jeudi 1 mai 2014

Beethoven par Artur Rubinstein (1)

J'ai décidé de varier les thèmes abordés dans ce blogue en ouvrant une rubrique musicale, déjà amorcée avec mes billets sur les hautes-contres.

Je ne suis pas sûr que cela m'attire un vaste public, en dehors des quelques-uns déjà attirés par les billets en question. Mais peu me chaud, j'ai envie de céder à mes envies...

D'ailleurs, toute beauté vient de Dieu, qui est la source du Vrai, du Beau et du Bien, comme l'avait ressenti Platon. Et contempler la beauté dont est capable l'homme - en l'occurrence le compositeur et l’interprète - c'est rendre grâce à Dieu qui lui (leur) a donné ce don.






Le concerto l’Empereur par Artur Rubinstein


Je viens d'écouter trois fois à la file le concerto l'Empereur de Beethoven, les trois fois par Artur Rubinstein, à l'âge respectivement de 69 ans, 77 ans et 88 ans (en 1956, 1964 et 1975).

Peu de différence entre les deux premières versions en ce qui concerne le pianiste : même vitesse, mêmes inflexions, même légèreté et même force, puissance et séduction à la fois. Rubinstein a toujours été réputé pour sa virtuosité brillantissime (il ne le cédait que de peu à Horowitz), la clarté de son jeu, la poésie de son toucher. Sous tous ces points de vue, ces deux versions sont sœurs.

Pour l'orchestre, il n'en va pas de même. Celui de 1956 est le Symphony of the Air, l'ex-NBC Symphony Orchestra d'Arturo Toscanini, et on sent encore la patte du maestro (qui d'ailleurs était toujours vivant mais à la retraite depuis 1954) ; il est pour l'occasion dirigé par Joseph Krips, excellent chef mozartien (entre autres) et cela s’entend. En revanche, pour la seconde version, l'orchestre est celui de Boston, superbe orchestre qui s'est illustré en particulier sous la baguette, notamment, de Pierre Monteux et de Charles Munch, mais qui est cette fois-ci dirigé par Erich Leinsdorf que j'ai toujours considéré comme un balourd et ce n'est pas cet enregistrement qui me fera changer d'avis : quelle lourdeur, quelle brutalité, quel manque de nuance - bref quel manque de musique !

Avec la troisième version, on change de climat. D'abord l'enregistrement est superlatif : c'est la grande époque des 33 tours. Le piano sonne magnifiquement, l'orchestre symphonique de Londres est luxuriant. Evidemment la virtuosité de Rubinstein n'est plus supersonique, mais tout de même elle reste époustouflante. Et ce qu'il perd en rapidité (tout est relatif...) il le gagne en délicatesse, en jeu perlé (j'ai observé la même évolution chez Horowitz octogénaire) et en chant. Oui, avec lui, le piano chante, que c'en est un ... enchantement. Et Daniel Barenboim, qui conduit l'orchestre, est à l'écoute attentive de Rubinstein : c'est en réalité lui qui dirige (d'ailleurs, en vrai, quand on le voyait faire, c'était bien ça).

Un souvenir personnel, pour finir. J'ai entendu Rubinstein donner le même concerto à l'Opéra de Paris, avec l'orchestre maison dirigé par un chef maison, Jean Laborde. C'était dans les années 60 et Rubinstein était en pleine possession de ses moyens. Et puis voilà que, patratas... On sait que le finale est un rondo avec couplets et refrain. Or, en plein milieu... Rubinstein rate l'entrée d'un des couplets ! Drôle d'effet, d'entendre l'orchestre à vide... Il se rattrape, il termine brillamment...on l'applaudit fort. Mais lui, mécontent, vexé, fait signe que non de ses deux mains, et s'écrie : On rrrrrecommence ! Il se remet au piano, et entame le début du finale (on sait que c'est le piano qui commence) ENCORE PLUS VITE QUE PRECEDEMMENT !!!

Inutile qu'il a terminé sous un déluge d’applaudissements : pour peu on le portait en triomphe ! Et lui d'envoyer des baisers au public...

J'ai assisté à plusieurs autres concerts de Rubinstein, surtout en soliste. Cela se terminait toujours comme ça : il aimait le public et le public l'aimait. Et on sortait HEUREUX.

J'ai admiré et j'admire encore beaucoup d'artistes dans ma vie, mais jamais je n'en ai aimé autant qu'Artur Rubinstein.


28 avril 2014

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire