Du Terrorisme intellectuel
ou
Les Enfants de Robespierre
La forme la plus
aboutie de l’oppression intellectuelle, c’est le terrorisme intellectuel.
L’acteur le plus efficace de cette forme de terrorisme dans la France
d’aujourd’hui est M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, qu’on
devrait d’une façon plus appropriée appeler ministre de la rééducation nationale, au sens que ce terme a pris
avec les gardes rouges de Mao-Tsé-Toung et les khmers rouges de Pol Pot.
L’appellation de terrorisme est quant à elle tout à fait seyante car la réalité
qu’elle décrit remonte, par delà d’une part le marxisme léninisme et d’autre
part l’hitlérisme, à la Terreur des années 1793 à 1795 (et même avant et même
après) : dans tous ces cas, il s’est agi de recréer un « homme
nouveau », totalement nouveau, à savoir entièrement libéré de ses
conditionnements anciens et tout particulièrement de ce conditionnement
asservissant qu’est le passé.
J’exagère ?
Vous allez voir que non.
La droite française,
qui n’a pas oublié d’être « la plus bête du monde », accable M.
Peillon de sarcasmes et d’injures. M. Peillon n’en a cure et il fait bien. M.
Peillon n’est pas le premier imbécile
socialiste venu. Il est instruit et intelligent, et il pense. Que ses pensées
soient nocives, c’est indiscutable. Encore faut-il les connaître. C’est
d’autant plus aisé qu’il ne les a jamais dissimulées, il les a même publiées.
Qu’on lise par exemple son ouvrage publié en 2008 (Editions du Seuil) intitulé La Révolution française n’est pas
terminée : ce titre est à lui seul un programme. Qu’y lit-on ?
« La Révolution française est
l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est
un commencement absolu, c’est la présence et l’incarnation d’une régénération
et d’une expiation du peuple français. 1789, l’année sans pareille, est celle de
l’engendrement, par un brusque sursaut de l’histoire, d’un homme nouveau. La
Révolution est un événement méta-historique, c’est-à-dire un événement
religieux. La Révolution implique l’oubli total de ce qui précède la
Révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit
dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines, pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église
avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la
loi. »
Avec ce vocabulaire
délibérément emprunté à la théologie catholique
(« transsubstantiation », etc.), c’est une mystique de la Révolution que développe M.
Peillon, une mystique laïque et même athée, mais néanmoins religieuse. Le
principal maître à penser de M. Peillon est Ferdinand Buisson, directeur de
l’enseignement primaire sous Jules Ferry, de 1879 à 1896, maître d’œuvre de
l’école laïque et républicaine (et principal rédacteur de la loi de 1905 sur la
séparation de l’Eglise et de l’Etat). Il lui a consacré un ouvrage au titre
explicite : Une religion pour la
République : la foi laïque de Ferdinand Buisson (Paris, Le Seuil, 2010).
Ferdinand Buisson, en effet, tout en étant « libre penseur » (il fut
même président de l’Association nationale des libres penseurs), avait émis
l’idée d’une « religion de substitution » au christianisme, religion
laïque, bien évidemment. Nous en sommes là.
Mais il faut bien
voir que, par delà-les anticléricaux ou plutôt anticatholiques fin de siècle,
c’est à Maximilien de Robespierre qu’il faut remonter, lui qui tenta d’établir
en son temps une « religion de substitution », non pas laïque mais
déiste, à la Rousseau, le culte de l’Etre suprême. Et c’est dans le cadre de
cette religion nouvelle, comme dans le cadre de la religion communiste ou celui
de la religion nazie, que s’inscrit l’entreprise prométhéenne d’élaboration, de
conformation d’un « homme nouveau ».
Tout cela a été
annoncé avec la plus grande clarté et la plus grande franchise. Et ceux qui à
droite poussent des cris d’orfraie manifestent simplement leur coupable myopie. Tout comme ceux qui,
après 1933, ont découvert avec effroi Hitler, dont tout le programme avait pourtant
été rendu public dans la version originale de Mein Kampf dès 1925-26 et, en version intégrale française, dès le
début de 1934.
Couvrir M. Peillon
de sarcasmes et d’injures est, je le répète, une attitude niaise. Il faut le
combattre. Et autant que possible, par les armes de l’intelligence. Est-ce
beaucoup demander ?
Parmi ces armes, il
y a la compréhension du passé et la juste appréciation de sa force. Oui, le
passé est fort. Il est fort de toutes les énergies déployées depuis des siècles
et des siècles par toutes les générations dont les efforts et les apports ont progressivement constitué notre pays, la
France, pour ne parler que d’elle. Non, la France n’est pas sortie toute armée
en 1789 telle Athéna de la tête d’on ne
sait quel Zeus. Elle est le produit de tous ceux qui ont œuvré, se sont battus
et se sont même sacrifiés pour elle, et qui dorment dans notre terre natale. Le
poids des morts est plus fort que la légèreté des vivants.
Etablir une
infranchissable ligne de démarcation avec eux ? Rêve de penseur en
apesanteur, fantasme d’idéologue. Cette idée de confectionner de toutes pièces,
ou plutôt d’aucunes pièces, un homme totalement nouveau, jamais elle n’a
prospéré, toujours la réalité charnelle s’est vengée. Pour ne prendre qu’un
seul exemple dans l’antiquité, voyez Platon. La grande théorie qui fonde sa République a été au sens propre une utopie¸c’est-à-dire qu’elle n’a jamais
trouvé de lieu pour s’incarner. Au
terme de sa tentative avec le tyran Denys de Syracuse, qu’est-il advenu ?
Platon s’est retrouvé en geôle ! Ah, les philosophes devraient toujours se
méfier des despotes, éclairés ou
non : Voltaire en fit l’expérience avec Frédéric le Grand.
Pour en venir à des
réalités contemporaines, sur quoi a débouché l’expérience totalement nihiliste
du nazisme du « national-socialisme » ? Sur le triomphe de la
démocratie chrétienne accouplée au capitalisme et à l’atlantisme. Et en Chine ?
Au règne, sous un autre nom, de la philosophie confucianiste et de
l’impérialisme autocratique des Han. En Russie enfin ? La domination sans
partage de la religion séculaire, l’orthodoxie, mi-chrétienne mi-païenne,
mi-céleste mi-terrienne, qui a convolé avec un tsarisme renouvelé. Ainsi va le
temps… Le général de Gaulle avait cent fois raison : les nations sont
immortelles. Elles ne périssent que si ceux qui la composent le veulent ou s’y
résignent.
Un bref
exemple : la nation bohême (je ne parle pas de ceux qu’on n’appelle plus
« les bohémiens ») a été anéantie à la bataille de la Montagne
Blanche (Bila Hora) en 1622, sa noblesse a été exterminée ou exilée, son Eglise
(luthérienne) réduite à néant, sa langue (le tchèque) interdite et proscrite…
Et, deux siècles plus tard, au XIXe siècle, grand siècle des nationalités, la
langue a été ressuscitée grâce aux travaux des linguistes et des
universitaires, les coutumes locales ont
reparu comme par miracle, le sentiment national seulement endormi s’est
réveillé plus vivace que jamais ! La nation tchèque est plus que jamais
vivante.
Et les
Arméniens ! Dix fois leur patrie a été détruite, trois fois elle a perdu
son territoire, trois fois elle a été déracinée, trois fois elle a repris
racine.
Je viens de
mentionner les nationalités. Leur défense et illustration a été le combat
constant des révolutionnaires au XIXe siècle. Pas d’eux seulement, voyez
Chateaubriand ou Byron ; mais d’eux sûrement. Et qui a proclamé la nation,
la nation en armes, la « nation en danger » sinon la Ière république,
celle de la Constituante, celle de la Convention ? Et nos modernes
révolutionnaires voudraient la passer par profits et pertes ?
Non, monsieur
Peillon, votre combat est perdu d’avance. Oh, vous pouvez faire bien des
dégâts, commettre bien des méfaits. Mais la France plus que millénaire, celle
de la révolution dont vous vous réclamez, et celle de ces 86 monarques dont
vous ne vous réclamez pas, mais qui existent, cette France tout entière s’oppose
à vous : et elle vous vaincra !
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