DOCTRINE ET DOGME
Il est des termes qui, chemin faisant, ont acquis une
mauvaise réputation. Tel est le cas de « doctrine » et de
« dogme », surtout dans leurs dérivés « doctrinaire » et « dogmatique »[1]. Les
mentionner, c’est évoquer des gendarmes ou des gardes-chiourme de la
pensée ! Et pourtant… Rien ne devrait être plus utile, plus précieux même,
pour des maçons.
Comme toujours, appelons en renfort l’étymologie. A l’origine,
il y a le radical indo-européen *dôk, à partir duquel ont été construits les
verbes identiques quant à la forme (mais non quant au sens) dokeô en grec et doceo en latin et tous leurs nombreux dérivés : dogma (et les verbes construits sur ce
substantif), dokeuô, dokimazô, doxa (et ses dérivés)… en grec ; et en latin : docilis, doctor, doctrix, doctrina, doctus, documentum, et…dogma (chez
Cicéron, ce grand hellénophile et hellénophone).
Regardons-y de plus près.
Le dokeô grec a trois
significations principales dont une nous intéresse directement : 1)
sembler, paraître, avoir l’apparence. C’est à partir de ce sens qu’on a nommé
« docétisme » l’hérésie qui professe que ce n’est qu’en apparence que
le Christ est mort sur la croix mais nullement en réalité : à cet égard,
le Coran est docétiste ; 2) penser, croire, imaginer (on voit là la
relation par glissement de sens avec la première acception) ; 3) juger
bon, décider.
Dogma est en rapport
direct avec dokeô. Il a deux
acceptions : 1) opinion, doctrine philosophique (en rapport avec la
deuxième signification ; 2) décision, décret (en rapport avec la troisième
signification). C’est ainsi que l’expression latine senatus consultum, décret du sénat (romain) est rendue chez
l’historien Polybe par dogma tês
sunklêtou
Le doceo latin a une signification différente de celle du dokeô grec mais elles ne sont pas sans relation l’une avec l’autre. Cette signification est : enseigner, instruire, montrer, faire voir. Elle est donc en rapport évident avec les sens 1) et 2) du verbe grec, avec une nuance d’importance : ce qu’on pense, ce qu’on croit, ce qu’on imagine, cette fois on le transmet. C’est à retenir.
Le doceo latin a une signification différente de celle du dokeô grec mais elles ne sont pas sans relation l’une avec l’autre. Cette signification est : enseigner, instruire, montrer, faire voir. Elle est donc en rapport évident avec les sens 1) et 2) du verbe grec, avec une nuance d’importance : ce qu’on pense, ce qu’on croit, ce qu’on imagine, cette fois on le transmet. C’est à retenir.
De là on passe à doctrina
qui a deux acceptions principales : 1) enseignement, formation
théorique, éducation, culture – acception qui découle directement du verbe doceo ; 2) art, science, théorie,
méthode, doctrine.
Nous pourrions à la rigueur en rester là ; cependant il
nous faut voir si l’évolution sémantique constatée entre le grec et le latin
s’est poursuivie avec le français.
La principauté des Dombes, dont Trévoux était la capitale,
resta indépendante de la France jusqu’en 1762. La censure royale ne s’y
exerçait donc pas. De nombreux imprimeurs et éditeurs profitèrent de cette
exterritorialité pour s’y installer ; les jésuites aussi, qui y publièrent
des mémoires sur des sujets divers sous le titre de Journal de Trévoux et le fameux Dictionnaire
de Trévoux. Ce Dictionnaire universel
françois et latin (tel était son titre) fut le premier dictionnaire
véritablement encyclopédique en langue française, en concurrence directe avec
l’Encyclopédie de d’Alembert et
Diderot. Il connut 5 éditions de 1704 à 1771. Je citerai l’édition de 1738-1742
publiée à Nancy, capitale du duché de Lorraine, lui aussi indépendant du
royaume sous la souveraineté de Stanislas Leczinski, de 1737 à 1766. Pourquoi
citer ce dictionnaire ? Parce qu’il donne l’état exact de la langue en
usage au XVIIIe siècle, donc au moment de la création du Régime rectifié. Qu’y
lit-on ?
Doctrine : 1)
savoir, érudition ; 2) ce qui est contenu dans les livres ; 3)
sentiments particuliers des auteurs, ou des sociétés. Dogme : 1) maxime, axiome, principe ou proposition en quoi
consistent les sciences ; 2) se dit particulièrement des points de
religion.
Ces deux définitions sont passablement courtes et peu
satisfaisantes ; on voit cependant que « dogme » commence à se
différencier de « doctrine » par un caractère plus absolu, une
autorité plus forte.
Si maintenant nous enjambons le XIXe siècle, nous parvenons au Nouveau Larousse illustré, Dictionnaire
universel encyclopédique, publié en 8 volumes aux environs de 1905. C’est
là que j’ai trouvé les meilleures définitions et les plus complètes des deux
termes en cause dans les acceptions qu’ils ont de nos jours, du moins quand ces
acceptions ne sont pas défigurées par l’ignorance et les passions (qui marchent
souvent ensemble). Citons donc :
Doctrine : «Ensemble de connaissances possédées par
quelqu’un. On donne ordinairement le nom de « système » aux solutions
raisonnées que les philosophes ou les savants apportent des problèmes
théoriques de la philosophie ou des sciences (…) On réserve le nom de
« doctrine » à tout ensemble d’enseignement ayant pour but de
résoudre les questions relatives à la nature et à la destinée morales de
l’homme. Or les solutions de ces questions peuvent être, ou présentées au nom
de la raison, ou inspirées au nom de la Révélation. Dans le premier cas, elles
donnent naissance aux doctrines philosophiques ; dans le second, elles
constituent les doctrines religieuses. »
Dogme : « Article de croyance religieuse
enseignée avec autorité et donnée comme étant d’une certitude absolue.
Par extension :
opinion, doctrine quelconque donnée comme étant d’une certitude absolue :
dogmes politiques, littéraires. »
Puis, après une longe analyse des dogmes de l’Eglise
catholique : «Les premiers écrivains
protestants appelaient de ce nom les vérités sur lesquelles tous les chrétiens
paraissent d’accord ».
Le tour de la question est fait, et tout est dit. « Ensemble d’enseignement ayant pour
but de résoudre les questions relatives à la nature et à la destinée morales de
l’homme » : n’est-ce pas très exactement ce que dispense à ses
membres le Régime écossais rectifié ? Nous sommes donc parfaitement
fondés, moi parmi d’autres, à parler de « la doctrine rectifiée », laquelle
existe dans le Régime, et lui seul. En effet, si toutes les branches de la
maçonnerie enseignent des leçons morales,
ces leçons ne portent pas, ailleurs que dans la maçonnerie rectifiée, sur la nature et à la destinée morales de
l’homme. C’est le cas ou jamais de rappeler la formule fameuse de Joseph de
Maistre (dans son Mémoire au duc de
Brunswick) : « Le grand but
de la maçonnerie sera la science de l’homme ».
Mais cette doctrine est de nature philosophique¸ « métaphysique », ai-je dit souvent, elle
n’est pas de nature religieuse, même
si elle est éclairée par la religion. Elle n’a donc pas le caractère dogmatique qui est réservé aux vérités religieuses,
qui sont, et elles seules, « enseignées avec autorité et données
comme étant d’une certitude absolue ». Qu’on croie ou ne croie pas à ces « vérités » ne change strictement
rien à leur caractère propre.
C’est donc par un détournement sémantique qui est une véritable
perversion, que d’aucuns s’ingénient à donner un tour absolu, donc dogmatique,
à la doctrine rectifiée. Celle-ci est fille de la raison, même si cette raison
est chrétienne ; et tout ce qui est de l’ordre de la raison est susceptible
de contestation, cette fois au nom d’une autre raison qui n’est pas chrétienne.
La doctrine rectifiée constitue, si j’ose dire, un absolu relatif : elle
constitue un absolu pour celui qui y donne en toute liberté et conscience son
adhésion. Mais pour lui seul.
Il n’y a pas de religion maçonnique, il n’y a donc pas de dogme
maçonnique.
En revanche, un maçon, pour se dire chrétien, doit adhérer à un certain nombre de dogmes que lui impose, non la maçonnerie, mais sa religion. Et pour ces dogmes, je reprendrai à mon compte la définition des « premiers écrivains protestants » : « les vérités sur lesquelles tous les chrétiens paraissent d’accord ». Car la maçonnerie rectifiée, si elle est chrétienne, n’est pas confessionnelle, elle est œcuménique (pour employer un terme anachronique par rapport au temps de sa naissance).
En revanche, un maçon, pour se dire chrétien, doit adhérer à un certain nombre de dogmes que lui impose, non la maçonnerie, mais sa religion. Et pour ces dogmes, je reprendrai à mon compte la définition des « premiers écrivains protestants » : « les vérités sur lesquelles tous les chrétiens paraissent d’accord ». Car la maçonnerie rectifiée, si elle est chrétienne, n’est pas confessionnelle, elle est œcuménique (pour employer un terme anachronique par rapport au temps de sa naissance).
Ces vérités, faut-il le rappeler ? sont au nombre de
trois, pas davantage, mais trois nécessairement : 1) la Divine Trinité,
Père, Fils et Saint-Esprit ; 2) la double nature du Christ, vrai Dieu et
vrai Homme ; 3) la résurrection des morts.
Tout le reste est spéculation,
licite sans doute, mais pas en maçonnerie.
A Tribus Liliis
14 novembre 2013
En la fête de saint Grégoire Palamas
P.S. Une école philosophique récente inverse les termes de la proposition. La doctrine, réputée supra-humaine, serait absolue, inconditionnée, donc incontestable, elle exigerait une adhésion sans réserve ni restriction, car elle émanerait d'un christianisme an-historique, informel, ésotérique, en un mot transcendant ; et par conséquent réservé à quelques élus proches de la perfection. Elus par qui ? la question n'est pas tranchée.
En revanche, les dogmes, de fabrication humaine et où l'inspiration divine n'aurait aucune part, seraient réservés à l'enseignement subalterne du troupeau des fidèles, du vulgum pecus, de façon qu'il se laisse conduire à l'aveuglette par de soi-disant bergers, les "clercs", tous mus par de sordides motifs humains. Les "élus" ne sauraient en être dupes. Raison pour laquelle lesdits "élus" rejettent farouchement les Eglises instituées avec toutes leurs simagrées : le culte cérémoniel, les sacrements.
Ces "élus" se déclarent donc les membres spirituels et libres d'une Eglise libre et spirituelle entrant librement en relations spirituelles avec un Dieu qui ne se plierait à aucune forme.
Libre à eux de le croire ! Toutes les opinions sont libres, si toutes ne sont pas équivalentes. Je ne jette pas l'anathème sur eux - même si la réciproque n'est pas vraie.
Néanmoins, qui ne voit que ceux qui professent de telles idées ne peuvent en aucune façon prétendre au nom de chrétien ? Contrairement à ce qu'ils affirment, les dogmes ne sont pas des opinions contraintes. Ce sont des références, des signes distinctifs à quoi on discerne que quelqu'un est chrétien ou qu'il ne l'est pas.
C'est du simple bon sens. Pour prendre une comparaison un peu vulgaire, les règles du football ne sont pas celles du rugby. On ne peut pas prétendre transposer les règles du rugby au football au nom d'un football qu'on déclarerait plus pur, plus authentique que celui qui est en usage partout.
Pas davantage ne peut-on s'ériger en juge du christianisme commun à tous les chrétiens (c'est de lui seul qu'il est question ici) au nom d'un christianisme prétendu plus pur, plus authentique, plus parfait même, inconnu de tous.
Et qui donc sanctionnerait cette pureté, cette authenticité, cette perfection ? Quelle autorité ? Qui se pose en réformateur doit pouvoir se réclamer d'une autorité autre que soi-même. Ce fut le cas des Réformateurs du XVIe siècle : leur autorité, c'était l'Ecriture, "sola scritura". Est-ce le cas aussi de nos modernes réformateurs ? Que non pas : ils choisissent, ils font un tri dans les Ecritures en ne retenant que ce qui sert leur cause. De même d'ailleurs dans les textes doctrinaux de la maçonnerie. Leur dogmatisme - il faut bien l'appeler par son nom - et partiel, donc partial.
En revanche, les dogmes, de fabrication humaine et où l'inspiration divine n'aurait aucune part, seraient réservés à l'enseignement subalterne du troupeau des fidèles, du vulgum pecus, de façon qu'il se laisse conduire à l'aveuglette par de soi-disant bergers, les "clercs", tous mus par de sordides motifs humains. Les "élus" ne sauraient en être dupes. Raison pour laquelle lesdits "élus" rejettent farouchement les Eglises instituées avec toutes leurs simagrées : le culte cérémoniel, les sacrements.
Ces "élus" se déclarent donc les membres spirituels et libres d'une Eglise libre et spirituelle entrant librement en relations spirituelles avec un Dieu qui ne se plierait à aucune forme.
Libre à eux de le croire ! Toutes les opinions sont libres, si toutes ne sont pas équivalentes. Je ne jette pas l'anathème sur eux - même si la réciproque n'est pas vraie.
Néanmoins, qui ne voit que ceux qui professent de telles idées ne peuvent en aucune façon prétendre au nom de chrétien ? Contrairement à ce qu'ils affirment, les dogmes ne sont pas des opinions contraintes. Ce sont des références, des signes distinctifs à quoi on discerne que quelqu'un est chrétien ou qu'il ne l'est pas.
C'est du simple bon sens. Pour prendre une comparaison un peu vulgaire, les règles du football ne sont pas celles du rugby. On ne peut pas prétendre transposer les règles du rugby au football au nom d'un football qu'on déclarerait plus pur, plus authentique que celui qui est en usage partout.
Pas davantage ne peut-on s'ériger en juge du christianisme commun à tous les chrétiens (c'est de lui seul qu'il est question ici) au nom d'un christianisme prétendu plus pur, plus authentique, plus parfait même, inconnu de tous.
Et qui donc sanctionnerait cette pureté, cette authenticité, cette perfection ? Quelle autorité ? Qui se pose en réformateur doit pouvoir se réclamer d'une autorité autre que soi-même. Ce fut le cas des Réformateurs du XVIe siècle : leur autorité, c'était l'Ecriture, "sola scritura". Est-ce le cas aussi de nos modernes réformateurs ? Que non pas : ils choisissent, ils font un tri dans les Ecritures en ne retenant que ce qui sert leur cause. De même d'ailleurs dans les textes doctrinaux de la maçonnerie. Leur dogmatisme - il faut bien l'appeler par son nom - et partiel, donc partial.
Cela n'évoque-t-il rien ? Les grands maîtres du gnosticisme des premiers siècles, Basilide, Marcion, Valentin, lesquels - surtout Marcion - faisaient eux aussi un tri parmi les Ecritures saintes, eux aussi sanctifiaient des écritures de leur façon, eux aussi érigeaient des contre-églises.
Tout cela n'a rien à voir, essentiellement, avec la franc-maçonnerie : j'en conviens volontiers. Mais circonstanciellement, si. Car il s'ensuit, pour ce qui est de la conception même de la franc-maçonnerie, une contamination déviante et déplorable.
Tout cela n'a rien à voir, essentiellement, avec la franc-maçonnerie : j'en conviens volontiers. Mais circonstanciellement, si. Car il s'ensuit, pour ce qui est de la conception même de la franc-maçonnerie, une contamination déviante et déplorable.
1er janvier 2014
en la fête du Saint Nom de Jésus
[1] Et aussi
« charité ». « Faire la charité » est devenu extrêmement
dépréciatif. Pourtant la charité est le
summum des « dons spirituels », la « voie par excellence »
(Paul, 1ère aux Corinthiens, chapitre 13).
jacob boehme,saint martin ,l église invisible oui mais...finalement dimanche je vais aller a la messe suivre les dogmes au fond de l église a coté de la petite statut de padre pio,manger le dieu caché,mais visible dont nous parle blaise pascal.paix et amour en christ mon frére.
RépondreSupprimerVous êtes dans le vrai, mon frère Julien.
SupprimerL'Eglise invisible est dans notre coeur, mais notre corps est dans l'Eglise visible, Corps mystique du Christ.
Paix, amour et joie en Lui.