LETTRE D'UN PRÊTRE
COPTE À L'IMAM D'AL AZHAR
Abouna Yoannis vient
d’être nommé son secrétaire particulier par le pape François.
Lettre ouverte d’Abouna Yoannis Lahzi Gaid à l’imam Ahmed
al-Tayyeb
L’université Al Azhar, au Caire |
Les coptes, longtemps discriminés, ont demandé et demandent
une solution juste à leurs problèmes pour mettre fin aux injustices.
Leurs exigences se fondent toujours sur le principe qui
affirme « La patrie pour tous mais la religion pour Dieu » qui, selon leur
conscience, est le fondement de tout état civil et de toute civilisation
évoluée.
Malheureusement, après chaque attentat, ils ont toujours
obtenu la même réponse courtoise,et les habituelles phrases de compréhension et
de solidarité, qui ne sont pas suffisantes pour leur besoin de pouvoir
s’exprimer librement dans le domaine politique, social et surtout religieux, et
de pouvoir vivre tranquillement, sans avoir peur de l’oppression et des
menaces.
Les coptes, dans toute leur longue et lumineuse histoire,
n’ont jamais demandé l’intervention des pays étrangers pour être aidés dans
leurs problèmes, cherchant toujours à éviter les possibles récriminations de la
part de leurs compatriotes qui auraient pu voir dans une telle intervention
étrangère, la trahison à leur patrie de la part des coptes; et exerçant
toujours une résistance pacifique, malgré la douleur, les injustices et le
silence des autorités nationales.
D’ailleurs, nous vivons dans un monde globalisé, dans lequel
les nouvelles du monde entier circulent en temps réel; c'est pourquoi il est
plus que naturel, Respectable Imam Al-Azhar, que s’élève une multitude de voix
internationales face aux évènements aberrants des multiples attentats qui ont
eu lieu et qui ont lieu, et face aux intimidations dont font l’objet les
chrétiens, obligés à émigrer du Moyen-Orient pour ne pas être massacrés.
Il est donc naturel alors, d’écouter la voix du Saint Père
Benoît XVI, chef de l’Église Catholique, son invitation à protéger les
minorités persécutées dans notre cher Orient.
Ce qui surprend, Respectable Imam, ce ne sont pas les
paroles du Pape, mais l’attitude de quelques responsables religieux et
politiques qui restent calmes et se taisent devant la multitude d’homicides de
gens innocents; et que face aux injustices perpétrées contre nos frères, ils se
limitent à prononcer les typiques et courtoises phrases de condamnation.
Le plus triste, respectable Imam, c’est que Al-Azhar, la
plus grande institution religieuse islamique, se limite à condamner timidement
à travers de courtoises déclarations, sans jamais citer clairement la question
de la violence et de l’assassinat des « non musulmans ». Sans rejeter
clairement les fatwas islamiques qui consentent, voire incitent et légitiment,
l’effusion de sang des non musulmans et invitent à s’approprier les biens et
propriétés des chrétiens comme s’ils étaient des butins de guerre.
C’est incroyable, Respectable Imam, que vous, comme Imam
(Chef) d’Al-Azhar, vous n’ayez pas encore fait une déclaration explicite pour
interdire l’assassinat des non musulmans, pour clarifier la position de l’Islam
face à la violence, en expliquant la signification de la djihad (guerre sainte)
contre les non musulmans, que vous n’ayez pas fait une déclaration claire, de
manière à éviter toute manipulation du Coran de la part de terroristes.
Il est honteux, Respectable Imam, que quand les compatriotes
parlent, spécialement ceux qui se déclarent « modérés » et « intellectuels »,
le maximum qu’il leur arrive de dire des coptes, c’est qu’ils sont des
Ahl-Zimma - confiés à la tutelle de l'Islam - une expression qui détruit tout
espoir d'obtenir une cohabitation pacifique et civile basée sur l’égalité et le
respect. Puisque, le terme « sous la tutelle de l'Islam » est un terme qui
repose sur une définition basée sur l'inégalité, dès lors qu’elle confie à un
groupe la tâche de protéger l’autre, et ainsi provoque le racisme et la
discrimination entre des personnes qui devraient être égales et aussi être sous
la tutelle d’une même constitution et des mêmes lois de l’État.
Respectable Imam, les tragédies que vivent les coptes tous
les jours sont bien plus graves qu’une visite de courtoisie au pape Shenouda
III, pape de l’Église Copte Ortodoxe d’Égypte, beaucoup plus urgentes que des
déclarations verbales; c’est le signal qu’en Égypte et dans la plupart des pays
arabes (ndt le Père Yoannis, semble atténuer sa phrase en utilisant le mot
"arabe" car les arabes ne sont pas tous musulmans et seulement 1/7
des musulmans est arabe), il manque «l’égalité» entre des citoyens, c’est un
signal de ce qu’on applique le concept d’un État policier, où les corps des
forces de sécurité et les religieux contrôlent les idées des personnes, leurs
actes, et finalement ce qu’ils respirent.
La solution, Respectable Imam, ne se trouve pas dans la
condamnation des paroles du Pape ou des états étrangers, mais dans le fait de
soigner nos maladies avec nos propres mains. Ni le Saint Père ni l’opinion
publique internationale n’auraient parlé si nos conditions de sécurité et de
justice étaient garanties, si nos lois assuraient les droits de tous, si elles
ne traitaient pas une partie du peuple comme « une minorité perturbante », ou
seulement comme des êtres Ahl-Zimma –confiés à la tutelle islamique.
Personne ne serait intervenu, Respectable Imam, si notre
pays avait été fondé sur des lois égales pour tous, sur des lois appliquées
sans discrimination de religion, de langue ou d’appartenance politique.
Personne n’aurait parlé, si le sang de nos fils et de nos frères, n’avait été
versé, le jour de la Nativité et de la fin de l’année. Personne n’aurait parlé
si les pays musulmans du Moyen Orient avaient été au côté de leurs frères
musulmans et avaient freiné cette hémorragie d’émigration, en assurant leur
protection.
Personne n’aurait parlé si les pays islamiques avaient agi
contre le terrorisme religieux et l’intégrisme islamique, qui légitiment le
massacre des chrétiens; comme c’est arrivé avec les caricatures (ndt: de
Mahomet) considérées comme offensantes pour l’Islam. Pourquoi affirme-t-on d’un
coté le droit d'un être humain, et nie-t-on le même droit à un autre être
humain ? Pourquoi affirme-t-on le droit de condamner tout acte ou toute parole,
quand on les considère comme offensantes pour les musulmans dans les pays
occidentaux, sans jamais dire que cela interfère dans les affaires intérieurs
de ces pays, pendant que l’on condamne la prière du Pape contre les massacres,
contre les injustices ?
Respectable Imam, personne ne serait intervenu si nous
avions adopté une unique mesure de comportement, si depuis longtemps nous avions
étudié et analysé notre situation intérieure, si nous avions résolu nos
problèmes de façon civilisée et en respectant une loi unique égale pour tous.
..
Des chrétiens innocents ont été assassinés à l’Église de
Notre Seigneur du Bon Secours à Bagdad par des terroristes qui criaient le nom
de Dieu et récitaient des vers du Coran. Les coptes ont été assassinés cette
fin d’année à Alexandrie, par des intégristes qui suivent la volonté d’Allah.
C’est une maladie qui réside dans cette façon d’interpréter les préceptes
coraniques. Mais dans cette même maladie se trouve la guérison. Les massacres
que les terroristes commettent contre les chrétiens, sont-ils acceptables du
point de vue religieux et islamique? Les versets coraniques et leurs arguments
doctrinaux se fondent-ils sur la vérité ? Ces terroristes sont-ils vraiment de
fidèles musulmans? Ce sont des questions qui méritent des réponses, Respectable
Imam, parce que dans leur réponse, se trouve la clef pour freiner ou alimenter
encore plus les fleuves de sang répandus.
En résumé, respectable Imam, le Saint Père n’est pas
intervenu dans les affaires intérieures de l’Égypte, mais il a parlé en faveur
des chrétiens opprimés et persécutés, car sa voix s’élève toujours contre toute
discrimination ou injustice, contre tout homme chrétien ou non, parce que «le
silence face aux injustices c’est le démon». Comment oublier que lui, il a
condamné tous les actes extrémistes contre des chrétiens ou des musulmans,
comme il a condamné toutes les actions offensantes contre les sentiments des
fidèles de toute religion.
Cela aurait été très mal si sa Sainteté s’était tue face aux
meurtres, aux massacres, aux persécutions, aux migrations forcées des chrétiens
du Moyen Orient qui ont eu lieu devant les yeux de tout le monde. Cela aurait
été mal si lui, il avait fermé les yeux devant des églises profanées et
saccagées et s’il n’avait pas élevé la voix en voyant que ses fils sont
assassinés et persécutés pour le seul motif qu’ils sont chrétiens.
Respectable Iman, vous auriez dû remercier le Saint Père
pour ses émouvantes condoléances à ses/nos frères coptes, qui ont été
assassinés le dernier jour de l’année, au lieu de condamner ses paroles comme
une interférence. Vous auriez dû tendre la main au Saint Père, la lui tendre pour
soutenir un dialogue pacifique entre les religions, au lieu de rejeter ses
déclarations, provoquant contre lui, et évidemment contre tout chrétien,
l’exacerbation d’une situation, déjà très délicate, et renforçant l’extrémisme.
Que le Seigneur ait pitié de notre bien aimée Égypte et
écarte d’elle tout extrémisme, toute intolérance, en semant dans les coeurs, Sa
compassion au service de la vérité et de la justice, pour travailler, coude à
coude, dans le but d’établir l’égalité, la cohabitation pacifique et pour
construire une nation fondée sur la liberté religieuse et sur l’égalité des
droits et des devoirs de toutes les personnes. Qu’Il nous donne le courage de
soigner sérieusement les maladies, au lieu de condamner ceux qui veulent notre
bien, en les accusant d’intervenir dans nos affaires.
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