samedi 25 mai 2013

(4/6) Quelques réflexions théologiques sur l'homosexualité et le mariage homosexuel

Il faut, ici venu, poser la question : qu’est-ce qu’un péché ?

Revenons, hors de toutes définitions scolastiques et catéchétiques, aux origines, à savoir au grec, c’est-à-dire la langue dans laquelle ont été promulguées les définitions dogmatiques et les prescriptions morales et disciplinaires de la primitive Eglise en ses sept conciles œcuméniques. Les anciens Grecs ignoraient la notion de péché. Les penseurs chrétiens ont donc dû faire choix, pour rendre cette notion, d’un terme préexistant.

Ce choix est intéressant car riche de sens. Il s’est porté sur un terme rarissime qu’on ne trouve que chez les tragiques et chez Platon, et encore pas souvent : mαρtία (hamartia) signifiant « erreur » ou « faute »[1] ; quant au verbe apparenté ἁmαρtάνω (hamartanô), il a une signification très concrète : « manquer le but », « manquer la cible », d’où « se méprendre », etc. Or il est deux façons de manquer un but ou une cible : par pure maladresse, involontairement, et c’est une erreur ; ou bien délibérément, parce qu’on a fait exprès de ne pas atteindre ce but, qu’on en a visé un autre, etc., et alors c’est une faute. Comme on voit, le degré de responsabilité personnelle n’est pas du tout le même dans un cas et dans l’autre.

Est-ce que ceci s’applique à l’homosexualité ou, plus précisément – en laissant de côté pour l’instant les inclinations – aux unions homosexuelles ? A priori oui, car le but assigné par Dieu : « croissez et multipliez » est manqué, ne peut pas être rempli. Cependant, est-il manqué par choix délibéré ? Sûrement non, car on ne choisit pas d’être homosexuel. On ne le devient pas, on l’est de naissance. Et si l’on m’objecte les adultes qui, au tournant de l’âge – la quarantaine ou la cinquantaine – souvent après un mariage qui peut avoir duré plusieurs années, se découvrent homosexuels, je répondrai que ces inclinations étaient latentes chez eux et que, pour une raison ou une autre, elles se sont manifestées seulement à ce moment-là, mais elles préexistaient. Je ne nie pas que certains peuvent se livrer à des expériences homosexuelles ; mais si l’attrait sexuel n’existe pas dans les profondeurs de l’individu, ces expériences ne déboucheront pas sur un comportement habituel. Par conséquent, la condition nécessaire pour qu’il y ait faute, à savoir l’intentionnalité, n’existe pas.

Une erreur existe donc. Ici, il faut pousser plus loin l’analyse. Nul de ceux auxquels je m’adresse ne niera qu’un être humain, fût-il embryonnaire, existe dès qu’il y a « union inconcevable du corps, de l’âme et de l’esprit ». Est-ce à dire que Dieu créateur intervient à chaque fois par un acte personnel ? que pour ainsi dire il presse sur un bouton pour que cette union se produise ? Je ne le pense pas. Je crois que Dieu, quand il a créé la nature, l’a dotée d’une certaine autonomie, l’a faite co-créatrice. Cela, on l’admet de l’Homme ; je crois que c’est vrai aussi de la nature dans son ensemble. Dieu ne l’a pas seulement créée natura naturata, c’est-à-dire résultat passif de son action créatrice,  mais natura naturans¸ ayant une capacité dynamique, productive  et, je le répète, créatrice[2]. Pour être plus précis, Dieu a imposé à la nature des règles générales, des normes, et aussi un réseau assez serré de mécanismes à observer, en somme un programme à suivre, mais il a laissé à cette nature un certain jeu, une certaine liberté dans l’application de ce programme. Ce qui explique pourquoi elle fabrique des êtres qui sont très beaux et d’autres difformes, des êtres qui sont suprêmement intelligents et d’autres complètement stupides, au milieu d’une immensité d’êtres quelconques ; et des êtres qui sont homosexuels, donc en marge du programme,  au milieu d’une immensité d’êtres qui lui sont conformes. Dieu n’en est pas immédiatement responsable : il observe, il laisse faire, au nom de la liberté laissée à sa créature, et ensuite il intervient pour, si j’ose dire, réparer les dégâts, mais par d’autres voies. Et qu’on ne vienne pas dire, comme souvent : « Dieu n’aurait pas dû laisser faire… » ou même « n’aurait pas dû faire… » ; cela revient à dire : « Dieu aurait dû créer des créatures esclaves ».

J’ai parlé de dessein divin, et il est, je le répète, clairement énoncé. Mais c’est aussi un programme naturel, un programme inhérent à la nature, car celle-ci a pour finalité propre de se perpétuer, et elle ne peut le faire que par la procréation, qui exige l’union de deux sexes distincts. Ce qu’on appelle le principe vital tend à cela par ce moyen. La parthénogenèse n’existe pas dans la nature, non plus que l’androgenèse. Ainsi, le programme naturel coïncide avec le programme divin, et cela coule de source puisque c’est Dieu Créateur qui l’a ainsi organisé.

Donc, s’il y a – et il y a – erreur par rapport au programme primitif, ni l’homme ni Dieu n’en sont responsables. En bref, j’oserai le dire, les homosexuels sont les victimes innocentes d’un réglage souple de la machine à créer.

Ainsi, dans aucun des deux cas examinés il n’y a péché au sens chrétien du terme.

Mais, objectera-t-on, s’il y a défaut par rapport au dessein divin, il doit y avoir punition, châtiment. Certainement pas, car ce serait contrevenir au principe de liberté que je viens de décrire. Il existe d’ailleurs un épisode biblique qui prouve à l’évidence que Dieu ne punit pas lorsqu’on contrarie ses desseins, c’est l’épisode des Hébreux qui réclament un roi relaté dans le premier livre de Samuel, au chapitre 8. Relisons-le.

Les anciens d’Israël viennent trouver Samuel, leur Juge, et réclament :  « […] établis sur nous un roi pour nous juger, comme il y en a chez toutes les nations. » (8, 5) Cette demande est symptomatique, et Dieu ne s’y trompera pas : le peuple élu, dont les anciens sont les porte-paroles, ne veut plus être le peuple unique, il veut devenir ressemblant aux autres peuples (tous idolâtriques) qui l’environnent, il cède au « politiquement correct ». Samuel est extrêmement contrarié car il sait que cette demande est contraire au dessein de Dieu, qui est d’être et de demeurer, Lui seul, le roi d’Israël. Néanmoins Samuel la lui transmet. Et que répond Dieu ? « L'Éternel dit à Samuel : Écoute la voix du peuple dans tout ce qu'il te dira ; car ce n'est pas toi qu'ils rejettent, c'est moi qu'ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux. Ils agissent à ton égard comme ils ont toujours agi depuis que je les ai fait monter d'Égypte jusqu'à ce jour ; ils m'ont abandonné, pour servir d'autres dieux. Écoute donc leur voix ; mais donne-leur des avertissements, et fais-leur connaître le droit du roi qui régnera sur eux. » (8, 7-9) Bref, Dieu est sans illusion : c’est bien lui, le Dieu unique, qui est visé implicitement, il y a là une sorte de dérive vers l’idolâtrie. Il n’existe pas de plus grande violation du dessein qui est le sien ! Et comment réagit-il ? Il se courrouce, il réprime ? Pas du tout : il dit aux Hébreux : soit, faites comme vous voulez, mais assumez-en les conséquences. Et, de fait, les avertissements que donne Samuel (8, 10-18) sont un excellent résumé du despotisme royal. Malgré quoi les Hébreux persistent. Et leur seul châtiment résidera dans les conséquences bien réelles (il suffit de lire les livres des Rois) de leur décision initiale.

Qu’il soit bien clair que je n’assimile pas l’homosexualité au choix fautif et délibéré du peuple hébreu en cette circonstance historique datée de la fin du IIe millénaire avant J.-C. On ne le répétera jamais assez, l’homosexualité est innée, elle n’est pas acquise, car, n’en déplaise aux tenants de la « théorie du genre », on ne choisit pas sa sexualité. On peut décider d’y céder ou non – cette seconde possibilité est le choix de vie qui se nomme la continence, celle-ci s’appliquant à tous les modes de vie sexuelle – mais c’est tout autre chose. Donc, je le répète encore, l’homosexualité résulte d’une erreur subie, qu’il serait plus juste de nommer déviation¸ laquelle est intervenue ante tempus.





[1] Ce que signifie également le latin peccatum.
[2] J’emprunte cette distinction à Spinoza sans du tout adhérer à la philosophie immanentiste qui la sous-tend.

1 commentaire:

  1. J'attends le 6/6 pour commenter, en tous cas merci d'enrichir ma réflexion sur un sujet pour lequel je demeure très... partagé ! Il faut se garder (je parle modestement de... moi)de vouloir adapter à tout prix, sa conscience à ses (trop) généreuses conceptions éthiques, philosophiques, religieuses, maçonniques.

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