La Philosophie, source d’hérésies
Ce fut surtout dans les sectes séparées de l’unité
de l’Eglise qu’eurent lieu les plus grands désordres : les hérésies furent
au christianisme de que les systèmes philosophiques furent au paganisme, avec
cette différence que les systèmes philosophiques étaient les vérités du culte païen, et les hérésies
les erreurs de la religion chrétienne.
Les hérésies sortaient presque toutes des écoles de la
sagesse humaine. Les philosophies des Hébreux, des Perses, des Indiens, des
Egyptiens, des Grecs, s’étaient concentrées dans l’Asie sous la domination
romaine : de ce foyer allumé par l’étincelle évangélique, jaillit une
multitude d’hérésies aussi diverses que les hérésiarques étaient dissemblables.
On pourrait dresser un catalogue des systèmes philosophiques, et placer à côté
de chaque système l’hérésie qui lui correspond.
Tertullien l’avait reconnu : « La philosophie, dit-il,
qui entreprend témérairement de sonder la nature de la Divinité et de ses
décrets, a inspiré toutes les hérésies. De la viennent les Eons et je ne sais
quelles formes bizarres, et la trinité humaine de Valentin, qui avait été
platonicien ; de là le Dieu bon et indolent de Marcion, sorti des
stoïciens ; les épicuriens enseignent que l’âme est mortelle. Toutes les écoles de philosophie
s’accordent à nier la résurrection des morts. La doctrine qui confond la
matière avec Dieu est la doctrine de Zénon. Parte-t-on d’un Dieu de feu, on
suit Héraclite. Les philosophes et les hérétiques traitent les mêmes sujets,
s’embarrassent dans les mêmes questions : “D’où vient le mal, et
pourquoi est-il ? D’où vient l’homme, et comment ?” Et ce que Valentin a proposé depuis
peu : ”Quel est le principe de Dieu ?” A l’entendre, c’est la pensée et un avorton.
Saint Augustin
comptait de son temps quatre-vingt-huit hérésies, en commençant aux simoniens
et finissant aux pélagiens, et il avoue qu’il ne les connaissait pas
toutes.
[…]
Les hérésies du premier siècle furent de trois
sortes : les premières appartenaient à des fourbes qui prétendaient être
le véritable Messie, ou tout au moins une intelligence divine ayant la vertu
des miracles ; les secondes sortirent de ces esprits creux qui recouraient
au système des émanations pour expliquer les prodiges des apôtres ; les troisièmes
furent les imaginations de certains rêveurs qui voyaient en Jésus-Christ un génie
sous la forme d’un homme, ou un homme dirigé par un génie : ils disaient
encore que Jésus-Christ avait enseigné deux doctrines, l’une publique, l’autre
secrète ; ils mutilaient les livres du Nouveau Testament, composaient de
faux évangiles et fabriquaient des lettres des apôtres.
[…]
L’Eglise faisait tête à toutes ces hérésies ; sa
lutte perpétuelle donne la raison de ces conciles, de ces synodes, de ces
assemblées de tous noms et de toutes sortes que l’on remarque dès la naissance
du christianisme. C’est une chose prodigieuse que l’infatigable activité de la
communauté chrétienne : occupée à se défendre contre les édits des
empereurs et contre les supplices, elle était encore obligée de combattre ses
enfants et ses ennemis domestiques. Il y allait, il est vrai, de l’existence
même de la foi : si les hérésies n’avaient été continuellement retranchées
du sein de l’Eglise par des canons, dénoncées et stigmatisées dans les écrits,
les peuples n’auraient plus su de quelle religion iles étaient. Au milieu des
sectes se propageant sans obstacles, se ramifiant à l’infini, le principe
chrétien se fût épuisé dans ses dérivations nombreuses, comme un fleuve se perd
dans la multitude de ses canaux.
Chateaubriand, Etudes
historiques, Etude cinquième, seconde partie in Œuvres complètes, tome premier, A Paris, chez Firmin Didot frères,
1840 (pp. 191-192 & pp. 195-196)
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