J’ai
encore d’autres flèches dans mon carquois. Les premiers chrétiens, qui avaient
une conception radicale et intransigeante du péché, n’en connaissaient que de
trois sortes : l’idolâtrie, l’adultère et l’homicide, péchés quasiment
irrémissibles car ils ne pouvaient être pardonnés qu’une seule fois dans la
vie ; en cas de récidive, aucun pardon n’était possible, sauf à l’article
de la mort. C’est d’ailleurs pour échapper à cette rigueur que beaucoup de
catéchumènes ne se faisaient baptiser que sur leur lit de mort, par exemple
l’empereur Constantin… Ces péchés étaient (et sont toujours) des péchés contre l’amour :
l’idolâtrie, un péché contre l’amour dû à Dieu en retour de celui qu’il donne
gratuitement ; l’adultère, un péché contre l’amour réciproque des conjoints
béni par Dieu ; l’homicide enfin, parce que c’est s’approprier indûment
par haine une vie humaine que Dieu a donnée par amour. Très vite, l’Eglise
abandonna cette conception extrême qui faisait peu de cas de la repentance.
Néanmoins, ces trois catégories fondamentales demeurent, et leur déclinaison
scande la vie de ceux qui cherchent à vivre chrétiennement.
Que
conclure, par rapport à la vie chrétienne, autrement dit la vie en
Eglise ? Comme prêtre, et tout simplement comme homme, je connais un nombre
non négligeable d’homosexuels célibataires ou en couple qui sont des chrétiens
fervents. Au nom de quoi, au nom de quel principe leur refuserais-je,
puisqu’ils ne sont pas pécheurs du fait de leur inclination (et même s’ils
l’étaient…) l’accès aux sacrements, et singulièrement au sacrement vivifiant
par essence, l’eucharistie ? L’Eglise – les Eglises – n’a que trop souvent
et trop longtemps emprisonné les hommes dans des ghettos : jadis le ghetto
des sacrilèges, le ghetto des hérétiques, le ghetto des sorciers, maintenant le
ghetto des divorcés, le ghetto des homosexuels, le ghetto des francs-maçons…Et
quand certains combinent les trois qualifications (je connais des cas) !
Est-ce à l’Eglise d’incarcérer quand l’existence quotidienne s’y emploie suffisamment !
Non. L’Eglise doit communiquer les dons du Christ par le Saint-Esprit : la
liberté, la vie, et l’amour.
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L’étude
qui précède vient s’articuler à celle que j’ai publiée sur mon blog le 22
janvier 2013 sous le titre Le mariage
pour tous. J’y exposais les deux conceptions types du mariage qui
s’affrontent dans le débat qui agite notre pays, conceptions qui ont toutes
deux leur justification : ce que j’appelle « le mariage
patrimonial », qui a en sa faveur son universalité et son ancienneté
multiséculaire ; et « le mariage
conjugal » qui prédomine de plus en plus dans nos sociétés
occidentales depuis environ un siècle. Qu’on ne s’y trompe pas : c’est ce
dernier qui va l’emporter. L’autre est un système d’organisation sociale
archaïque qui va disparaître, à mesure que les droits et libertés de l’individu
– qui sont un apport du christianisme et point du tout une conquête de la
révolution française – gagneront en étendue. Peu importe le temps qu’il faudra,
cette évolution est inévitable. Autant la prendre en compte.
Beaucoup
affirment avec sincérité que le mariage homosexuel sera le commencement de la
fin de la société organisée, disons de la société traditionnelle. Mais ce
commencement de la fin, il a déjà débuté, avec la généralisation du
divorce ! Quand on constate le nombre de familles décomposées et
recomposées, avec la cohabitation dans un même foyer d’enfants issus de chacun
des conjoints, peut-on raisonnablement soutenir que ces familles-là sont
« traditionnelles » ? Elles n’en sont pas moins légitimes.
Il
est donc temps pour moi de prendre parti, ou plutôt de l’exprimer. Je le ferai
en me référant à la distinction courante en orthodoxie entre le canon et l’économie, entre la règle, qui exprime la justice, et son application,
qui est guidée par la miséricorde. Ainsi, selon le principe, je ne puis qu’être
opposé au mariage homosexuel ; selon l’économie, je dois l’accepter.
Ceci
pour la société civile. Et l’Eglise ? Serais-je prêt à bénir une union
homosexuelle ? Quitte à être incohérent, franchement non, le pas serait
trop important à franchir pour moi. Du moins maintenant. Il me faut encore
réfléchir et prier. En revanche je ne verrais aucune difficulté à bénir
individuellement chacun des membres du couple. Hypocrisie ? En aucune
manière. C’est l’état présent de ma conscience, qui a déjà beaucoup concédé. Et
nul ne peut aller contre sa conscience.
5 mai 2013
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