Il faut, ici venu, poser la question : qu’est-ce qu’un péché ?
Revenons, hors de toutes définitions
scolastiques et catéchétiques, aux origines, à savoir au grec, c’est-à-dire la
langue dans laquelle ont été promulguées les définitions dogmatiques et les prescriptions
morales et disciplinaires de la primitive Eglise en ses sept conciles
œcuméniques. Les anciens Grecs ignoraient la notion de péché. Les penseurs
chrétiens ont donc dû faire choix, pour rendre cette notion, d’un terme
préexistant.
Ce choix est intéressant car riche de sens. Il
s’est porté sur un terme rarissime qu’on ne trouve que chez les tragiques et
chez Platon, et encore pas souvent : ἁmαρtία (hamartia) signifiant
« erreur » ou « faute »[1] ;
quant au verbe apparenté ἁmαρtάνω (hamartanô), il a une
signification très concrète : « manquer le but », « manquer
la cible », d’où « se méprendre », etc. Or il est deux façons de
manquer un but ou une cible : par pure maladresse, involontairement, et
c’est une erreur ; ou bien
délibérément, parce qu’on a fait exprès de ne pas atteindre ce but, qu’on en a
visé un autre, etc., et alors c’est une faute.
Comme on voit, le degré de responsabilité personnelle n’est pas du tout le même
dans un cas et dans l’autre.
Est-ce
que ceci s’applique à l’homosexualité ou, plus précisément – en laissant de
côté pour l’instant les inclinations – aux unions homosexuelles ? A priori
oui, car le but assigné par Dieu : « croissez et multipliez »
est manqué, ne peut pas être rempli. Cependant, est-il manqué par choix
délibéré ? Sûrement non, car on ne choisit pas d’être homosexuel. On ne le
devient pas, on l’est de naissance. Et si l’on m’objecte les adultes qui, au
tournant de l’âge – la quarantaine ou la cinquantaine – souvent après un
mariage qui peut avoir duré plusieurs années, se découvrent homosexuels, je
répondrai que ces inclinations étaient latentes chez eux et que, pour une
raison ou une autre, elles se sont manifestées seulement à ce moment-là, mais
elles préexistaient. Je ne nie pas que certains peuvent se livrer à des expériences homosexuelles ; mais si
l’attrait sexuel n’existe pas dans les profondeurs de l’individu, ces
expériences ne déboucheront pas sur un comportement habituel. Par conséquent,
la condition nécessaire pour qu’il y ait faute, à savoir l’intentionnalité,
n’existe pas.
Une
erreur existe donc. Ici, il faut
pousser plus loin l’analyse. Nul de ceux auxquels je m’adresse ne niera qu’un
être humain, fût-il embryonnaire, existe dès qu’il y a « union
inconcevable du corps, de l’âme et de l’esprit ». Est-ce à dire que Dieu
créateur intervient à chaque fois par un acte personnel ? que pour ainsi
dire il presse sur un bouton pour que cette union se produise ? Je ne le
pense pas. Je crois que Dieu, quand il a créé la nature, l’a dotée d’une certaine
autonomie, l’a faite co-créatrice. Cela,
on l’admet de l’Homme ; je crois que c’est vrai aussi de la nature dans
son ensemble. Dieu ne l’a pas seulement créée natura naturata, c’est-à-dire résultat passif de son action
créatrice, mais natura naturans¸ ayant une capacité dynamique, productive et, je le répète, créatrice[2].
Pour être plus précis, Dieu a imposé à la nature des règles générales, des
normes, et aussi un réseau assez serré de mécanismes à observer, en somme un
programme à suivre, mais il a laissé à cette nature un certain jeu, une
certaine liberté dans l’application de ce programme. Ce qui explique pourquoi
elle fabrique des êtres qui sont très beaux et d’autres difformes, des êtres
qui sont suprêmement intelligents et d’autres complètement stupides, au milieu
d’une immensité d’êtres quelconques ; et des êtres qui sont homosexuels,
donc en marge du programme, au milieu
d’une immensité d’êtres qui lui sont conformes. Dieu n’en est pas immédiatement
responsable : il observe, il laisse faire, au nom de la liberté laissée à
sa créature, et ensuite il intervient pour, si j’ose dire, réparer les dégâts,
mais par d’autres voies. Et qu’on ne vienne pas dire, comme souvent :
« Dieu n’aurait pas dû laisser faire… » ou même « n’aurait pas
dû faire… » ; cela revient à dire : « Dieu aurait dû créer
des créatures esclaves ».
J’ai
parlé de dessein divin, et il est, je le répète, clairement énoncé. Mais c’est
aussi un programme naturel, un programme inhérent à la nature, car celle-ci a
pour finalité propre de se perpétuer, et elle ne peut le faire que par la
procréation, qui exige l’union de deux sexes distincts. Ce qu’on appelle le principe vital tend à cela par ce moyen.
La parthénogenèse n’existe pas dans la nature, non plus que l’androgenèse.
Ainsi, le programme naturel coïncide avec le programme divin, et cela coule de
source puisque c’est Dieu Créateur qui l’a ainsi organisé.
Donc,
s’il y a – et il y a – erreur par rapport au programme primitif, ni l’homme ni
Dieu n’en sont responsables. En bref, j’oserai le dire, les homosexuels sont les victimes innocentes d’un réglage souple de la
machine à créer.
Ainsi,
dans aucun des deux cas examinés il n’y a péché au sens chrétien du terme.
Mais,
objectera-t-on, s’il y a défaut par rapport au dessein divin, il doit y avoir
punition, châtiment. Certainement pas, car ce serait contrevenir au principe de
liberté que je viens de décrire. Il existe d’ailleurs un épisode biblique qui
prouve à l’évidence que Dieu ne punit pas lorsqu’on contrarie ses desseins,
c’est l’épisode des Hébreux qui réclament un roi relaté dans le premier livre
de Samuel, au chapitre 8. Relisons-le.
Les
anciens d’Israël viennent trouver Samuel, leur Juge, et réclament : « […] établis sur nous un roi pour
nous juger, comme il y en a chez toutes les nations. » (8, 5) Cette
demande est symptomatique, et Dieu ne s’y trompera pas : le peuple élu,
dont les anciens sont les porte-paroles, ne veut plus être le peuple unique, il veut devenir ressemblant aux autres peuples
(tous idolâtriques) qui l’environnent, il cède au « politiquement
correct ». Samuel est extrêmement contrarié car il sait que cette demande
est contraire au dessein de Dieu, qui est d’être et de demeurer, Lui seul, le
roi d’Israël. Néanmoins Samuel la lui transmet. Et que répond Dieu ? « L'Éternel dit à Samuel : Écoute la
voix du peuple dans tout ce qu'il te dira ; car ce n'est pas toi qu'ils
rejettent, c'est moi qu'ils rejettent,
afin que je ne règne plus sur eux. Ils agissent à ton égard comme ils ont
toujours agi depuis que je les ai fait monter d'Égypte jusqu'à ce jour ; ils
m'ont abandonné, pour servir d'autres dieux. Écoute donc leur voix ; mais
donne-leur des avertissements, et fais-leur connaître le droit du roi qui
régnera sur eux. » (8, 7-9) Bref, Dieu est sans illusion : c’est
bien lui, le Dieu unique, qui est visé implicitement, il y a là une sorte de
dérive vers l’idolâtrie. Il n’existe pas de plus grande violation du dessein
qui est le sien ! Et comment réagit-il ? Il se courrouce, il
réprime ? Pas du tout : il dit aux Hébreux : soit, faites comme
vous voulez, mais assumez-en les conséquences. Et, de fait, les avertissements
que donne Samuel (8, 10-18) sont un excellent résumé du despotisme royal.
Malgré quoi les Hébreux persistent. Et leur seul châtiment résidera dans les
conséquences bien réelles (il suffit de lire les livres des Rois) de leur
décision initiale.
Qu’il
soit bien clair que je n’assimile pas l’homosexualité au choix fautif et
délibéré du peuple hébreu en cette circonstance historique datée de la fin du
IIe millénaire avant J.-C. On ne le répétera jamais assez, l’homosexualité est
innée, elle n’est pas acquise, car, n’en déplaise aux tenants de la
« théorie du genre », on ne choisit
pas sa sexualité. On peut décider d’y céder ou non – cette seconde possibilité
est le choix de vie qui se nomme la
continence, celle-ci s’appliquant à tous les modes de vie sexuelle – mais
c’est tout autre chose. Donc, je le répète encore, l’homosexualité résulte
d’une erreur subie, qu’il serait plus
juste de nommer déviation¸ laquelle
est intervenue ante tempus.
J'attends le 6/6 pour commenter, en tous cas merci d'enrichir ma réflexion sur un sujet pour lequel je demeure très... partagé ! Il faut se garder (je parle modestement de... moi)de vouloir adapter à tout prix, sa conscience à ses (trop) généreuses conceptions éthiques, philosophiques, religieuses, maçonniques.
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