet ouvrier de soi-même au lieu de le stimuler, c'est que sa vocation n'est pas bien ferme.

Je terminerai par un dernier et important avis. La franc-maçonnerie n'est pas faite pour fabriquer des surhommes. Les héros, les saints, ce n'est pas son affaire. Son affaire, c'est de réaliser des hommes authentiques, ou plutôt que nous nous réalisions nous-mêmes hommes authentiques. De là la pratique, non pas morale, mais instrumentale, des vertus ; car, comme je l'avais rappelé en une précédente circonstance, les vertus, étymologiquement, sont ce qui font qu'un homme est un homme. Pratiquer les vertus, c'est construire mon humanité. C'est retrancher ce qui, en moi, est contraire à l'humanité vraie, est in-humain ; et c'est aussi combler en moi les manques qui font que mon humanité n'est pas accomplie. Tout cela peut se résumer en un seul mot : le don de soi. Par le don de soi sont renversées les murailles de l'égoïsme, qui en renfermant l'homme sur lui-même le condamnent à la stérilité et à l'échec : il devient soit un surhomme, soit un sous-homme, c'est-à-dire dans tous les cas un homme inauthentique et inaccompli.

Ce don de soi qui est dépassement de l'ego prend, pour nous. maçons, deux formes. L'amour fraternel, qui a pour principe la charité et pour résultat la bienfaisance, aux applications innombrables. Et l'amour de la vérité, l'amour de Dieu, illustré par le fait que, toujours et partout, le maçon travaille à la Gloire du G.A.D.L.U. qui est Dieu. Telles sont les deux dimensions de la condition humaine à la restauration de laquelle, nous, maçons, œuvrons et que je rappelais l'an passé : la Fraternité et la Vérité.

Telles sont les considérations que je ne cesse de tenir, sans me lasser, à tous les frères en qui si souvent je retrouve le jeune maçon troublé que je fus, et que j'ai cru bon de vous adresser à votre tour, pour la dernière fois que je prends la parole à cette place.

Alors, la franc-maçonnerie, à quoi bon ? Comme la langue d'Esope, elle peut être la meilleure ou la pire des choses. Il dépend de nous, mes frères, de nous exclusivement, mais totalement, qu’elle soit pour le summum bonum. le souverain bien : devenir, en plénitude, des hommes.